Commentaire de Jacques Lecomte
sur La Justice réparatrice, ou comment pousser les victimes d'abus à pardonner à leur agresseur


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Jacques Lecomte Jacques Lecomte 14 juillet 2012 19:21

Merci de ces remarques, qui font avancer sereinement la discussion.

 

Voici quelques éléments de réponse.

Il n’existe évidemment pas de « sérum de vérité » permettant d’évaluer la sincérité d’un coupable exprimant des regrets. Mais si l’on place du point de vue des victimes, voici quelques informations :

Dans une série d’études australiennes, 90 % des victimes estimaient que l’agresseur devait présenter des excuses. Or 86 % des personnes ayant vécu une justice restauratrice ont dit que leur agresseur avait présenté ses excuses, contre seulement 19 % des victimes passées par le tribunal. De plus, 77 % des victimes en justice restauratrice estimaient que les excuses étaient sincères, contre seulement 41 % des victimes passées au tribunal. En associant ces données, on aboutit à ces autres chiffres : en justice restauratrice, 66 % des victimes ont affirmé que leur agresseur avait présenté des excuses sincères, contre 8 % en justice pénale.

Sherman L.W. et Strang H. (2007). Restorative Justice : The Evidence, Londres, The Smith Institute, p. 63.

Document disponible :

http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&frm=1&source=web&cd=1&ved=0CFAQFjAA&url=http%3A%2F%2Fesmeefairbairn.org.uk%2Fuploads%2Fdocuments%2FPublications%2FRJ_full_report.pdf&ei=vaIBUKiZBaSv0QXe-ZmqBw&usg=AFQjCNGF7xLeZPTdUqgwmxO5keDJY1hYSQ

 

Relisez ma remarque initiale sur le pardon : je ne dis pas qu’il n’est pas question de pardon dans l’association Arsinoe, mais simplement que Ceri n’a pas lu l’ouvrage dont il-elle parle.

J’ai signalé ceci essentiellement pour montrer que Ceri parle de la justice restauratrice sans la connaître véritablement. Et surtout (je me répète, mais tant pis), cette personne se permet des critiques sans fondement lorsqu’elle affirme qu’« On nous dit, sans évidemment citer aucune source, que grâce à la « justice réparatrice », "entre 80 et 100% des victimes se sentent vraiment prises en compte". » Ce propos montre clairement qu’elle n’a pas lu le document dont elle parle, puisque celui-ci contient de nombreuses références.

 

Je ne suis pas membre d’Arsinoe mais je connais assez bien cette association dont j’apprécie l’action. J’aimerais éclairer les relations entre ces trois éléments : l’association Arsinoe, la justice restauratrice, le pardon.

-  Arsinoe et le pardon. Arsinoe prend clairement position en faveur du pardon. Ceci est incontestable, mais il n’a jamais été question d’imposer le pardon aux victimes. La charte d’Arsinoe précise : « Il y aura alors peut être pardon, source de réelle liberté. » Aucune obligation donc. Par ailleurs, cette charte précise : « Nous posons comme préambule qu’un véritable travail thérapeutique passe par le fait que la personne se reconnaisse d’abord comme victime et qu’elle soit reconnue également comme telle. » Nous sommes donc très loin de ce que fait dire Ceri au sujet de cette association : « la victime on s’en fiche, elle est juste là pour pardonner. »

-  Arsinoe et la justice restauratrice. Arsinoe n’est en rien membre d’un prétendu lobby en faveur de la justice restauratrice. Il y a deux ans, sa présidente, Marie-France Haffner m’a demandé de participer au colloque des dix ans de l’association, en me proposant d’intervenir sur la résilience, thème dont je suis l’un des experts francophones. Je lui ai alors suggéré que mon intervention porte sur la justice restauratrice, en lui adressant un article que j’avais écrit pour lui décrire en quoi cela consiste (celui que j’ai cité précédemment, voir mon commentaire antérieur). Les responsables d’Arsinoe ont lu l’article et ont trouvé ma proposition pertinente. Arsinoe est donc aujourd’hui favorable à la justice restauratrice, mais n’est pas engagée formellement dans la promotion de cette approche, contrairement à des associations telles que l’Inavem ou Citoyens et Justice.

-  La justice restauratrice et le pardon. La situation est ici très différente de celle qui concerne la relation entre Arsinoe et le pardon. Les actes du colloque reprennent ce propos de ma plume : « Le pardon et la réconciliation peuvent éventuellement survenir à la fin d’une telle médiation, mais ce ne sont pas l’objectif recherché. » En revanche, la demande de pardon, de la part de l’agresseur, est effectivement une des attentes de la justice restauratrice, et est souvent exprimée au cours de celle-ci. Si l’expression « demande de pardon » pose problème à certains, en raison de ses éventuelles connotations religieuses, on peut utiliser le mot regrets. Pour ma part, je pense qu’on peut demander pardon sans références religieuses, et que cette expression est plus forte que d’exprimer des regrets. Mais ce n’est qu’un avis personnel.

 

Enfin, je découvre seulement aujourd’hui, par l’un des commentaires ci-dessus, ces informations concernant le père Drouaud et les moments de prière. Il est facile de constater que ce prêtre, que je ne connais pas, n’est pas intervenu au cours du colloque (programme du colloque : http://www.bon-pasteur-bfm.org/clients/bonpasteur/upload/fichiers/programme-arsinoe.pdf). Par ailleurs, aucun moment de prière n’a ponctué ce colloque. Je suppose donc que ces activités ont eu lieu parallèlement au colloque, au sein de la communauté du Bon Pasteur. En tout cas, rien de cela n’a eu lieu au cours du colloque.

 

J’espère que ces quelques lignes vous auront éclairé. Je n’aurai pas le temps de répondre à d’autres commentaires. Ce n’est pas une volonté de ma part de couper court aux échanges (j’y suis au contraire très favorable). C’est simplement une question de gestion de mon temps. Au cas où vous souhaitiez en savoir plus, vous pouvez vous procurer l’ouvrage de l’association Arsinoe, qui contient le texte de mon intervention ou lire cet autre texte dont je rappelle la référence :

Lecomte J. (2009). La justice restauratrice, in J. Lecomte (2009). Introduction à la psychologie positive, Paris, Dunod, pp. 257-270.

Vous pouvez le trouver en allant sur cette page :

http://www.psychologie-positive.net/spip.php?article8

puis en cherchant l’expression « justice restauratrice » (en rouge) et en cliquant sur le lien.

 

Bien cordialement

Jacques Lecomte


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