Deaf Boy Grunt (---.---.54.26) 16 avril 2016 13:20

C’est sidérant de voir une tribune qui se contente de reprendre des opinions péremptoires formulées il y a 50 ans, quand Dylan avait refusé devenir le porte-parole de la gauche contestataire américaine et s’était vu reprocher son virage rock et des textes apolitiques, avec toute une série d’accusations sur ses débuts. Quand des gens comme Phil Ochs étaient tout de suite jugés plus honnêtes, plus « politiquement corrects ». Sauf que là, on a Adam West à la place.


Dylan et le « plagiat » ? Il n’a jamais caché s’être inspiré de « No More Auction Block » quand il a écrit « Blowin’ in the Wind », mais il y a tout un travail d’écriture ensuite. Les paroles n’ont rien à voir, la mélodie est méconnaissable, etc. Et les rivaux qui avaient affirmé en 1963 qu’il existait une autre chanson qu’il aurait copiée presque mot pour mot n’ont jamais été capable de la citer.
Dylan est les esquimaux ? « The Mighty Quinn » n’est pas un hommage à la culture esquimau mais une pochade sur Anthony Quinn et son rôle d’Inuit dans Les Dents du Diable...
Quant à la période fin des années 60, Dylan s’en est lui-même expliqué et on dispose maintenant de la version alternative de « Self-Portrait » dans la Bootleg Series, « Another Self-Portrait », qui montre plutôt que les séances avaient été très riches, mais qu’il avait totalement bâclé le mixage final et la sélection des titres. Ce qui était d’ailleurs plus ou moins conscient, comme Dylan l’explique lui-même dans Chroniques : il était confronté à des fans qui guettaient ses moindres déclarations, comme s’il était leur messie, et qui le harcelaient même dans la ferme perdue où il s’était planqué avec sa famille. Et Dylan, comme souvent, a pris plaisir à prendre le contrepied total de ce qu’on attendait de lui.

Ça ne me surprend donc pas que l’auteur fasse dans les réactions un tel contresens sur Inside Llewyn Davis, avec des énormités dans la lecture qui feraient passer le discours d’Elysium de Neill Blomkamp pour un chef d’œuvre de matérialisme dialectique. Ça n’est pas Dave Van Ronk « trop violent » contre Bob Dylan plus « adaptable » et commercial. Le drame de Llewyn Davis dans le film, c’est que c’est un artiste à la fois unique et comme beaucoup d’autres : doué, attachant, et autodestructeur. Une partie des épreuves qu’il traverse vient des circonstances ou des hasards (un peu comme le Job moderne au centre de A Serious Man), une autre de la mort de son partenaire (une lecture intéressante du film est qu’il montre ce que les frères Coen deviendraient privés de l’apport de l’autre), et la dernière de sa tendance à saboter sa propre carrière. Le fait que Dylan se ramène à la fin et lui vole la vedette n’est que l’ironie suprême qui fait qu’il se retrouve sur la même scène qu’un artiste comme il en arrive quelques uns par siècle. Ce qui ne le rend pas lui, ou Dave Van Ronk, moins digne d’attention pour autant.

Au fond, ce que l’auteur de cette analyse inepte exprime, c’est sa frustration que Dylan ne se soit pas comporté exactement comme il aurait « fallu » qu’il le fasse. Mais n’importe qui avec un minimum de compréhension de la carrière de Dylan sait que ce qui a toujours fait avancer Dylan, c’est de rejeter justement ce que les gens attendaient qu’il fasse ensuite, et de les prendre à rebrousse-poil. Là, on a un nouveau Monsieur Prudhomme qui conclut que c’est l’ambition qui perd les hommes : si Napoléon était resté officier d’artillerie, il serait encore sur le trône.

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe