Commentaire de sasapame
sur Nous, on veut ! Pourquoi il faut quitter l'euro et démanteler l'Union européenne


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sasapame sasapame 21 juin 2012 21:00

@ tf1Goupie,

je ne pense pas que vous soyez de mauvaise foi, je crois plutôt que vous n’avez lu de mon texte que l’introduction. A ce sujet, le choix était sans doute malheureux, même si je disais justement ne pas focaliser sur cela, mais j’accorde bien peu d’importance aux affaires de complot, et moins encore en matière européenne. En cette matière en particulier, je reconnais l’importance ultra-dominante du rôle d’acteurs parfaitement visibles, et aussi celle des peuples.

Mais justement : opposez une moitié de fédéralistes et une moitié de souverainistes, conscients ou non, pour les uns et les autres (c’est un schéma, mais admettons), et vous voyez que le compromis naturel est précisément la confédération — autrement dit, une Europe qui accumule beaucoup de pouvoirs mais qui reste sous contrôle direct ou indirect des gouvernements nationaux —, soit ce système dont j’ai voulu démontrer ici qu’il ne marche pas...

Si j’ai un peu la prétention de transmettre (et non d’inventer, bien sûr) quelques éclairages, c’est justement parce que nous avons bien assez de repères pour juger de ce que nous avons sous les yeux. En particulier, pour conclure sans aucun risque de se tromper que l’euro n’est pas un système viable jusque à nouvel ordre.

La question ne s’est d’ailleurs jamais posée en ces termes pour les économistes un peu sérieux, même s’il a fallu du temps à beaucoup d’entre eux pour l’admettre, à cause de certain « pari » européiste dont il est question en introduction. Et encore, souvent en langage obscur. Mais qu’ils s’appellent Delors ou Giscard, Allais ou St-Étienne à droite, Gréau, Sapir ou Stiglitz au centre, Généreux, Lordon, Orléan, Plion ou Harribey à gauche (désolé pour le listing mais la liste est longue et le jeu à vrai dire peu utile), ils savaient tous que l’euro ne pouvait pas marcher dans le contexte. La seule question a été de savoir si on serait capable de créer les conditions politiques pour qu’un tel instrument devienne viable. Il y a ceux qui ont fait ce pari, par amour de l’idée d’Europe en général, et les autres. Bref, l’économie ne fait pas de miracles et le problème de l’euro est à 100% politique.

Du reste, il n’existe aucun exemple, dans l’histoire, d’union monétaire qui ait pu tenir hors du cadre d’un État — mais je pense qu’il est plus instructif de (re)démontrer pourquoi. Notamment parce que beaucoup de gens se laissent avoir avec l’illusion que l’UE est un projet unique dans l’histoire, alors que l’histoire a connu bien d’autres constructions impériales, y compris européennes, dont le caractère "hors sol" les a condamné à subir les mêmes problèmes.

Sans être économiste, j’ai beaucoup travaillé sur les institutions en général, celles de l’UE tout particulièrement, et aussi longtemps sur les questions monétaires. Si les compétences techniques que j’ai acquises m’ont servi à quelque chose ici, c’est avant tout pour comprendre que le problème de l’euro est entièrement politique.

J’ai produit ailleurs d’autres critiques de l’euro, plus « économicistes ». Il y a d’autres manières de démontrer que ce système est intenable. En particulier si l’on considère que, dans ce régime, 100% de la monnaie est créée par le circuit privé et que le régime de l’UE dans son ensemble a interdit ou rendu impraticable tous les mécanismes qui permettaient, indirectement ou indirectement, l’indispensable redistribution, non seulement pour palier aux injustices que cela provoque mais pour éviter les crises économiques qu’un tel fondement ne peut que provoquer s’il n’est pas compensé. Tout cela est archi connu et très simple à comprendre.

Mais le problème de ces démonstrations économiques, c’est qu’elles peuvent toujours conclure en disant : soit, ce n’est pas viable au présent, ça saute aux yeux, mais ça peut le devenir... si on fait l’Europe fédérale (je traduis). C’est pourquoi il est bien plus important de s’atteler à ce boulot qui occupe bien moins de monde — il y a malheureusement bien moins de monde qui réfléchi aux institutions que de gens qui se mèlent d’économie —, analyser comment cette condition peut être remplie, et si l’on peut décemment espérer qu’elle le soit. Ma réponse est : clairement non (tout aussi clairement que l’économie montre la non viabilité de l’euro au présent).

Ainsi on en revient toujours au même problème : que l’on veuille mettre un terme au dumping fiscal, développer des services publics européens, mettre en place un mécanisme de compensations financières indispensable dans le cas d’une monnaie unique, que l’on veuille demander à la BCE de mettre de la monnaie à disposition des pouvoirs publics, que l’on veuille lui fixer une politique extérieure de change décente, que l’on veuille réguler la tendance folle à la compétition et au libre-échange, ou encore se mettre à l’abri des paradis fiscaux, la résolution du problème se heurte toujours à un problème institutionnel : nous sommes à des années lumières de disposer d’un parlementarisme européen digne de ce nom, donc tous les mécanismes nécessaires sont parfaitement incontrôlables démocratiquement. On les laissera donc, soit à des agences européennes incontrôlées et donc inévitablement à la merci des grandes puissances privées, soit aux gouvernements des États membres — et l’objet premier de mon texte était de démontrer que, dans ce second cas, ça ne peut pas marcher (non plus).


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