Stratediplo 15 février 2016 16:34
Shawford, je vous remercie pour cette mise au point.
Isga, je vous remercie pour cette occasion d’explication... d’un sujet totalement différent.
Autant qu’il est difficile d’évoquer l’Amérique au 16° siècle sans parler de l’Espagne ou la culture au 18° siècle sans parler de la France, il est impossible d’évoquer l’économie au 20° siècle (dont ce début de 21° n’est sur le plan économique qu’une extension) sans parler des Etats-Unis d’Amérique. Quant aux explications périphériques des régulières « crises » (qui n’en sont pas) mondiales, qu’elles concernent l’insolvabilité des starteupes internet étatsuniennes, l’insolvabilité des acheteurs immobiliers étatsuniens, l’insolvabilité des jeunes diplômés étatsuniens, l’insolvabilité du secteur pétrolier étatsunien ou l’insolvabilité des groupes financiers étatsuniens (j’en oublie certainement), elles ne sont que des manifestations du surendettement des Etats-Unis. Par ailleurs il ne faut surtout pas confondre capitalisme et entreprise privée. L’entreprise privée a toujours existé et elle est un gage d’efficacité car on cherche toujours à faire fructifier ce qu’on a construit ou qu’on possède, qu’il s’agisse d’une activité personnelle comme la plomberie ou l’odontologie qui s’arrêtera de produire quand on s’arrêtera d’y travailler, d’un petit atelier ou commerce qu’on pourra transmettre à ses enfants pour y travailler et en vivre à leur tour, ou d’une petite entreprise telle qu’il en existait en France avant le matérialisme intégral et le capitalisme (c’est-à-dire la Révolution), du temps où il n’existait que des sociétés de personnes où l’anonymat était interdit et la spéculation sur les titres de propriété impossible en raison du caractère incontournable de l’intuitu personae (cooptation des membres). La société à responsabilité limitée (aux apports) préfigurait peut-être déjà l’irresponsabilité. Mais le capitalisme est né avec les sociétés de capitaux (vous semblez porté sur l’idéologie mais il se trouve que le droit les appelle ainsi), déresponsabilisé avec la garantie de l’anonymat (sociétés anonymes) facilitant la spéculation par la possibilité de revendre ou regrouper des parts à l’insu des autres copropriétaires. Evidemment les dégâts se sont surtout manifestés avec le gigantisme qui a transformé d’anciennes entreprises (au sens étymologique et historique d’entreprendre, c’est-à-dire de lancer une inititative individuelle risquée et donc mesurée) en nouvelles institutions que vous appelez privées mais qui sont en fait collectives, avec le sentiment d’irresponsabilité personnelle que garantit justement la collectivité. Les gestionnaires n’en sont plus que des fonctionnaires, exerçant une fonction souvent calibrée par un volume horaire et des compétences, au lieu d’être investis par d’autres personnes (physiques, une « personne morale » n’étant en réalité qu’un sujet impersonnel de droit) d’une mission comme un véritable mandataire social au sens de la commandite, ou d’avoir pris eux-mêmes un engagement personnel (et économique) en vue d’une finalité plutôt que d’une fonction, où la motivation compte bien plus que la compétence et où les horaires ne sont évidemment pas comptés. Les hauts dirigeants, quant à eux, n’ont de mandataires sociaux que le nom puisqu’ils sont mandatés par un conseil d’administration constitué de représentants du capital, ce qui est très différent des représentants de la société qu’on trouve, par exemple, dans la commandite par actions. Les objectifs qui leur sont fixés sont donc des objectifs de rentabilité des capitaux investis, sans considération de la pérennité de la structure puisque ces capitaux ne sont pas liés à des personnes ou à une activité et peuvent aller ailleurs du jour au lendemain, ce qui priorise les résultats (strictement financiers) à court terme. Voilà le capitalisme dans son stade d’achèvement actuel. Le prétendu capitalisme social, où les parts de l’entreprise sont détenues par les employés (par exemple suite à un sauvetage par rachat), n’est pas réellement du capitalisme puisqu’un lien social est rétabli entre le travail et le capital et de ce fait entre les membres sociaux qui se connaissent et ont un projet commun, ce qui, nonobstant le statut juridique de l’institution, en fait une société de personnes.
Sauf erreur on n’a jamais décidé formellement que le système économique serait celui-ci ou celui-là. La propriété privée, née de l’intiative individuelle, a toujours existé, mais de nouveaux statuts juridiques d’institutions, peut-être induits à un certain moment par le souci de faciliter l’émergence de plus grosses structures productives, ont permis la constitution d’institutions collectives opaques par anonymisation. Il ne faut surtout pas confondre capitalisme et propriété privée, puisqu’une structure capitaliste est par définition une propriété collective, de même qu’il ne faut pas le confondre avec économie de marché ou liberté d’entreprendre, qui sont encore des notions distinctes, dont certains idéologues induisent la confusion pour faire croire qu’on ne peut changer l’eau du bain sans jeter le bébé.
Quant à déclarer que la monnaie n’a qu’un rôle tout à fait secondaire dans le capitalisme ce serait délicat à prouver. Autant dans une société de personnes on peut définir les parts entre les associés en valeur relative, par exemple un cinquième pour Pierre ou cinq dix-huitièmes pour Paul, autant dans une société de capitaux, où l’apport est effectué en valeur absolue (l’apport « en industrie » ou en travail n’y étant pas prévu), où la libre entrée et sortie de capitaux à tout moment nécessite une évaluation permanente, et où parfois l’appel aux capitaux se fait en bourse, il est difficile d’imaginer qu’on pourrait ne pas évaluer la valeur des parts de capitaux en numéraire, c’est-à-dire en monnaie, cette unité de compte nationale ou internationale.
Reformulant donc mon introduction, je concède que le capitalisme ne s’écroulera peut-être pas mais je réitère que le monde capitaliste devra bien à un certain moment constater sa ruine, ce qui était mon propos principal.

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