@Mélusine ou la Robe de Saphir.
La classe, et l’aura d’un auteur, ou d’un peintre, c’est quand devant une situation, un paysage, on puise dire avec l’assurance d’un expert : « C’est un Monet ». Ou un Matisse, quand devant une fenêtre ouverte en été, le jardin en fleurs nous éblouie.

Quelques génies ont réussi ainsi à nous imposer leur signature quand on regarde une situation, sans qu’on la voie et qu’on ait à payer des droits d’auteur. Les cimaises sortent parfois des musées, et même la Joconde prend parfois l’autobus, avec Queneau et ses exercices de style !
Sempé est peut être le seul dessinateur de presse, chez lequel je reconnais ce privilège. Avec peut être Dubout, qui lui aussi faisait dans la fascination des foules, sur un mode grivois, mais efficace, quand il dessinait par exemple la caravane du tour de France, ou les cordées d’alpinistes en été.
Des dessinateurs qui poussent le vis à mettre des petits bonhommes partout, pour nous montrer l’importance de la foule, bien loin du mythe de Robinson, de la volonté illusoire de prendre la large en faisant des alexandrins, autre mantra de Sempé. 
Les grosses dames abusives de Dubout ne passeraient plus aujourdh’ui à la moulinette du genre. Les censures les plus efficaces sont celles qu’on s’impose tout seul, en se conformant aux temps furieux. 
L’humour chez Sempé tient à une situation, parfois scabreuse, ou l’ironie ressucite la vie, et ressucite en vous le sourire qu’on pensait impossible. Au coeur de la tragédie, c’est la petite fleur qui se cramponne sur le balcon crevée, et qui vous montre la voie à suivre. 
 La photo d’une bibliothèque à ciel ouvert, bombardée par le blietzkrieg à Londres, dans laquelle deux lecteurs explorent les étagères dévastées, cherchant toujours le livre rare, me semble être de la même veinel. Du Sempé avant la lettre ! 
Il faisait partie des gens qui aident à poser le regard où il faut, et nous aident à vivre.
Les tyrans construisent des murs. Les poètes font des trous dedans.