Commentaire de philippe boisnard
sur Les beaux et les normaux
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Chère Natacha Q/S
Oui, texte bien écrit, au style impeccable, même si parfois donnant davantage l’indice d’un exercice de style que d’une réflexion tenue et appuyée. Texte ne permettant pas ainsi de saisir parfaitement ce qu’il veut signifier in fine. Combien peuvent être redoutables les métaphores, mais aussi combien elles peuvent noyer un propos quand elles ne se haussent guère au-delà des clichés, quand elles ampoulent inutilement le sens du dire, combien elles peuvent fasciner au point de ne plus voir autre chose que leurs noeuds, leurs jeux, le sens s’étant effacé à leur seul profit.
Mais ce qui m’intéresse, c’est votre fin, cette finalité (sorte de téléologie de l’esprit) que vous posez à l’instar de Bergson. Car il s’agit bien de lui en fait dans votre humeur, et de nul autre. Opposition entre matière/esprit, entre un matérialisme et de l’autre une spiritualité à venir.. Pensez-vous que nous puissions encore tenir dans une telle dichotomie le devenir historique du monde, et la dimension concrète de l’existence humaine ?
Est-ce que Bergson posant cela, et se posant dès lors aussi dans une sorte de finalisme (cf. L’évolution créatrice ou encore La conscience et la vie) justement ne retombe pas dans une sorte de dualisme métaphysique, héritée de la philosophie traditionnelle ? Dualisme qui propose une téléologie du sens de l’existence humaine à travers la question d’une vérité de la liberté ?
Pour revenir à ce qui précède : le matériel (donc ce qui tombe dans la quantification) est ce qui est donné au peuple en tant qu’idéalité d’un soi impossible à devenir autrement que sous la question du fantasmé (rêve contre veille). Le matériel serait ainsi l’image de l’impuissance de soi des masses, devant dès lors accepter sa condition comme l’imparfait de ce qui se donne et se quantifie au niveau du spectacle. Mais est-ce si certain ? Est-ce que cette relation par privation et castration est bien celle qui définit spectateur/acteur public ?
En d’autres termes, est-ce que justement on ne pourrait pas aussi - en se détachant de votre analyse et dans une certaine mesure de celle qu’avait donnée Aubenas et Bennassayag dans La fabriquation de l’information) - penser que le spectacle n’est pas à penser comme castrateur mais comme énergie vampirisée par la masse, afin justement de se définir. Est-ce que le spectacle, et par exemple la Real-TV, ne seraient pas des lieux où justement il y a par différenciation possibilité pour la masse d’atteindre certaines formes d’intellection (cf. à l’époque les analyses de Schneiderman par rapport au 1er Loft) ?
Justement, l’autre n’est pas seulement celui qui, (par sa matérialité maîtrisée) me renvoie à l’imperfection de ma matière, mais c’est aussi celui qui, par l’occasion de sa présentation, implique chez le spectateur la possibilité critique au niveau du discours, et en cela la possibilité d’une respiritualisation de son existence par la différenciation de soi et d’autrui. Non pas alors une vérité mais plusieurs vérités se croisent, selon la reprise de chacun. Non pas une masse, mais une multitude de réactions, qui s’autonomisent à travers la dialectique de leur reprise.
On juge avec trop de pédenterie et de mépris la relation spectacle/spectateur au niveau des masses. Comme si tout le monde pouvait suivre toute forme de culture et de spiritualisation culturelle. Justement nous sommes dans une époque, où la fragmentation du sens, son éparpillement à travers des intérêts personnels définis, impose de réfléchir sur la différence et non pas l’unité d’une vérité. Les Beaux ne sont pas tenus dans une seule vérité pour les individus, mais chaque individu selon son vécu, reprend cette image et va construire par cette reprise son vécu de sens de son existence. C’est la même chose que font les intellectuels face aux livres qu’ils lisent, mais selon le degré de complexion qui les anime, ils se définissent par différenciation, et s’individualisent par le croisement de leurs lectures.
En ce sens, « les beaux » ne sont pas seulement des référentiels castrateurs, mais ils peuvent être des contrepoints pour la constitution de soi. Ce sont des signifiants qui n’impliquent pas seulement une mimésis esthétique ou sociale, mais aussi les occasions de penser pour soi sa propre différence.
bon, voilà, peut-être trop long ce que j’ai écrit, peut-être pas aisé à suivre, mais en ouverture de discussion en tout cas.