Halman Halman 29 juillet 2008 14:48

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Au club house, les Enac mangeaient à un bout de la table. Les pilotes de chasse et les anciens pilotes de ligne à l’autre bout.

Lorsque les premiers ordinateurs avec leurs premiers tableurs sont arrivés, nous nous sommes amusés à faire des tas de statistiques en plus de tas de calculs météos et de polaires aérodynamiques dans tous les sens, de tout et n’importe quoi pendant l’hiver.
Hors qu’en est il ressorti.
Je résume :
130 pilotes au club.
30 pilotes de chasse
5 pilotes de ligne, Air France, Uta, Air Inter.

Mais 5 planeurs crashés en 5 ans.

Mais devinez quoi : sur les 5 crashs, et oui, 5 PL  à bord.

Choc.

On refait les calculs et on ressaisit les données plusieurs fois.

Révélation des statistiques scandaleuses à un briefing de 10 heures du matin.

Tous ces messieurs aux casquettes, Ray Bann, foulard, chemise à galons avec insignes partout de piquer une colère et de foutre le camp.


Un jour l’un de ces casquettés à galons débarque énervé dans le club house. Il ouvre les fenêtres, prend les piles de journaux, Fana, Aviasport, Aviation Magazine International, Air et Cosmos, toute la clique. Il en prend, en arrache des pages, en jette entiers par la fenêtre. Nous "il a pété les plombs".
Il s’en va, nous allons constater les dégâts et réalisons qu’il a viré tout ce qui ne concernait pas l’aviation commerciale, c’est à dire tout ce qui parlait d’astronautique, d’armée de l’air, de voltige...


Un autre, lors d’un stage de vol en montagne qui dédaigne le briefing de ces pauvres ploucs de vélivoles du dimanche. Résultat, le lendemain matin, n’ayant pas écouté les consignes de sécurité élémentaires du chef pilote, les Alouettes III de la sécurité civile retrouvent le gars planté en miettes dans un glacier. Il avait fait l’erreur de débutant, fatigue, manque d’oxygène, le froid glacial, trop grande confiance en ses calculs (il avait fait des erreurs de calcul de plus de 40° sur sa planchette) la nuit qui tombe, il voit une zone claire dans les montagnes, il prend ça pour une vallée et il fonce à 230. C’était un glacier. Tué sur le coup, les jambes, le bassin, les vertèbres en miettes. Le planeur explosé, une aile se la joue à la Killy et descend plusieurs kilomètres sur la glace avant d’exploser dans une bergerie, tuant un mouton. Le berger qui porte plainte, la famille dans tous ses états qui se met à nous haïr...


Un autre (vous savez, on en a parlé à la télé il y a une vingtaine d’année, c’est un de ceux qui ont posé leurs 747 à Villacoublay au lieu d’Orly, une lubie, comme ça) ;  décolle en planeur pour un circuit sur Le Mans, Orléans et Gien. A 18 heures on reçoit un coup de fil : "Allô, vous pouvez venir me chercher ? Bin, J’suis à EVREUX". Il devait partir pour le sud, on le retrouve au nord de Paris. Pas chercher à comprendre. CDB sur 747 quand même.

Un autre, une lubie, comme ça, décide que l’arrondi à l’atterrissage c’était inutile. Et hop, même avec son 747 de se poser comme un Etendard IVP sur porte avion. Et d’exploser des pneus, de tordre des longerons et des axes de roues à chaque vol. Repassé en simulateur et en copilote il continue. Et hop muté au service météo jusqu’à la retraite. Pas chercher à comprendre.

Un jour on nous annonce que 3 King Air de l’Enac vont venir s’entraîner chez nous pendant une semaine.
Nous : super, on va fréquenter du beau monde, ils font peut être nous laisser piloter quelques minutes, etc....
Hors.
Dès l’arrivée, 2 King Air se postent, à peine atterris ; devant notre hangar remplis de planeurs démontés, les ailes et fuselages alignés sur leurs berceaux pour visite technique annuelle.
Et zou, grand coup de mise des gaz des deux saloperies commerciales à la con.
Et zou, des ailes et des fuselages qui se cassent la figure sur le béton, des verrières et des profondeurs qui vont s’éclater contre les murs, un vieux planeur dans les fermes du hangar qui dégringole et manque de tuer notre chef pilote, 700 000 francs de dégâts dont je vous épargne la liste.
Le lendemain on les prévient, il y aura des lâchers de jeunes élèves en planeur, on les briefe sur les circuits planeurs et avions pour éviter les gags. Quoique normalement ils étaient censés avoir appris par cœur les données du terrain sur leur log book avant d’arriver, mais bon, on ne sait jamais.
Mon cul !
Comme fait exprès, au moment du tout premier atterrissage solo d’une stagiaire, un King Air en finale sur la piste béton fait un superbe et violent break droit (en fait un autre King Air c’était aligné sur la piste sans assurer la sécurité au moment où son collègue était en finale) et le drapeau de dérive passe à moins d’un mètre du nez du planeur de la stagiaire. Le planeur dans les turbulences des moteurs et de l’avion fait un tour de vrille plate et se pose des plus brutalement en travers de la piste par pur coup de bol miraculeux. La copine, traumatisée mais indemne, met 2 semaines avant de retrouver la parole. Le fautif, malgré les plaintes à la gendarmerie avait les relations qu’il faut mais n’a pas évité l’interdiction de vol d’un mois.

Et tous les jours ils nous ont fait la totale : passer à fond dans des ascendances où on les avait prévenus que nous serions beaucoup de planeurs en même temps : trois vrilles, une collision, une éjection en parachute, des hurlements de panique à la radio, des crises de nerfs le soir, un planeur détruit et un autre 3 mois à la Centrair en réparation.

Un de ces jours là je terminais mon épreuve de durée de 5 heures. J’étais à 10 minutes de terminer, le soir, je crevardais péniblement à 300 mètres au dessus de la piste dans ce qu’il restait de bulles d’air à peine assez chaudes pour ne pas descendre. Et que croyez vous qu’il arrivât, et bien oui, un King Air me fonce dessus. Je me dis que la réglementation voulant que le plus manœuvrant fasse la manœuvre d’évitement, c’est donc à l’avion de le faire face au planeur. Mon cul ! C’est moi qui l’ai évité au dernier moment, voyant le saumon de mon aile gauche passer à un mètre de sa dérive. Et, très distinctement je vois le gars, le visage faire l’aller et retour entre le chrono sur son manche à balais et le tableau de bord. Cet enfoiré a fait son virage au chrono, sans regarder dehors s’il y avait du monde, en dépit de toute règle de sécurité élémentaire, à la verticale du terrain. Moi je me pose plus que furax avec des envies de meurtre. Les copains me foutent sous la douche froide avec la clé anglaise toujours à la main que je voulais lui foutre à travers de la gueule, et le gars de foutre le camps définitivement emmené dans une Porche par un de ses copain. Un instructeur Enac venant récupérer l’avion le lendemain. Le chef pilote de porter plainte, moi toujours trop énervé pour décider de quoi que ce soit et avoir les idées claires.

Le dernier jour, au petit matin. Manche à air plombée. Vous savez ce que cela veut dire : pas le moindre pet de vent, rien. Grand soleil. Ils nous font le coup avec leurs instructeurs des séries d’atterrissages avec pannes simulées.
Sans nous prévenir alors qu’on leur avait dit que ce matin là avant les ascendances nous ferions des essais de prototypes de planeur, dont le fameux Nimbus N19 (le premier planeur à ailes en carbone, c’était en 1979 ou 1980) de François Louis Henry (vous devriez savoir qui c’est, et vu son expérience, vous devriez comprendre la suite).
Donc, nous les regardons faire. Bloqués, leurs atterrissages nous rendant la piste planeur inaccessible.
Même moi du haut de mes 18 ans à l’époque, quelque chose me frappe.
Masse d’air plombée donc pas la moindre turbulence, même la plus infime, pas une feuille d’arbre qui bouge, pas un brin d’herbe qui bouge.
Ils volent à bord d’excellents avions stables, puissants, excellents aérodynamiquement.
Mais.
Ils gigotent comme s’ils étaient dans une tempête digne du Pot au Noir de l’Atlantique Sud lorsque Mermoz le traversait avec son Laté28.
FLH les regarde d’un oeil d’une colère telle que je n’ose même pas lui adresser la parole.
Je me concentre sur les avions.
Bizarre quand même.
Je me dis, ce n’est pas l’atmosphère, ça ne peut pas être les avions (trois avions avec la même panne au même endroit au même moment, impossible !)
Reste : les pilotes.
Et je gamberge.
Et 10 fois je me refuse à la seule solution logique.
Et je les regarde, un par un, pendant plus d’un quart d’heure, faire leurs prises de terrains (jamais avec la même trajectoire), remettre les gaz au toucher des roues.
Et là sans pouvoir me retenir : je dis outré à FLH un "Mais François, ils ne savent pas piloter !"
Et FLH (ancien pilote pendant la guerre de 40, pilote de ligne, chef instructeur à Air France jusqu’à sa retraite, deux fois champion du monde de vol à voile) de me regarder avec un oeil à tuer à distance (je suis persuadé que je vais me prendre un pain dans la tête et j’ai les genoux qui tremblent et je commence à serrer les fesses) et de me sortir un "Halman, si tu savais à quel point tu viens de comprendre le problème !"
Moi : effaré, un monde qui s’écroule, je le regarde traumatisé.
Soudain un grand boucan de ferraille qui racle le béton et se tord, des étincelles, odeurs de cramé, les deux pilotes qui sortent du King Air vautré en courant : l’un d’eux venait de se poser sur le ventre.
L’élève ET l’instructeur avaient oublié de sortir le train.
FLH qui leur crie dessus et les insulte dans le bureau du chef pilote de l’aéro club, on l’entend jusque dans le hangar.
Il ne s’était pas présenté à eux, il a attendu le dernier moment pour leur dire qui il était.
Nous apprîmes quelques jours plus tard par la DGAC et la gendarmerie qu’ils venaient de faire le même cirque à Lognes et à Versailles.

Ces pilotes de lignes qui mettent 45 minutes à demander à la tour s’ils connaissent une panne comme ils ont avant de réagir et de prendre des décisions. Pendant ce temps là tout le kéro a fuit dans l’atmosphère et les 4 moteurs se sont coupés. Il y a des cas célèbres dans le genre dont un qui a fait l’objet d’une émission de 50 minutes du la 5ème.

Ces pilotes de lignes qui n’hésitent pas à mettre un gamin de 20 ans comme copi sur un DC9. Et on s’étonne du crash.

Ces pilotes de lignes qui lors d’une trajectoire de montée s’engueulent à propos de la trajectoire à prendre, prennent des décisions contraires chacun de leur coté, et piquent à mach 0.9 dans la mer sans comprendre ce qu’il se passe.

Ces pilotes de lignes qui nous sortent un "oh moi vous savez j’ai 4000 heures de 737 alors vous comprenez !" Mais qui en planeur sont incapables de dépasser 700 mètres d’altitude alors que tout le monde s’annonce à 2500 dans des ascendances "qui pompent des briques". Qui, lors d’un vol d’essais sur un Mooney, carafe moteur alors qu’ils pilotent, une fois le Mooney posé moteur stoppé dans un champ est toujours en train de nous faire du "Mayday mayday mayday" sur 121.5. "Eh oh : Jacques, ça y est, on est posés !". Alors que c’est un simple pilote de planeur assis à droite qui a posé l’engin.

Etc, etc, etc.


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