Commentaire de Vivre est un village
sur Annie Lacroix-Riz dénonce, faits à l'appui, la non-épuration des collabos et s'attire les foudres de la censure


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Vivre est un village Vivre est un village 5 mars 2020 10:28

Quel fut le niveau d’implication du patronat français dans cette organisation ?

La synarchie, créée en 1922, forme le cœur du grand patronat que le financier et ministre Étienne Clémentel, mentor financier et politique de Laval, avait doté en 1919 d’une organisation nationale de combat (la Confédération générale de la Production française - CGPF) puis en 1920 d’une organisation internationale, la « chambre de commerce internationale ». C’est au sein de cette « Société des Nations des hommes d’affaires » [7], où les grands patrons allemands demeurèrent quand leur gouvernement quitta la SDN (octobre 1933), que se nouèrent les alliances atlantique et « continentale » (allemande) de l’entre-deux-guerres.

Au cours des années de crise, les synarques intensifièrent le recrutement dans leur milieu d’origine, les grandes écoles dont les élèves partageraient leur carrière entre haute fonction publique et grands postes privés, industriels et bancaires. En juin 1941, le rapport le plus célèbre sur la synarchie, celui du secrétaire général à la police (poste qu’occuperait Bousquet d’avril 1942 à décembre 1943) et directeur général de la Sûreté nationale, Henri Chavin [8], classa ainsi les grands « affiliés » en fonction de leur vivier : « 1° Anciens élèves de l’École Polytechnique (c’est la grande majorité) appartenant à l’administration, à la banque et à l’industrie. 2° Anciens élèves de l’École centrale (quelques clients). 3° Anciens élèves de Sciences politiques (notamment de nombreux inspecteurs des Finances). 4° Conseil d’État (assez nombreux éléments). 5° École normale supérieure (quelques éléments). 6°. Enfin quelques médecins et personnalités diverses » [9].

La synarchie s’était étoffée depuis 1922 mais son noyau dirigeant restait étroit : en octobre 1937, « les milieux cagoulards » confièrent aux Renseignements généraux que c’était « un Comité secret économique, composé de 30 membres », dont Lemaigre-Dubreuil (maître du groupe Lesieur et autres huiles, dont la Société générale des huiles de pétrole), qui avait chargé certains sicaires de leur propre organisation d’exécuter (le 25 janvier précédent) le (petit) synarque russe Navachine [10]. La liste Chavin des « 46 affiliés les plus importants », déjà mentionnée, souligna l’importance du noyau fondateur de la banque Worms : dirigeants de banques ou d’entreprises et chefs d’administrations, alors ministres ou secrétaires généraux (grande institution étatique vichyste), ils étaient tous, sauf Du Moulin de Labarthète, homme-lige des De Nervo, liés aux banques Worms, Lehideux et d’Indochine. À l’exception de deux recrues « idéologiques » - l’ancien syndicaliste des Postes René Belin, premier lieutenant et successeur présumé de Jouhaux, et le publiciste de droite Jacques Benoist-Méchin -, on n’y trouvait que des hauts fonctionnaires et des cadres dirigeants du groupe Worms : il s’agissait des « animateurs de 1e classe, des hommes qui ne sont pas considérables dans la hiérarchie capitaliste, comme Jean Coutrot, Gabriel Le Roy Ladurie [fondé de pouvoir de la banque Worms] et tant d’autres », beaucoup plus que des « chefs héréditaires de l’économie française, qui ont toujours voulu demeurer dans l’ombre. » [11]

Le noyau des « Deux Cents Familles » (les 200 plus gros actionnaires de la Banque de France) formant la synarchie, club de grands banquiers et industriels [12], régnait sur la Confédération générale de la Production française. Celle-ci avait changé de nom en juillet 1936, devenant Confédération générale du patronat français pour rendre plus efficace la guerre de classes, après la sérieuse alerte de mai-juin. Elle avait changé de président, débarquant officiellement l’« animateur de 1e classe » René Duchemin, roi de la chimie lourde (président de Kuhlmann), membre du Comité des experts initiateur en 1926 du programme déflationniste (des salaires) de Poincaré, fondateur du cartel international de la chimie en 1927 et devenu à cette date membre du petit groupe qu’avaient créé en septembre 1926 à Luxembourg les fondateurs (dont la dynastie Wendel) du cartel international de l’acier, le « comité franco-allemand d’information et de documentation » (CFAID) - ancêtre inconnu mais incontestable du Comité France-Allemagne de Ribbentrop de novembre1935 -, régent de la Banque de France depuis janvier 1933, etc. Duchemin fut maintenu au sommet réel de la CGPF, mais, son nom étant officiellement lié à la signature des accords Matignon (8 juin 1936) qu’il fallait rejeter au plus tôt, il fut publiquement remplacé par un « animateur » de moindre rang, l’idéologue Claude-Joseph Gignoux.


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