Daruma 27 août 2021 22:19

@sylvain
Je suis d’accord avec vous. C’est ce que je dis à mes amis ukrainiens lorsque nous parlons politique, ce qui arrive rarement car, ici en Ukraine, il vaut mieux ne pas afficher ses opinions politiques quand celles-ci s’écartent du discours officiel, quand celles-ci s’opposent à la dictature de la pensée, à la dictature tout court. Il vaut mieux être prudent. L’histoire de l’Ukraine est une histoire complexe, et surtout – ce que montre bien l’article – elle s’est constituée sous l’effet d’influences extérieures occidentales hostiles à la Russie. L’histoire de l’Ukraine n’est malheureusement pas l’histoire de l’unité ukrainienne mais l’histoire de la séparation d’avec la Mère Patrie russe. C’est une histoire qui est fondée, dès le départ, sur la division, sur l’arrachement d’une partie du peuple russe qui s’est retrouvée, par l’effet des luttes d’influence et des convoitises des puissances riveraines – dans cette partie occidentale du monde russe – sous la domination de ces puissances, d’abord par simple colonisation, puis par ingérence politique et culturelle.

Mais quelle que soit la manière dont l’entité ukrainienne s’est formée, elle s’est formée. Qu’un enfant soit un enfant légitime ou un enfant « naturel », peu importe, l’enfant est né. Savoir si l’Ukraine est un pays factice ou un véritable pays riche d’une histoire séculaire, est un faux problème. Au fond, un pays est toujours une construction artificielle. Que ce soit par conquête territoriale, par don d’un pays à un autre, par mariage princier ou par création administrative, il y a un peuple qui se constitue sur un territoire défini par les aléas historiques. Ce peuple acquiert, avec le temps, une forme d’identité et d’unité, et ce quelle que soit la manière dont il a été engendré : le temps fait son travail, pour autant que la structure politique fédérant les différences assure le bien-être à la population. Si cette identité n’est pas ethnique (et pourquoi devrait-elle être ethnique ?) elle n’en est pas moins réelle, surtout si elle exprime une volonté de vivre ensemble. L’Ukraine réunit trois de ces caractéristiques, c’est pourquoi on peut qualifier ce pays d’entité artificielle. Cependant, comme je l’ai dit, tout pays est le résultat d’un processus historique artificiel, à moins que l’on considère qu’une conquête est un processus naturel et légitime, ce qui est absurde.

L’Ukraine aurait pu être une sorte de paradis, un espace où vivent différentes ethnies, différentes langues, différentes cultures, dans l’harmonie, le respect mutuel et la poursuite d’un bien-être et d’un bénéfice communs. Elle aurait pu être une sorte d’Europe miniature, avec ses Hongrois, ses Roumains, ses Ukrainiens de l’ouest, ses Polonais, ses Grecs, ses Juifs, ses Russes. Ou alors une sorte de grande Suisse.

L’ex président Yanoukovitch avait bien compris le profit qu’on pouvait tirer de cette position privilégiée de l’Ukraine, sorte de trait d’union entre l’Europe et sa partie orientale qu’est la Russie. Il était incompétent et corrompu jusqu’à la moelle, mais au moins il avait compris l’intérêt, pour son pays, de faire valoir sa position hautement stratégique et géopolitiquement cruciale, en essayant d’obtenir des avantages des deux côtés. L’Ukraine avait tout pour réussir, elle aurait pu être florissante et prospère. Malheureusement, elle a été gouvernée par des élites qui n’ont fait que dilapider le patrimoine industriel et technologique légué par l’Union soviétique : l’incompétence et la corruption des élites politiques ont gâché les atouts dont disposait l’Ukraine. Le nationalisme stupide fondé sur l’exclusion et la volonté d’ukrainisation forcée, et donc d’uniformisation, ont fini le travail, sabotant le pays, dans une totale inconscience et en précipitant le pays, par stupidité idéologique, vers son autodestruction. L’Ukraine a été livrée, depuis 2014, à ce qu’il y a de pire en elle, sa faction nationaliste aux relents nazis. Faction largement minoritaire mais suffisamment influente, par sa violence, pour orienter la politique du pays, politique sponsorisée par l’Occident. Inconsciente de ses actions et de leurs conséquences désastreuses, elle a pris le pays en otage pour qu’aucun changement bénéfique pour le pays ne soit possible, se lançant tel un bolide sans frein dans une voie suicidaire, satisfaisant à la fois les aspirations idéologiques de ses composantes extrémistes et les intérêts géopolitiques de ses maîtres occidentaux. C’est un gâchis monumental auquel nous assistons. La composante russe est, et devrait être, aussi importante que la composante ukrainienne. C’est une richesse linguistique qu’il serait stupide, et même criminel, de supprimer. Les Ukrainiens sont bilingues. Pour combien de temps encore ? On pourrait même imaginer (pourquoi pas ?) que les Ukrainiens parlent (ou comprennent) plusieurs langues qui sont parlées en Ukraine, comme le roumain, le polonais ou le hongrois, en les enseignant à l’école dès le plus jeune âge. Au lieu de cela, la bêtise et la folie règnent au sommet de l’État, avec des élites pro-gouvernementales s’imaginant que l’uniformisation est la solution alors qu’elle est le problème. Dans le contexte ukrainien, l’uniformisation forcée est un crime, un ethnocide. Son instrument est la propagande, la coercition, la falsification de l’histoire et de la mémoire des populations qui peuplent ce territoire qu’on nomme Ukraine. Le peuple, impuissant et résigné, assiste à cette folie, et attend des jours meilleurs.


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