Commentaire de jean-pierre castel
sur Sources de l'antisémitisme nazi : le christianisme, le paganisme, les Lumières ?


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jean-pierre castel 9 novembre 2012 17:35

@Loelim
L’article n’avait évidemment pas la prétention d’être complet sur la question, mais simplement de s’élever contre la manipulation consistant à reporter la responsabilité de l’antisémitisme sur le paganisme, entreprise de blanchiment du christianisme.
Sur les hommes qui ont exercé de l’influence sur Hitler :
Celui qui jusqu’à sa mort en 1923 fut le principal inspirateur d’Hitler, le dirigeant völkisch Dietrich Eckart1[1], emprunta à l’Apocalypse du Nouveau Testament le vocabulaire et les concepts qui allaient devenir ceux de l’idéologie et de la liturgie politico-religieuse du nazisme : il assimila le peuple juif à « Satan » et à « l’Antéchrist », l’élimination des Juifs au « salut » de l’Allemagne, le IIIème Reich au « royaume de mille ans », le Führer au « Messie » qui lutte en faveur de « l’œuvre du Seigneur », le Reich au « Royaume » des Evangiles, le tout sous les auspices de l’archange Saint Michel, patron catholique du Saint Empire Romain Germanique depuis Frédéric Barberousse. Le peuple juif fut tenu pour responsable tant de la mort du Christ que de la corruption de la race et de la nation allemande« 2[2].
Durant sa jeunesse viennoise, Hitler avait été fortement influencé par le leader pangermaniste Georg Schönerer et par Karl Lueger, dirigeant du parti des Chrétiens-Unis, tous deux violemment antisémites. Dans Mein Kampf il se référa plusieurs fois aux Evangiles3[3], et se présenta comme le défenseur de la foi chrétienne contre le bolchévisme athée. Lorsqu’il écrivait : »En me défendant contre « le Juif », je combats pour défendre l’œuvre du Seigneur« , Hitler ne faisait que suivre l’exemple de Guillaume II, empereur du IIème Reich, qui s’était proclamé envoyé du dieu chrétien, missionnaire du progrès humain, et ouvertement antisémite4[4], et qui proclamait que les Allemands étaient »le peuple élu« . Hitler et de larges couches de la population allemande étaient convaincus que les Juifs étaient responsables de tous les maux de l’Allemagne : de la défaite de 19185[5], de la révolution et de la république de Weimar, du communisme, de la crise économique. »Que la rédemption de l’Allemagne ne pût se faire qu’en éliminant les Juifs était un courant de la culture politique qui remontait à Richard Wagner […] Entre 1916 et 1923 l’antisémitisme s’était imposé comme un élément essentiel de la pensée de droite en Allemagne.« 6[6] Le courant nationaliste et raciste völkisch qui s’était développé sous les IIème Reich, se demandait, comme Pierre le Vénérable huit siècles plutôt7, si les Juifs avaient une âme8[8]. Le programme officiel du NSDP(1920) stipulait que »le parti en tant que tel défend le point de vue d’un christianisme positif, sans se lier à une confession précise.« 
Hitler avait compris que l’antisémitisme de la société allemande, bâti autour de la diabolisation du »Juif« , »ce peuple qui voulait nous détruire« , pouvait constituer un levier efficace dans sa conquête du pouvoir. C’est le parti catholique de von Papen, le Zentrum9[9], qui l’y porta en 1933. La même année l’Eglise signa avec le régime nazi le Concordat, au terme duquel tous les membres du clergé prêtaient serment de fidélité à Hitler 10[10], et Pie XII déclara qu’il n’avait rien à objecter contre »l’hygiène raciale« 11[11]. C’est en 1933 que les rédacteurs des lois de Nuremberg écriront dans le préambule : »Le modèle qui s’est tenu devant mes yeux tout au long de la rédaction de ces décrets est celui des lois d’Esdras12[12] et de Néhémie, les premières lois jamais édictées pour la protection de la pureté raciale.« En 1934 le Jésuite Ludwig Koch écrit : »De tous les ordres, c’est la Compagnie de Jésus qui, par sa règle13[13], est le mieux protégée contre toute influence juive.« 14[14] L’église protestante allemande demandait encore en 1939 à ses croyants de »prêter fidélité et obéissance« à celui qui avait été envoyé au peuple allemand »par la grâce de Dieu« 15[15].

16[1] Père fondateur du NASDP, rédacteur en chef du journal de propagande Völkischer Beobachter, co-fondateur de l’idéologie nazie, auteur de Le Bolchévisme, de Moïse à Lénine, 1923.
17[2] Nazisme et barbarie
18[3] »Aujourd’hui s’éveille une foi nouvelle : le mythe du sang, la croyance selon laquelle on peut, avec le sang, défendre aussi l’essence divine de l’homme (...). Le sang nordique représente ce mystère qui a remplacé et surmonté les anciens sacrements (...). Le peuple allemand n’est pas atteint par le péché originel, il possède au contraire une noblesse originelle.« Extraits de Mein Kampf, Adolf Hitler.
19[4] Dans une lettre à sa sœur en 1940 Guillaume II se réjouit non seulement de l’entrée des troupes allemandes à Paris, mais aussi de ce que »les Juifs perdent dans tous les pays leurs positions funestes.« Cité dans Nazisme et barbarie, op. cit.
20[5] La défaite de 1918 avait laissée un terrible ressentiment en Allemagne, non seulement en raison du caractère léonin du Traité de Versailles, mais aussi d’un sentiment de trahison, alimenté par la thèse du »coup de poignard dans le dos« , attribuant la cause de la défaite à la révolution socialiste à l’intérieur, à l’intervention américaine à l’extérieur - elles-mêmes attribuées »aux Juifs« par l’extrême droite -, sentiment exacerbé par le fait que les combats s’étaient déroulés pour l’essentiel en dehors de l’Allemagne.
21[6] Choix fatidiques, Ian Kershaw, Seuil, 2009.22
23[8] Les racines intellectuelles du Troisième Reich, George L. Mosse, Calmann-Lévy, 2006, pp. 168 et 340.
24[9] Même si, dans le même texte où il réhabilite l’Inquisition, cf. note 856 p. 85, Jean Sévillia tente de sauver l’honneur (?) des catholiques en affirmant : » C’est donc l’Allemagne protestante, représentant les deux tiers de la population, qui aura porté Hitler au pouvoir.« 
25[10] A la fin de la guerre l’Eglise eut un rôle actif dans les réseaux d’exfiltration nazis (les »ratlines« ), notamment par l’évêque catholique Alois Hudal, recteur du Pontifico Instituto Teutonico Santa Maria dell’Anima à Rome et le prêtre Krunoslav Draganovi ?, cf. Nazi-Era Victims Demand Army, CIA Release Documents on Vatican, disponible sur < http://cnsnews.com/news/article/naz....
Von Papen, qui aida Hitler à accéder au pouvoir, fut après la guerre nommé chambellan du Pape Jean XXIII, qui l’avait connu en Turquie, où Jean XXIII alors Angelo Roncalli était Délégué Apostolique en Turquie et Von Papen Ambassadeur d’Allemagne.
Face au roman Le Vicaire de Rudolf Hochhut, transposé à l’écran par Costa Gavras sous le titre Amen, qui met en scène la complaisance supposée de Pie XII vis-à-vis du nazisme et du massacre des Juifs, la réaction de l’Eglise a été non seulement de démentir, mais d’accuser son auteur tantôt de bolchévisme, tantôt d’antisémitisme !
26[11] Dans un sermon prononcé à Munich pour les fêtes de Noël, cité dans Nazisme et Barbarie,.
27[12] . Cité dans Question juive, la Tribu, la Loi, l’Espace, Ilan Halevi, Minuit, 1981.
28[13] La »limpieza di sangre", .
29[14] Jesuiten-Lexikon, cité par Hannah Arendt dans Sur l’antisémitisme.
30[15] Nazisme et Barbarie.


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