Commentaire de André Bouny
sur Agent Orange, un 10 août : à l'intention de la jeunesse


Voir l'intégralité des commentaires de cet article

André Bouny André Bouny 10 août 2018 19:04
Cette opération visait à compléter ce qui fut appelé la « ligne McNamara » :
« Mais l’obsession américaine se trouve à l’ouest du Viêt Nam : c’est la
piste Hô Chi Minh. Cette « voie » partant depuis la partie méridionale du
Nord-Viêt Nam, le long de la chaîne Truong Son (autrefois appelée
Cordillère annamitique), fut construite par le 12e Corps de l’armée
vietnamienne à la fin des années 1950, et demanda de 15 à 20 ans de
travaux. Au total, 20 000 kilomètres de chemins et de sentes étroites
sillonnent la montagne sous la forêt primitive, dont 5 000 km de leurres
visant à tromper l’ennemi. Un véritable dédale inextricable, situé essentiellement
en territoires laotien et cambodgien, qui longe la frontière
vietnamienne, y faisant des incursions pour approvisionner en armes et
en vivres la guérilla locale qui attaque les bases américaines sur leur
secteur. Sous son épais couvert végétal, elle irrigue sur toute sa longueur
la résistance Viêt Cong du Front National pour la Libération, jusqu’au
delta du Mékong. Les moyens utilisés par le général Vo Nguyen Giap*
sont rudimentaires. Une armée de coolies, soigneusement choisis afin de
ne pas perturber la production rurale et l’économie du pays, devant être
structurée, contrôlée et nourrie, fut mise sur pied. Estimant l’aptitude
moyenne de portage par coolie à 25 kg de riz ou 15 à 20 kg d’armes et de
munitions sur 25 km par jour en configuration plane, on adapta cette
charge aux profils difficiles et aux marches nocturnes : de nuit, 20 km en
profil plan ; en configuration difficile : 17 kg de nourriture, ou entre 10 et
15 kg de matériel, pour 15 km. De nuit et en terrain hostile, la distance
était réduite à 12 km. Quand la piste était plus large, des attelages de
buffles tiraient des chariots chargés de 350 kg sur 12 km. Des chevaux,
plus rapides mais plus fragiles, tractaient 220 kg sur 20 km. Cette logistique
primitive permit d’esquiver et de harceler les forces américaines, à
la puissance surdimensionnée dans les airs, sur mer et sur terre. Les
bicyclettes renforcées, poussées par la force humaine, portaient des
charges conséquentes, les véhicules récupérés de la guerre précédente
contre les Français reprirent du service avant l’arrivée des petits camions
soviétiques et chinois. Une conduite de 12 cm de diamètre longeait la
piste pour permettre aux camions de se ravitailler en carburant.
Cette organisation hallucinante permet une résistance invisible, mobile
et insaisissable. À l’arrière, au nord, l’aide en matériel militaire arrive de
Chine et d’URSS par train jusqu’à Hanoi,** et par bateau jusqu’au port de
Hai Phong. Puis trains et camions transportent ce soutien vers le départ de
« la piste ». Au sud, l’aide vient d’Union soviétique par bateau jusqu’au
port de Sihanoukville*** et remonte par coolies, bicyclettes et camions
vers « la piste » qui serpente sous la forteresse végétale débouchant du
Cambodge au nord-ouest de Saigon. Parfois des renforts parviennent par
infiltration de bateaux dans le delta du Mékong. La piste Hô Chi Minh fut
entretenue et restaurée en permanence par 300 000 civils et militaires,
parmi lesquels de nombreuses jeunes femmes volontaires. Elles seront
150 000 à travailler sous les bombes, dans l’enfer du napalm, sous
l’ouragan chimique de l’Agent Orange et des gaz de combat, pataugeant
dans la boue empoisonnée, portant jour et nuit des chargements de pierres
sur la tête aux côtés des paysans et des montagnards locaux équipés de
hottes, venus participer par patriotisme ou pour une ration de riz. Sous la
pluie d’Agent Orange, les gouttes huileuses tombent des feuilles, mouillant
la cigarette du Viêt Cong tapi. On ampute les blessés à la lumière des
phares, sous les bombes. Ici, An, frère de l’infirmière, a été fauché. Il faut
lui couper les jambes et les parties génitales. On le désosse dans des conditions
d’hygiène inimaginable, sans pénicilline, sans transfusion sanguine.
Ça explose tout autour. Les hurlements des hommes se mêlent au fracas
des réacteurs des bombardiers, pas de place pour le luxe des sentiments.
Le paysage massacré pue le gasoil et le kérosène. Dans cet enfer, l’aviation
américaine largue des milliers de petites sondes acoustiques, et des sondes
sismiques sensibles aux déplacements des coolies. Des capteurs nocturnes
à infrarouge, des détecteurs de sources de chaleur – comme par exemple
les moteurs ou même les selles humaines fraîchement excrétées – constituent
une véritable barrière électronique appelée « ligne McNamara ».
Cette panoplie est reliée à un lacis informatique embarqué dans des avions
relais Boeing RC-135V/W Rivet joint qui synthétisent les informations et
dirigent les frappes aériennes qui hachent l’objectif, de jour comme de nuit.
Au sol, la multitude munie de pelles comble les cratères de bombes
devenues tombes, terrasse, porte des pierres encore et toujours permettant à
l’incessant convoi de cheminer nuit et jour par n’importe quel temps.
L’équivalent de 40 000 kilomètres de piste fut restauré infatigablement,
réparé sans relâche, rétabli inlassablement. La CIA estima* qu’entre 1966
et 1971, 630 000 soldats, 100 000 tonnes de vivres, 400 000 armes accompagnées
de 50 000 tonnes de munitions avaient alimenté le Viêt Cong par
la piste Hô Chi Minh. » extrait de AGENT ORANGE, APOCALYPSE VIÊT NAM

Voir ce commentaire dans son contexte