Aristoto Aristoto 10 décembre 2016 20:24

A la décharge de Raoul Castro et de ses camarades du Parti communiste, il faut malgré tout, à cet égard, noter que le blocus et l’embargo auquel Cuba est confronté depuis décennies oblige à une realpolitik que les autres gouvernements pratiquent de même sans être pourtant soumis à une pareille contrainte. Mais surtout, la présence de ces personnages peu recommandables sur le podium dressé Place de la Révolution n’avait pas de quoi choquer les donneurs de leçons démocratiques made in France. Nos gouvernants n’ont, en effet, jamais hésité à leur serrer la main, aussi ensanglantée soi-elle, à eux et leurs pareils.

Parmi les autres dirigeants étrangers qui se succédèrent devant le micro à La Havane ou à Santiago, il en fut, toutefois, tels les présidents bolivien, équatorien et vénézuélien, qui ne pouvaient qu’aggraver post mortem le cas du « commandante en jefe ». Un point commun unissait en effet Evo Morales, Rafael Correa et Nicolás Maduro  : profiter de l’occasion pour rappeler et exalter ce qui peut être considéré comme la ligne directrice fondamentale de la révolution castriste, plus actuelle et nécessaire que jamais aujourd’hui pour tous les gouvernants soucieux de l’indépendance de leur pays et d’échapper à l’emprise de la superpuissance et de ses alliés, à savoir l’anti-impérialisme. Pour nos caniches euro-atlantistes, laquais fidèles de la Maison Blanche et du Pentagone, un tel rappel est proprement insupportable. Certes, je persiste à penser que Cuba n’est pas un pays socialiste, mais de capitalisme d’État. Mais le régime castriste est le seul demeuré véritablement anti-impérialiste — avec peut-être, sur un mode mineur, le bolivien et l’équatorien —, même s’il n’avait pas d’autre choix face à l’agressivité des gouvernements étasuniens qui se sont succédés depuis 1959. L’avenir dira si le rapprochement entamé récemment entre Washington et La Havane mettra fin ou non à l’exception cubaine.

Cependant, l’importance que j’ai accordée à la réaction — dans les deux sens du terme — hystérique et haineuse des politiciens, éditocrates et intellos de cour qui se sont relayés dans l’hexagone pour cracher à tour de rôle sur la tombe — l’urne, plutôt — de Fidel, est aussi le fruit d’une autre préoccupation, plus « locale ». Cette réaction me paraît, en effet, symptomatique de l’état d’esprit qui règne en France parmi nos soi-disant élites, et donner par avance une idée de ce qui se produirait si un événement quelconque venait à menacer leur statut et leurs privilèges. Certes, ce n’est pas le cas en ce moment, où, dans la farce ou la foire électorale qui se prépare, la seule force de gauche qui pointe à l’horizon a pris la forme bisounours et bouffonne de l’« insoumission » mélanchonienne. Mais qu’en serait-il si l’interminable « crise » en cours, à la fois économique, sociale, écologique et politique, s’aggravait ? Et si ses innombrables victimes sortaient enfin de leur léthargie politco-idéologique pour se dresser contre les puissants et redevenir un peuple dans l’acception que revêt ce terme dans les périodes révolutionnaires ? Il y a fort à parier qu’une « union nationale », rebaptisée républicaine comme il se doit, ne tarderait pas à se constituer où l’on verrait au coude à coude, par exemple, l’extrême-droitière Marine Le Pen, l’ultra conservateur François Fillon et proto-fasciste Manuel Valls pour « faire barrage », non plus évidemment à l’extrême-droite, mais à la réapparition éventuelle du vieil ennemi intérieur : le péril rouge. Car c’est bien le vieux spectre entrevu par Marx et Engels que les vautours se disputant le cadavre de Fidel s’évertuaient par avance à exorciser.

Jean-Pierre Garnier


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