Commentaire de Vivre est un village
sur Annie Lacroix-Riz dénonce, faits à l'appui, la non-épuration des collabos et s'attire les foudres de la censure


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Vivre est un village Vivre est un village 5 mars 2020 10:33

Ces formules trompeuses, toujours utilisées par ces partenaires d’une « alliance [de classes] étrange » ou contre nature (Marc Bloch) [41], désignaient respectivement la guerre sociale et la quête éperdue d’un accord avec le Reich. Notons pour mémoire que les synarques syndicalistes, aussi liés à l’Allemagne que l’étaient leurs tuteurs patronaux, reçurent dès avant la guerre des financements allemands. Au congrès de la SFIO de mai 1939, Jules Moch, passé par « X-Crise » mais aucunement tenté par le nazisme (notable exception), lança un brûlot : « Une propagande habile, organisée sans doute par la Maison Brune [siège du NSDAP à Paris], a créé un trouble dans nos organisations syndicales » [42]. Les liens entre le camp syndicaliste « pacifiste », les synarques, dont Anatole de Monzie, truchement politique et gouvernemental d’Hippolyte Worms depuis la Première Guerre mondiale et une des « personnalités importantes » de la synarchie [43], et Otto Abetz, délégué de Ribbentrop, pourrisseur de la presse et des partis français pendant toute la décennie d’avant-guerre (avant de régner comme « ambassadeur du Reich » dans Paris occupé de juin 1940 à août 1944), sont avérés dans la phase préparatoire et consécutive à la conférence de Munich [44]. Il reste aux historiens à labourer ce champ quasi vierge, que Marc Bloch, dans L’étrange défaite, a commencé à défricher sans citer ni le nom de Syndicats ni celui de ses chefs unanimes à présenter aux auditoires syndicaux l’Allemagne nazie comme inoffensive ni celui de leurs bailleurs de fonds synarchiques [45]. Cet aspect essentiel des choses fait défaut au Dictionnaire du mouvement ouvrier dit Maitron, quasi muet, muet ou erroné sur les activités des leaders de Syndicats entre 1938 (et surtout 1940) et 1944 [46].

Le communiste Pierre Hervé fit écho à Valois en 1945 en rappelant qu’« aux “journées d’information” » de Pontigny de juin 1938, on avait vu « les “syndicalistes” Belin, Lefranc, Lacoste, [Lucien] Laurat [47], conférer et banqueter avec M. Detœuf (de la Banque de Paris et des Pays-Bas), associé d’Ernest Mercier, du trust de l’électricité, administrateur de l’Alsthom), avec M. Guillaume de Tarde (adjoint à Daniel Serruys, de la banque Lazard frères), avec M. [Alfred] Lambert-Ribot ([vice-président] du Comité des Forges) et avec d’autres délégués des banques et des trusts » [48] - tous synarques incontestés, sauf Lambert-Ribot, très probable, en tout cas strictement entouré de synarques [49].

Ce genre de manifestations tapageuses perdit en intérêt après les revers subis par la classe ouvrière. La synarchie eut moins besoin d’afficher ses auxiliaires syndicaux après l’échec de la grève générale du 30 novembre 1938 - soigneusement préparé par Jouhaux et Belin, en compagnie notamment des synarques du ministère des travaux publics Anatole de Monzie et Jean Berthelot [50] - et la répression consécutive, étapes cruciales du « Munich intérieur ». Barnaud put signer dans le n° 36 des Nouveaux Cahiers du 15 décembre 1938 un éditorial triomphant, « Après la grève générale ». Le grand banquier y enjoignait le syndicalisme congru de rendre définitif le fiasco des « représentants communistes qui l’avaient réclamée » en fonction de « considérations politiques, notamment de politique étrangère ». Il avouait son impatience de les chasser des syndicats : « la seule “victoire” du patronat devrait consister dans l’espoir de voir, à la suite de cette journée, la classe ouvrière mettre partout à la tête de ses multiples organisations syndicales des hommes de valeur, compétents, désintéressés, et jouissant d’une autorité incontestée sur les adhérents de leurs syndicats. » [51]

Moins d’un an plus tard, cette alliance permit de « mettre partout à la tête [des…] multiples organisations syndicales » les confédérés bénéficiaires de cet éloge indu : peu « désintéressés » et sans « autorité » sur les masses ouvrières, ils durent prendre d’assaut des syndicats aux effectifs en chute libre. L’État et son appareil policier et judiciaire assurèrent à dater de septembre 1939 la mise sous les verrous et la traduction en justice des dirigeants unitaires, que leurs adversaires avaient évincés de la CGT sous prétexte de non-condamnation du pacte germano-soviétique. Le grand patronat synarchique rendit ainsi aux chefs confédérés la mainmise, très ébranlée depuis 1935-1936, sur les syndicats « épurés » : il plaça là les courants « centriste » (de Jouhaux) et Syndicats (de Belin) grâce à la mise hors-jeu des adversaires communistes voués à la prison ou à la clandestinité par le décret du 26 septembre 1939 interdisant le parti communiste et organisations associées ou assimilées (et autres décrets semblables). Il leur garantit simultanément la pérennisation de cette hégémonie forcée.


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