emile wolf 24 avril 2012 21:09

Je ne suis pas zélateur de Nicolas Sarkozy, je n’apprécie pas les qualités, toutefois pour les motifs exposés ci-après il me semble prudent de ne pas le mettre en cause dans l’affaire Karachi.

Au siècle dernier, le 19 novembre 1993 est immatriculée sous le n° B 45636 au Registre du Commerce de Luxembourg la Société de Développement International Heine S.A. Ses statuts ont été reçus par Maître Alphonse Lentz, Notaire. Elle est domiciliée tout à tour 6, rue Heine L-1720 Luxembourg, puis au 41 avenue de la Gare L-1611 et enfin au 1, Place du Théâtre L-2613 Luxembourg. Elle cesse ses activités le 23 juillet 2010. A entendre et lire les uns et les autres cette société aurait pour principal actionnaire la DCNI une société anonyme appartenant à la Direction des Constructions Navales, une entreprise de l’Etat, qui est devenue depuis la DCNS, une entreprise publique. Ces renseignements sont faux.

Une note découverte lors d’une perquisition effectuée à la DCNS en novembre 2007, nous apprend que la SDI Heine SA fut créée avec l’aval de Nicolas Bazire, directeur de cabinet d’Edouard Balladur, Premier Ministre depuis le 29 mars 1993 et de Nicolas Sarkozy, Ministre du Budget depuis le 30 mars de la même année. Faux ! La SDI Heine est une société anonyme luxembourgeoise créée en 1993 par la Simker Ltd sociéte résidente à l’Ile de Man.

D’autre part, les autorités françaises concernées par la vente d’armes à l’étranger sont définies par l’article 2 du décret 55-965 de 1955, pour constituer la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG).

Cette commission est composée :
Du secrétaire général permanent de la défense nationale ou son représentant, président.
D’un représentant du ministre des affaires étrangères ;
Des représentants du ministre de la défense nationale et des forces armées (état-major des forces armées, direction des services financiers et des programmes).
Un représentant du ministre des finances et des affaires économiques.
Un représentant du secrétaire d’Etat à la défense et aux forces armées (armement).

La commission peut entendre, en outre, suivant la nature des questions inscrites à l’ordre du jour et sur convocation de son président, des représentants des divers ministres et secrétaires d’Etat intéressés (France d’outre-mer, Etats associés, intérieur, industrie et commerce, affaires économiques, forces armées, air, marine, guerre) et, plus généralement, toute personne qualifiée.

Les représentants désignés par les ministres et secrétaires d’Etat pour assister aux réunions de la commission doivent avoir qualité pour opérer à l’intérieur de leur département ministériel les liaisons indispensables à l’instruction des affaires et être habilités à apporter en séance un avis engageant leur ministre.

Le Ministère du budget ne fait nullement partie de cet aréopage. Nicolas Sarkozy, auquel son passé et sa fonction ne confère aucune qualification dans ces domaines, se serait donc, une fois encore, mêlé de ce qui ne le regarde pas à en juger par les dires de Patricia Laplaud, fonctionnaire à la Direction du Budget : «  Le Ministère du Budget s’opposait alors à l’agrément de ce contrat. » Propos qu’elle souligne : "Le Quai d’Orsay et le ministère de la défense voulaient ce contrat, pas le Budget. » Elle ajoute avoir fait de nombreuses notes sur ce sujet à Edmond Alphandéry, ministre de l’économie et des finances, et Nicolas Sarkozy, ministre du budget et indique que les «  deux ministres étaient d’accord avec la ligne proposée par l’administration. Sur un plan technique, la direction du budget a toujours été opposée au contrat de vente de sous-marins au Pakistan. Nous étions en effet inquiets de la situation financière de ce pays. »

La fondation de l’entreprise luxembourgeoise aurait eu pour motif le versement de commissions discrètes sur la vente d’armes aux acheteurs d’états étrangers. Suite à cette prétendue « mise en place » deux contrats vont être signés. Le premier, appelé Agosta avec le Pakistan pour 5,415 milliards de francs (826 millions €) le 21 septembre1994, le second sous le nom de Sawari II, avec l’Arabie Saoudite pour 19 milliards de francs (près de 3 milliards €) en novembre 1994 (Cour des Comptes). 

Toutefois au sujet d’Agosta, l’arrêt 05493 du 28 octobre 2005 de la Cour de discipline budgétaire et financière (Cour des Comptes), qui ne se préoccupe nullement des commissions, révèle qu’avant la signature de ce contrat deux notes de travail du 29 juin 1994 et du 3 août 1994, émanant de la DCN faisaient état d’un résultat prévisionnel en perte. La première l’évaluait à 650 millions de francs (99,09 millions €), la seconde à 310 millions de francs (47,26 millions €) tandis qu’une troisième note de décembre 1994, après la signature du contrat, confirmait une perte prévisionnelle de 583 millions de francs (88,88 millions €).

Selon le rapport de M.Porchier. Contrôleur Général des armées, le résultat de cette brillante opération est une perte nette supérieure à 76 millions € épongée par le contribuable. Elle est inférieure au montant des commissions versées. Celles effectivement distribuées à Sofma sont établies, en 1998 selon ce rapporteur, à un montant total d’environ 550 millions de francs soit environ 84 millions €. Du moins c’est le chiffre approximatif cité à la mission parlementaire. Celle-ci n’ayant, « secret défense » oblige, pas accès au rapport Porchier/Seigle doit s’en contenter. Monsieur Porchier ne distingue pas la SOFMA et SDI HEINE Sa dans sa déclaration. Toutefois, sur le rapport de la mission parlementaire, pour M. Gilles Seigle, qui assiste M. Porchier lors de ce contrôle en 1998, la perte est estimée à 1 milliard de francs (152 millions €) du fait d’un devis de fabrication sous-estimé de 300 millions, du transfert de technologie qui s’ensuivit et des frais commerciaux exceptionnels (les commissions) lesquelles sont prises en compte pour 550 millions. Ce montant d’un milliard de francs est confirmé par la Cour des Comptes en octobre 2001.

Les prévisions de perte n’auraient pas été rapportées au Ministre de tutelle par les responsables de la DCN. A ce sujet l’arrêt de la Cour des comptes de 2005 précise : « Aucune information sur des risques financiers liés à la vente n’a été portée à la connaissance du ministre des finances en réponse aux inquiétudes de ce dernier exprimées lors des réunions interministérielles de juin et juillet 1994, au cours desquelles ont été discutées les conditions de financement à offrir au Pakistan  » et constate : «  les premières notes d’information officielles sur le montant des pertes destinées au ministre datent de 1997. »
http://www.ccomptes.fr/fr/CDBF/documents/ARR/Arret05493.pdf. Il convient de noter que le ministre du budget n’est pas évoqué et d’apprécier ici que la Cour des comptes amalgame risques financiers (solvabilité du client) et pertes générées par une mauvaise gestion des chantiers navals.  
  
Cet arrêt est pour partie contredit par :
- la découverte d’une note, classifiée « confidentiel défense » à destination des services d’Édouard Balladur qui exprimait les plus grandes « réserves à l’égard de ce projet, compte tenu de la situation financière précaire du Pakistan ». Rédigée le 23 mars 1993 cette note, adressée quelques jours plus tard à Nicolas Bazire, engageait le gouvernement à ne pas signer le contrat, qualifiant la vente de « déraisonnable » ;
- le journal les Échos faisant état d’un accord entre le ministère des finances et celui de la défense en octobre 1993 pour faire une nouvelle offre « visant à permettre à la DCN de s’aligner sur les prix des Suédois ». Lequel article, non démenti, témoigne que le prix de revient n’entrait pas en ligne de compte dans la décision du Gouvernement de décrocher cette commande.
- les déclarations de Patricia Laplaud, fonctionnaire à la Direction du Budget affirmant que ce ministère était hostile à l’affaire avec le Pakistan.
- celles du ministre Léotard qui confirme à la Mission parlementaire avoir su que le contrat Agosta engendrait des pertes et justifie la décision du gouvernement par la préservation d’emploi et de l’activité nationale d’armement : «  Il en est ainsi pour la plupart des contrats d’armement dès lors que l’on veut défendre une industrie. Voyez pour les chars Leclerc aux Emirats Arabes Unis et les avions Rafale. » .

Le contribuable est ravi d’apprendre qu’il finance l’équipement de forces étrangères afin que d’aucuns puissent recueillir les fonds nécessaires à leur campagne électorale. En effet, à en croire le Contrôleur Général Porchier : « Ce contrat permet le recyclage d’argent pas très net du côté du Pakistan et du côté français, il permet de verser des rétro-commissions. Il y a 10 % de rétro-commissions sur l’ensemble des FCE. Sur ces 10%, il y en avait une partie pour la campagne électorale de M. Balladur et une autre pour M. Léotard  » (pages 109-110 du rapport parlementaire n°2514 du 12 mai 2010 d’Yves Frémion). M. François Léotard n’a pas été candidat à la présidentielle et seuls 13.229.500 F, soit à peine 2 millions €, sont d’origine inconnue dans le compte de campagne d’Edouard Balladur. Dans quelles poches est passé l’argent de nos impôts ?

Le tome 1 du rapport de la mission d’information parlementaire sur les circonstances entourant l’attentat du 8 mai 2002 à Karachi précise en page 57 que la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) est constituée, selon l’arrêté du 2 octobre 1992. Il précise : «  L’autorité de décision est le Premier ministre, sur avis de la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). Présidée par le secrétaire général de la défense nationale, elle est composée de représentants du ministère des affaires étrangères et européennes, du ministère de la défense et du ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi  ».

Apparemment le Ministère du budget n’est définitivement pas concerné par cette commission. En effet, si depuis l’arrêté du 2 octobre 1992 ce ministère est compétent pour délivrer l’autorisation d’importation de matériel de guerre, il ne semble pas concerné par un agrément pour exporter celui-ci. Indépendant depuis le 2 avril 1992, en 1993 le Ministère du Budget n’est plus sous la tutelle du Ministère des Finances. Patricia Laplaud se mêle des affaires d’un ministère qui ne la concerne pas, en affirmant à la mission parlementaire « Karachi » que le Ministère du Budget s’opposait alors à l’agrément de ce contrat et dédouane le ministre en fonction. Bizarre, à tort ou à raison, en vertu du décret et de l’arrêté cité, ce ministère n’a pas voix au chapitre !
 
Les opérations d’exportation de matériels de guerre s’effectuent en deux phases :
- la première concerne la signature du contrat d’exportation. Toute opération de négociation, de vente effective, de signature ou d’acceptation de commande est soumise à l’agrément préalable du Gouvernement français. L’agrément préalable est donné par le secrétaire général de la défense nationale au nom du Premier ministre ;
- la seconde, l’exportation physique du matériel, ne peut ensuite être réalisée qu’après délivrance par le directeur général des douanes d’une autorisation d’exportation de matériels de guerre (AEMG), après avis conforme du ministère de la défense, du ministère des affaires étrangères et européennes, du ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi et du secrétaire général de la défense nationale au nom du Premier ministre.

Voici pour la procédure ! http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i2514-tI.asp

Selon ledit rapport parlementaire, Renaud Donnedieu de Vabres a déclaré : « Les relations entre le ministère de la défense et le ministère des finances ont été conflictuelles, comme c’est toujours le cas dans ce type de contrat. » pas question du Budget, ce ministère n’est pas l’annexe de celui des finances. De son côté, Patricia Laplaud récidive : « Le Quai d’Orsay et le ministère de la défense voulaient ce contrat, pas le Budget.  » Elle a prétendu avoir fait de nombreuses notes sur ce sujet à Edmond Alphandéry, ministre de l’économie et des finances, et Nicolas Sarkozy, ministre du budget et indiqué que les « deux ministres étaient d’accord avec la ligne proposée par l’administration. Sur un plan technique, la direction du budget a toujours été opposée au contrat de vente de sous-marins au Pakistan. Nous étions en effet inquiets de la situation financière de ce pays » Enfin, elle affirme : « La plupart des problèmes liés à ce contrat étaient réglés en 1993  » ce que confirme Henri Conze indiquant que la négociation était très avancée lorsqu’il est arrivé à la DGA (Direction Générale de l’Armement), en mai 1993, avant la réunion interministérielle du 2 juillet 1993. Si les problèmes inhérents au contrat étaient réglés en juillet 1993 pourquoi le contrat n’a-t-il été signé qu’un an plus tard et par quel biais le ministère de la défense impose-t-il le réseau K au printemps 1994 ?

 En supplément le prix de revient faisant ressortir des pertes compte tenu du prix de vente envisagé n’a été connu que par la note du 29 juin 1994 et la seconde estimation par celle du 3 aout 1994.  

Au vu de telles déclarations, il est difficile d’imaginer que Nicolas Sarkozy ait prêté main forte à la constitution de la SDI Heine Sa. D’autant que si pour certains, les conditions sont enfin réunies, après le 2 juillet 1993, pour créer le 19 novembre 1993 la Société de Développement International Heine S.A. Aucun contrat réel ne justifie encore son existence, le second réseau d’intermédiaires ne sera imposé qu’au printemps 1994 et il existe déjà des circuits pour régler les acheteurs soudoyés : la Sofma et la Sofresa. A moins, bien entendu, que tout ceci ne soit la réalisation pièce par pièce d’une machination destinée à profiter du « secret défense » qui permet tous les abus et détournements de fonds publics. Ceci expliquerait la passion de nos présidents à jouer, en dépit de la Constitution, les représentants de commerce en matériel de guerre.


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