L’Ankou 5 décembre 2012 12:54

Merci pour votre contribution. Si votre ton reste polémique, au moins vos idées sont-elles exprimées de façon ouvertes, qui invite au débat dans tout ce que la controverse peut avoir de constructive.

Sur l’argument juridique 

Le mariage est une institution qui jouit d’un passé aussi vaste que complexe. Son sens s’est enrichi de sens encore présents en strates successives. Vous parlez à raison de la forme actuelle du mariage car il en a de nombreuses, mais vous isolez une strate qui est celle de la fondation d’une famille. Force est de constater que le mariage reste valable quand bien même ses membres d’en fonderaient aucune au delà de leur couple. Fonder une famille n’est pas une condition nécessaire, non plus que suffisante puisque d’autres formes d’union, et notamment l’union libre, permettent également de fonder l’équivalent d’une famille dans un cadre extra-conjugal.

Dès lors que la famille et le mariage sont indépendants, il me semble que vous vous opposez à tort à ce qu’on puisse traiter l’un sans l’autre.

Mais je ne suis pas de ceux qui se contentent d’éluder la question. Vous avez peut-être tort de mêler la famille au débat, mais dans ’hypothèse contraire, je tiens à examiner votre raisonnement :

Vous dites que l’union homosexuelle est stérile « par définition ». Si ce n’est qu’une question de définition, alors il s’agit d’une dimension culturelle sur laquelle l’Homme, la Société, l’Histoire ont une action possible. A ce titre, je dois vous faire remarquer que si le couple homosexuel est composé de deux personnes non stériles, il est loisible à chacun d’avoir des enfants de son côté, d’une façon naturelle ou d’une façon artificiel. D’une façon ou d’une autre, il existe actuellement dans les 30 000 enfants qui vivent avec un parent qui vit maritalement avec une personne de même sexe. La « stérilité des couples de même sexe » n’est que l’expression que vous avez délibérément choisie pour exprimer sous forme d’impossibilité quelque chose qui existe bel est bien. Le déni de réalité que vous espérez, par votre définition, bouter dans le camp des partisans du mariage pour tous, s’avère donc précisément dans le vôtre.

Vous avancez par ailleurs qu’il est absurde d’inventer un régime juridique ou d’étendre un régime existant pour gérer une situation impossible en fait. ceci m’ouvre un nouveau boulevard de remise en question de votre raisonnement : dénier à une situation juridique le droit de réglementer une situation apparemment impossible ou anormale révèle votre méconnaissance de l’idéal même de la loi.

On parle d’État « Civil ». Je défends la thèse que cette « civilisation » passe par le fait de suppléer à la nature quand elle ne nous satisfait pas, voire de la contredire ouvertement. Je tiens à ce titre tout le droit pour l’instauration de fictions qui n’ont en rien à rechercher le « vrai », non plus qu’à se contenter de reproduire en texte ce que le monde, l’environnement, la physique ou la génétique nous impose.

Toute la grandeur « civilisationnelle » de l’art juridique est dans les fictions qu’elle impose. Posons ici des jalons pour la suite, et parlons de présomption de paternité et d’adoption. La nature impose, si on la laisse faire, qu’un enfant naisse d’un père et d’une mère. Il se trouve que la même nature, toujours si on la laisse faire, peut priver l’enfant d’un ou deux parents. Cette même nature donne peu de chance de survie aux orphelins. C’est là que la civilisation lui botte les fesses en imposant un ordre humain de solidarité, qui substitue un parent naturel manquant (défunt, par exemple) par un parent adoptif. Et pour rendre tout ça très clair, on grave cette possibilité contre-nature dans la loi.

La présomption de paternité que vous évoquez est également une fiction juridique qui, avant qu’on puisse établir une filiation génétique par l’ADN, avait la vertu d’imposer que l’époux de la mère ne se défile pas de ses responsabilités paternelles, même si le nez et les oreilles de l’enfant évoquaient furieusement ceux du jardinier. Bien sûr que c’est un mensonge. C’est un mensonge indispensable qui apporte plus de possibilité de bonheur que la vérité. C’est un mensonge légal, une fiction juridique, une civilisation.

Tout ça pour vous convaincre que la Loi doit s’opposer à une prétendue « nature », imposer une « contre-vérité » scientifique, parce que sa vocation est de défendre un ordre humain contre les injustices « naturelles » voire divines, contre les anomalies, les coups du sort, les revers de fortune, etc.

Mesurez la porté de votre argument quand vous vous révoltez contre l’apparence d’un mensonge légal, sans vous être aperçu qu’on vous mentait depuis le début et qu’on ne cesse de vous mentir. Vous pouvez, à la limite, indiquer que ce nouveau mensonge est juste un peu moins crédible que les précédents auxquels vous acceptiez plus volontiers de croire. Mais ce que vous révélez, c’est l’étendue de votre complaisance aux mensonges précédents, ou peut-être votre naïveté, mais certainement pas un bouleversement de l’ordre du monde qui mettrait du mensonge où ne régnait que vérité !


Voyez l’autre bout de la lorgnette, si vous voulez  : Si des vérités sont dans la nature, dans la physique, dans la science, à quoi bon serait-il nécessaire de les inscrire aussi, en plus, dans les lois ? La loi n’a pas à être fidèle au monde, ni à une image scientifique du monde... Elle ferait double emploi avec ce monde, et tout ce qu’elle arriverait à faire c’est d’en retarder la compréhension (voir Galilée, Copernic, Darwin, tout ça...). A quoi servirait-il d’inscrire dans un code, les lois de conservation de la matière, celle de l’attraction universelle ou les lois de Mendel ?

Si les libertés existent, c’est pour laisser au génie humain la possibilité d’échapper aux contingences naturelles, s’affranchir de la pesanteur, s’éclairer dans les ténèbres, franchir les horizons, faire reculer la mort, vaincre la maladie, l’impuissance, la stérilité. Et si la Loi existe, c’est justement pour éviter que les libertés n’empiètent les unes sur les autres. Et ça seulement, si c’est une bonne loi.

Sur l’argument historique

« Le mariage est une institution », oui, par opposition au contrat. Le contrat ne produit d’effet qu’à l’égard des parties. L’institution en produit à l’égard des tiers. C’est une définition juridique, à mille lieues de toute référence à une tradition. 

Cette erreur de définition vous amène, ce n’est pas une surprise, à défendre des traditions, des valeurs héritées du passées, les trésors passés d’une institution-héritage, sans même vous rappeler qu’il n’y a pas si longtemps, le sens de cette institution était de permettre que le patrimoine de l’épouse, incapable en droit, et son patrimoine, passent de la tutelle de son père à la tutelle de son époux. Est-ce bien ça, votre héritage historique ?

Je reviens vous expliquer que le reste de votre pensée ne mérite pas tellement plus de considération. A tout à l’heure.


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