Commentaire de Étirév
sur Le remède miracle


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Étirév 12 avril 2021 09:54

Le « ménage » des Abeilles...
Après la fécondation des reines, si le ciel reste clair et l’air chaud, si le pollen et le nectar abondent dans les fleurs, les ouvrières, par une sorte d’indulgence oublieuse, ou peut-être par une prévoyance excessive, tolèrent quelques temps encore la présence importune et ruineuse des mâles. Ceux-ci se conduisent dans la ruche comme les prétendants de Pénélope dans la maison d’Ulysse. Ils y mènent, en faisant carrousse et chère lie, une oisive existence d’amants honoraires, prodigues et indélicats : satisfaits, ventrus, encombrant les allées, obstruant les passages, embarrassant le travail, bousculant, bousculés, ahuris, importants, tout gonflés d’un mépris étourdi et sans malice, mais méprisés avec intelligence et arrière-pensée, inconscients de l’exaspération qui s’accumule et du destin qui les attend. Ils choisissent pour y sommeiller à l’aise le coin le plus tiède de la demeure, se lèvent nonchalamment pour aller humer à même les cellules ouvertes le miel le plus parfumé, et souillent de leurs excréments les rayons qu’ils fréquentent. Les patientes ouvrières regardent l’avenir et réparent les dégâts, en silence. De midi à trois heures, quand la campagne bleuie tremble de lassitude heureuse sous le regard invincible d’un soleil de juillet ou d’août, ils paraissent sur le seuil. Ils font un bruit terrible, écartent les sentinelles, renversent les ventileuses, culbutent les ouvrières qui reviennent chargées de leur humble butin. Ils ont l’allure affairée, extravagante et intolérante de dieux indispensables qui sortent en tumulte vers quelque grand dessein ignoré du vulgaire. Ils affrontent l’espace, glorieux, irrésistible, et ils vont tranquillement se poser sur les fleurs les plus voisines où ils s’endorment jusqu’à ce que la fraîcheur de l’après-midi les réveillent. Alors ils regagnent la ruche dans le même tourbillon impérieux, et, toujours débordant du même grand dessein intransigeant, ils courent aux celliers, plongent la tête jusqu’au cou dans les cuves de miel, s’enflent comme des amphores pour réparer leurs forces épuisées, et regagnent à pas alourdis le bon sommeil sans rêve et sans soucis qui les recueille jusqu’au prochain repas.
Mais la patience des abeilles n’est pas égale à celle des hommes. Un matin, un mot d’ordre attendu circule par la ruche. On ne sait qui le donne ; il émane tout à coup de l’indignation froide et raisonnée des travailleuses, et selon le génie de la république unanime, aussitôt prononcé, il emplit tous les cœurs. Une partie du peuple renonce au butinage pour se consacrer aujourd’hui à l’œuvre de justice. Les gros oisifs endormis en grappes insoucieuses sur les murailles mellifères sont brusquement tirés de leur sommeil par une armée de vierges irritées. Ils se réveillent, béats et incertains, ils n’en croient par leurs yeux, et leur étonnement a peine à se faire jour à travers leur paresse comme un rayon de lune à travers l’eau d’un marécage. Ils s’imaginent qu’ils sont victimes d’une erreur, regardent autour d’eux avec stupéfaction, et, l’idée-mère de leur vie se ranimant d’abord en leurs cerveaux épais, ils font un pas vers les cuves à miel pour s’y réconforter. Mais il n’est plus, le temps du miel de mai, du vin-fleur des tilleuls, de la franche ambroisie de la sauge, du serpolet, du trèfle blanc, des marjolaines. Avant qu’il se soit rendu compte de l’effondrement inouï de tout son destin plantureux, dans le bouleversement des lois heureuses de la cité, chacun des parasites effarés est assailli par trois ou quatre justicières...
« Liberté : chez le barbare, celle de prendre, et surtout de détruire. Chez le civilisé, celle de créer et de donner. Dans l’ordre social, c’est la recherche d’une organisation assurant le don mutuel : le communisme inséparable, chez les civilisés, de la Monarchie de droit divin. Régime quéchua de la culture obligatoire des terres du soleil, de celles des veuves, des orphelins, des infirmes, des particuliers, enfin des domaines de l’Inca. Régime égyptien du Nouvel Empire, dans lequel le gouvernement se réservait le commerce international et laissait aux particuliers le seul commerce intérieur. Expérience perse de Mazdek sous le Roi Kavâdh, en 488 : communauté des biens et des femmes, abolition de tous les privilèges. Nous ne citons ces tentatives politiques et sociales qu’en corrélation avec notre théorie de la mémoire obscurcie depuis l’âge d’or de la Révélation, époque que caractérisait vraisemblablement une structure sociale à base de communisme et de monarchie théocratique dont l’emblème, l’Abeille (Reine et dans le même temps sorte de Déesse-Mère, aujourd’hui encore image vivante du Matriarcat naturel et de la Féminité de la Manifestation), dont l’emblème, dis-je, était encore, sous le nom de « biti », porté également par le Roi, celui de la Royauté en Basse-Egypte à l’époque archaïque. Ainsi donc, le Roi historique de l’Egypte d’il y a cinq mille deux cents ans porte encore le titre de Biti, Abeille, et il a cet insecte pour emblème. L’analogie s’étendant à la Monarchie elle-même, nous obtenons le communisme matriarcal de la Ruche. Ajoutons encore que c’est vraisemblablement par association avec la liliacée de la Haute-Egypte, l’abeille des jardins et celle de la monarchie contemporaine et amie du Delta, que l’Egéide minoénne a pris pour emblème de la royauté le Lys, adopté plus tard par les Capétiens, comme l’abeille l’avait été par les Mérovingiens. » (O.V. de Lubicz-Milosz, Les Arcanes)


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