Denis Langlois Denis Langlois 21 février 2007 09:44

Si votre question est une insinuation, elle tombe totalement à plat.

Je suis à présent avocat honoraire, mais lorsque j’exerçais la profession d’avocat, je ne me faisais jamais payer. (Je vivais de mes droits d’auteur.) Naïvement, mais en accord avec ma conscience, je préparais une société où l’argent n’aurait plus aucune importance ou même n’existerait plus. J’ai d’ailleurs consacré plusieurs pages - où l’humour n’est, je l’espère, pas absent - à cette question dans mon livre « L’utopie est morte ! Vive l’utopie ! ». Je me fais un plaisir de vous les citer :

" Et l’argent ? Y aura-t-il encore de l’argent ? Là, ce n’est plus une question, camarades, c’est une obscénité. Vous voulez parler de fric, de pèze, de flouze ? Pour un révolutionnaire, tout cela est dégoûtant et salit les doigts. La société que l’on veut jeter bas est d’ailleurs répugnante parce qu’elle est infectée, gangrenée par l’argent. C’est là l’obsession du capitaliste qui l’entasse, qui le thésaurise, qui le capitalise, qui s’en sert pour écrabouiller les autres.

Un révolutionnaire est bien obligé de se servir de l’argent, mais lui c’est seulement pour vivre, parce qu’il ne peut pas faire autrement, certainement pas pour l’empiler. Un révolutionnaire est fauché mais il a les mains propres, donc il est plus riche que le capitaliste. À la Bourse des valeurs révolutionnaires, une conscience nette vaut plus qu’un compte en banque bien garni.

Dès que l’argent se glisse quelque part, c’est foutu. Ça rend arrogant ceux qui en ont et jaloux ceux qui n’en ont pas. C’est d’ailleurs vrai pour toute propriété privée. Alors, le révolutionnaire va supprimer l’argent. Il rêve d’une société où cet excrément n’existera plus et ne corrompra pas le Monde nouveau qu’il va construire.

Une société de troc alors ? Non, d’échange. Le mot est plus beau. Tu me donnes, je te donne. J’échange mon travail contre le tien. Je fournis tout ce que je peux, je reçois tout ce dont j’ai besoin. Je ne suis plus exploité, tu n’es plus exploité. Nous ne sommes plus des objets standards, des marchandises. Je ne possède rien, nous possédons tout. C’est normal, puisque nous sommes des frères et des sœurs, ou des sœurs et des frères. Des compagnons, puisque le compagnon (ou la “compagnonne”) est, selon l’étymologie, celui avec qui on partage le pain.

Plus de prix, plus de marché, plus de profit éhonté. Mais comment fixer la valeur de ce que chacun apporte ? Comment éviter que le travail de l’un, parce qu’il est plus rare, vaille davantage que le travail de l’autre plus courant, plus banal ? Comment empêcher que le travail intellectuel ne soit mieux coté que le travail manuel ? Comment éviter que la fameuse loi de l’offre et de la demande, celle de l’affreux marché et de son rapport de forces, ne ressurgisse ?

Hors-jeu, chers camarades ! C’est ici que l’arbitre du jeu révolutionnaire - et j’ai le redoutable honneur d’être ici cet arbitre - doit siffler la faute. Avec des questions comme ça, on sort des limites du terrain, on fait le lit de l’adversaire. Ce sont donc des questions qu’il vaut mieux éviter de poser. À la rigueur on peut y répondre en disant que le Monde étant nouveau, la propriété privée ayant dans sa plus grande partie disparu, les individus auront des attitudes nouvelles que personne ne peut même imaginer...

Bref, il n’y aura plus d’argent et cela fonctionnera parfaitement. C’est tout dire, on oubliera même le temps où ce déchet dégueulasse, corrupteur, coulait dans les caniveaux puants, pestilentiels, de la société honnie - honni soit qui mal y dépense - et heureusement disparue.

D’ailleurs il faut bien se mettre dans la tête que nous raisonnons actuellement comme nous raisonnons parce que nous vivons dans une société égoïste, matérialiste et avariée. Si nous la renversons, si nous adoptons de nouvelles valeurs, nous raisonnerons forcément d’une autre façon. Comment ? Je n’en sais rien. Personne ne peut le savoir, puisque cela n’existe pas encore et qu’on ne peut pas imaginer le Monde nouveau qui existera alors. Je me répète ? C’est vrai. Mais vous aussi, camarades, avec vos interrogations absurdes et vos difficultés à imaginer l’Inimaginable.

Un conseil seulement : Ne brûlez pas tout de suite vos billets de banque, même s’ils sont très sales. Nous ne sommes pas encore dans le Monde nouveau. Ca peut encore servir. D’ailleurs, le jour venu, vous n’aurez même pas besoin de brûler vos billets. Ils n’auront plus aucune valeur. Irrévocablement démonétisés, ils s’envoleront au vent de l’Histoire. Ils se retrouveront sur le carreau, piétinés par le peuple en marche. Ceux qui le voudront s’en serviront pour tapisser leur chambre, mais ce sera considéré comme de fort mauvais goût et, puisque dans le Monde nouveau personne n’aura mauvais goût, l’argent ne sera même pas utilisé pour recouvrir les murs des pissotières.


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