Guy Penaud (---.---.0.217) 27 décembre 2006 17:43

PLAIDOYER POUR LA COUR DE REVISION

par Guy Penaud Commissaire principal de police honoraire Auteur de « L’ENIGME SEZNEC » (Editions de La Lauze)

Maître Yves Baudelot et maître Jean-Denis Bredin, avocats à la cour, ont évoqué, dans un long plaidoyer (« Guillaume Seznec restera donc coupable », « Le Monde » du 16 décembre 2006) l’arrêt de rejet de la demande de réhabilitation de Guillaume Seznec déposée, en 2001, par Marylise Lebranchu, alors Garde des sceaux. « Triste justice, incapable de reconnaître ses erreurs » n’ont-ils pas peur d’affirmer en terminant leur propos. Il convient de revenir sur les arguments qu’ils ont avancés pour en arriver à cette étonnante conclusion.

Comment d’abord ne pas être surpris par l’affirmation péremptoire par laquelle ils débutent leur argumentation : « Guillaume Seznec, l’homme qui a été condamné par erreur judiciaire le 4 novembre 1924... ». Simple effet de manche. Jusqu’à preuve du contraire, cet homme n’a pas été condamné par erreur judiciaire ni sa réhabilitation injustement rejetée de multiples fois (quatorze semble-t-il), car son cas a été examiné à diverses reprises par des juges ou jurés bretons en 1924 et, depuis, par de nombreux hauts magistrats. Tous ont estimé que la condamnation était totalement justifiée, n’hésitant pas à solidement argumenter leurs décisions.

Prétendre qu’on ne connaît guère, dans l’histoire de la justice criminelle, de procès dans lesquels se trouvent plus de doutes sur la culpabilité du condamné, c’est faire fi de nombreuses charges relevées à l’encontre de Guillaume Seznec, des nombreux mensonges du condamné ou des multiples tentatives de faux témoignages en sa faveur ourdies par l’intéressé avant le procès ainsi que de l’absence totale d’alibis de la part de Guillaume Seznec pour les moments clés de cette affaire criminelle (achat de la machine à écrire au Havre, expédition toujours du Havre du faux télégramme à la famille Quéméneur, dépôt de la valise de Quémeneur en gare du Havre, tentative de perception d’une lettre expédiée à Paris au nom de Quéméneur, etc.). Si Seznec était vraiment innocent pour quelles raisons n’a-t-il pas voulu ou pu fournir, au moment de l’instruction et du procès, ces éléments qui l’auraient probablement disculpé.

Pour ce qui est des « faits nouveaux » évoqués par Mes Baudelot et Bredin, tous ont été fort logiquement écartés par la Cour de révision.

Au sujet de la fameuse promesse de vente, les deux avocats nous apprennent dans leur plaidoyer que Guillaume « Seznec se savait pas se servir d’une machine à écrire »... affirmation pour le moins incongrue quand on sait que Seznec avait bien (avant celle achetée au Havre) plusieurs machines à écrire dont il se servait, et dont la dernière avait été donnée, quelques mois avant les faits, à son comptable en guise de payement car le maître de scierie était couvert de dettes et ne pouvait le payer.

Seznec pas véritablement défendu, selon Mes Baudelot et Bredin : c’est vraiment faire injure à l’avocat qui l’a assisté lors du procès que de dire cela ; il suffit de lire les comptes rendus d’audience parus à l’époque pour infirmer ce jugement humiliant pour leur jeune confrère.

Pour ce qui est du témoin ayant affirmé qu’il avait transporté Quémeneur le 27 mai 1923 jusqu’à la propriété de Plourivo et des coups de feu entendus dans ce domaine de Quémeneur, il a été établi, peu après, d’une part que le chauffeur de taxi n’avait pas reconnu Quémeneur et que c’était à l’occasion du mariage d’un enfant du gardien de la propriété que des coups de feu avaient été tirés. Dirent dès lors que « les jurés qui avaient condamné Seznec se réunissent en 1934 et demandent la révision du procès » c’est aller un peu vite. En effet, seulement cinq des douze jurés ont répondu, le 18 février 1934, à l’invitation d’un ancien magistrat (démissionnaire après un passage dans un hôpital psychiatrique) et ont été mentionnés au bas d’un texte faisant état d’une demande de révision « en réclamant la pleine lumière et la justice pour Seznec ». Un autre juré a signé, peu après, ce texte. Ils réclamaient donc justice uniquement en évoquant des faits totalement étrangers à l’affaire.

Quant aux deux témoins qui auraient reconnu avoir fait de fausses déclarations au sujet de l’achat d’une machine à écrire le 13 juin 1923 au Havre, ils ont pourtant confirmé leurs déclarations devant le juge d’instruction en 1923, lors du procès de 1924 et même lors d’une enquête effectuée à la suite d’une demande de révision au milieu des années 1950. Pour rappeler le sérieux de ce revirement, rappelons que c’est en 1993 (soit soixante-dix ans après les faits), que l’un d’eux, Mme M. née H., aurait affirmé à M. Denis Le Her (Seznec) que ce n’était pas Guillaume Seznec qui avait acheté la machine à écrire au Havre. Les conclusions d’un rapport médical, établi à la demande de la Cour de cassation, établissent que ce témoin souffrait de démence sénile avancée ; selon la Cour, les « troubles étaient déjà trop importants... pour que son témoignage puisse être pris en considération. »

Dire qu’il « est aujourd’hui établi que Pierre Quemeneur s’était engagé dans un vaste trafic de voitures » est tout aussi farfelu, la Commission de révision ayant parlé, dès 2005, d’« une affaire d’achat et de revente de voitures et camions américains d’occasion » à caractère régulier et non d’un « trafic » à connotation illégale, ajoutant même : « Ainsi ne se trouve pas confirmée l’existence d’un trafic clandestin » !

Mes Baudelot et Bredin nous apprennent également : « De même est aujourd’hui établie l’existence du nommé Gherdi, avec lequel Pierre Quemeneur avait rendez-vous à Paris, selon les déclarations de Seznec ». En fait, rien n’établit que c’est avec ce personnage identifié et entendu dès 1926, que Quémeneur avait rendez-vous à Paris en 1923. D’une part, l’intéressé a totalement démenti à plusieurs reprises cette assertion. En outre, Seznec a parlé, dans un premier temps, au sujet de ce personnage d’un Américain prénommé « Charly », alors que Boudjema Gherdi était d’origine nord-africaine ! Enfin, la Commission de révision a noté, en 2005, que « la preuve de l’existence de Boudjema Gherdi n’est pas une preuve automatique de l’innocence de Guillaume Seznec. »

Comment en outre laisser dire par Mes Baudelot et Bredin : « Ainsi la réalité de l’existence de Gherdi fut-elle délibérément cachée à la cour d’assises, car elle risquait d’innocenter Seznec », quand on sait que c’est Seznec lui-même qui avança ce nom de Gherdi bien après la décision de la cour d’assises alors qu’il se trouvait à Saint-Martin-de-Ré en instance de départ vers le bagne ! Dès lors comment l’existence de ce personnage aurait-elle pu être cachée lors du procès !

Pour ce qui est Pierre Bonny, les deux avocats, sans doute pour conforter son rôle de manipulateur de toute l’affaire, l’ont affublé du grade de commissaire de police (« Par ailleurs, la promesse de vente remise le 27 juin (1923) par Guillaume Seznec aux commissaires Vidal et Bonny... »), qu’il n’a en fait jamais eu. Au moment de l’enquête Seznec, Bonny n’était qu’un simple inspecteur stagiaire, en somme le porte valise du commissaire Vidal. Dès lors, comment à lui seul, aurait-il pu fabriquer tant de fausses preuves et forger tant de faux témoignages, puisque pour les rendre crédibles il aurait dû obtenir la complicité d’autres policiers, de gendarmes et même de magistrats ?

Quant aux fausses promesses de vente, toutes les expertises diligentées à la demande de la Justice ont démontré l’implication directe de Guillaume Seznec.

Enfin, soutenir que le ministère public avait « mis en évidence, dans un réquisitoire fort argumenté, l’accumulation des faits nouveaux qui non seulement mettent en doute la culpabilité de Seznec mais établissent en réalité son innocence », c’est complètement oublier les nombreux et précieux attendus de l’arrêt de rejet qui anéantissent la pertinence de ces arguments et les remettent à leur juste place, une fois confrontés aux autres actes de la procédure.

On l’aura compris « aucun fait nouveau ou élément inconnu de la juridiction au jour du procès, de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné » n’a pu être logiquement et fort justement retenu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation statuant en tant que Cour de révision, cette chambre criminelle étant composée de magistrats d’expérience ayant présidé les plus importantes juridictions françaises.

Curieusement, Mes Baudelot et Bredin ont entamé leur plaidoyer en disant que « l’affreuse affaire d’Outreau, qui a brisé la vie d’innocents, n’a guère servi de leçon, malgré les travaux et les discours qui promettaient que désormais, rien ne serait plus comme avant ». Ont-ils oublié que le principal reproche fait à la Justice dans cette dernière affaire était que l’instruction avait été confiée à un jeune magistrat sans grande expérience ayant travaillé dans la solitude de son cabinet. La Cour de révision, qui a pris, le 14 décembre dernier, la décision qui s’imposait, était, on l’a vu, à l’opposé de cette réalité à laquelle la représentation nationale tente aujourd’hui de porter remède.

Que M. Denis Le Her (Seznec) poursuive son combat en son nom et au nom des siens se comprend, même si je plains son tragique aveuglement devant la triste réalité. Que des avocats fassent état de leur déception et de leur stupéfaction devant une décision de justice qui leur a donné fort justement tort est compréhensible. Mais quand ces derniers parlent d’un « sinistre arrêt », sans doute ont-ils oublié le respect que nous devons tous, et en premier lieu les auxiliaires de la Justice, à la plus haute juridiction française, la Cour de cassation, à ses magistrats, à l’autorité de la chose jugée et à la loi. Certes la Chambre criminelle a pour mission de défendre la présomption d’innocence, mais elle a aussi pour devoir de ne pas succomber aux pressions de toutes sortes et encore moins aux invectives lancées sur les marches du Palais, exemples pathétiques du délitement de notre société.


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