Commentaire de Christian Labrune
sur Les pervers narcissiques manipulateurs
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@Philippe Vergnes
Je ne suis pas plus informé que Giordano Bruno des contours
théoriques du concept qui nous occupe, mais je me souviens de
longues discussions, il y a trente ans, avec une amie psychiatre, à
propos du narcissisme dévorant des névrosés, et j’ai toujours
considéré, un peu comme Monsieur Jourdain qui faisait de la prose
sans le savoir, que le narcissique était un pervers, et des plus
insupportables pour l’entourage. Que le pervers narcissique existe,
c’est une évidence, mais il reste pour moi, un type humain, un
« caractère », comme on aurait dit au XVIIe siècle, et
je doute qu’on puisse vraiment parler d’une maladie. Si c’en est une,
elle est de toute façon incurable. Les nombrilistes qui usent les
divans des psys doivent bien souffrir quelque peu, leur vie me paraît
bien assez insupportable, mais cela ne les empêche pas, en général,
de réussir très correctement sur le plan social lorsqu’ils sont
parvenus à se bricoler la petite mythologie personnelle qui leur
permettra d’expliquer le monde et les autres en fonction de leur ego
central et solaire. Lorsque Socrate demande, dans le Gorgias, s’il
est préférable de souffrir d’une injustice ou d’en être la cause,
Calliclès éclate de rire parce que cela lui semble tout à fait incongru et je suppose que tous les pervers
narcissiques anxieux de leur bonheur immédiat réagiraient comme
lui. Il leur sera probablement plus douloureux, face à une coupe de
ciguë, de « faire le deuil », comme on dit aujourd’hui,
- et fort ridiculement - de ce qui les aura aiguillonnés en tous sens
pendant des lustres, mais ces sortes de circonstances sont fort rares
et il n’est jamais très urgent d’y penser.
Je suis donc d’accord avec Giordano Bruno pour considérer que le concept est très flou et plus littéraire que scientifique. Je trouve aussi que son objection 2 ne manque pas d’intérêt. Vous remarquerez que dans beaucoup d’interventions après votre article, on dit à peu près - et moi tout le premier – que le pervers narcissique existe, qu’on l’a rencontré. Et quelquefois, cela prend même une tournure tout à fait doloriste. On plaint beaucoup moins le « malade » que soi-même et on regrette un peu d’avoir pâti de sa rencontre, ce qui implique qu’on soit exactement à l’opposé de ce type humain, et cela revient peu ou prou à opposer le vice et la vertu. Il devient dès lors assez facile de caractériser une pathologie complémentaire, facilement gangrenée cette fois par la moraline et la bonne conscience : la plupart des vertus, on le sait bien depuis La Rochefoucauld, ne sont elles aussi que des « vices déguisés ». Si on ne peut parler du pervers narcissique avec compassion - et il semble que cela soit difficile - mieux vaut donc ne pas en parler.
Dans la plupart des maladies, c’est le malade qui souffre, se plaint, réclame des soins. Dans celle-ci, c’est surtout l’entourage qui se plaint et cela me paraît tout de même un peu bizarre. Vous allez me dire que lorsque le pervers narcissique consulte un psy, il ne sait pas encore qu’il en est un. J’entends bien, mais je serais tenté de considérer que tout individu que tititlle l’introspection et la tentation de « se connaître » illustre déjà une cette forme de psychose incurable. « Connais-toi toi-même », lisait-on sur au fronton du temple de Delphes, mais cela voulait dire plutôt : sache de quoi tu est capable pour la cité et pour les autres, et non pas pour ta pomme.