Christophe Christophe 29 octobre 2008 12:12
Pour ma part, le sujet part de la définition propre de ce que nous entendons comme étant une posture libérale. Il existe nombre d’influences dans le discours actuel des continentaux et pour ce que j’ai pu lire de Bastiat et même Hayek, le libéralisme vu sous l’angle anglo-saxon y a une large part. Je ne parle pas particulièrement des approches en elles-mêmes, mais surtout des postulats de base de la réflexion. Comme le signale Alcodu, même si je ne considère pas que seuls les anti-libéraux dissocient les deux composantes du libéralisme, j’admets que tout libéral englobe l’ensemble de ces deux composantes, mais posent des postulats différents quant à l’articulation de l’un vis-à-vis de l’autre. C’est sur ce premier point que je considère, en ce qui me concerne, qu’il faut déjà se positionner.
 
Bastiat par exemple tend à laisser entendre que le facteur économique était présent chez les phéniciens et qu’il est donc un facteur déterminant de la société, que c’est un facteur premier ; c’est, pour ce qui me concerne, une approche fortement réductionniste. Toutes les études anthropologiques, qu’elles soient sociales pour les britanniques (Malinowki, Frazer, Radcliffe-Brown, …) ou culturelles pour les américains (Boas, Mead, …), mettent en évidence le facteur premier du regroupement social ; rejoignant donc la position d’Aristote qui définissait l’homme comme un animal politique. Le facteur économique est un effet direct de la volonté d’échange dans un groupe social ; les hommes ne se sont pas regroupés en société pour faire des échanges. Bastiat inverse cause et effet.
 
Nous pourrions aussi nous référer à d’autres sciences comme la psychologie, la psychanalyse, la philosophie de l’esprit,, les neurosciences ; toutes me semble converger vers cette approche ; elles montrent par ailleurs qu’indépendamment des autres, l’individu ne peut pas se développer. Comme les derniers éléments découverts en neuroscience par Zak mettent en évidence la nature de l’homme à vouloir vivre avec ses semblables (hormone reproductive appelée oxytocin).
 
La primauté de l’économie sur le politique est une critique récurrente de l’école allemande. Les effets de cette primauté sont fortement critiqués par Weber, Oto-Appel, Habermas. Certains philosophes, comme l’américain Sanders-Pierce, avaient déjà pris position sur cette dérive utilisant la rationalité pour justifier l’utilitarisme.

La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.
et dire avec force que l’hypocrisie, c’est bien de faire croire que la liberté peut s’affranchir des limites du monde, de faire croire que parce que mon voisin possède ce que je n’ai pas, ma liberté s’en trouve diminuée.
 
Qu’est-ce qui ne nuit pas à la liberté d’autrui ? C’est là ce qui permet de déterminer si un système nuit ou ne nuit pas à la liberté d’autrui.
 
Prenons le domaine de la nécessité que Marx avait mis en évidence dans le Capital. La liberté peut-elle s’accommoder d’un surcroît de travail au-delà du strict nécessaire ; n’est-ce pas là un risque de restriction de liberté ? Si le travail est nécessaire à la vie afin de pouvoir acquérir les produit indispensables (boire, manger, se loger), est-il nécessaire d’aller au-delà pour des besoins qui ne sont plus liés au strict nécessaire ? Quelles en sont les limites ? N’est-ce pas l’un des points qui devrait être levé. Sommes-nous libre lorsque, en jouant sur la valeur d’échange, nous sommes contraints (la nécessitation impose des contingences) à travailler au-delà du nécessaire ? Il n’est pas indispensable d’être Marxiste pour mettre en évidence des questions qu’il a levé sans qu’aucun libéral n’y ait répondu. N’est-ce pas une question fondamentale, dès lors que nous abordons la liberté individuelle, que de savoir quelles sont les contingences qui nous sont imposées par notre nature et celles qui nous sont imposées de l’extérieur (par un système, par d’autres, …) ?
 
Quant à l’hypocrisie, la référence n’est pas basée sur l’envie, la jalousie, de voire un autre posséder ce que nous n’avons pas. La question se pose principalement pour ceux dont la seule possibilité n’est pas de pouvoir survivre, mais de devoir survivre. Si vous descendez très bas dans l’échelle sociale, vous trouverez des hommes et des femmes dont c’est le quotidien ; il n’est plus question de liberté mais juste vivre dans la contingence imposée du boire et du manger ; même se loger est souvent hors de portée. Vous y trouverez même des gens qui travaillent. Une société libérale ne se juge pas qu’à l’aune de ses propres libertés, mais aussi aux libertés que les autres peuvent déployer.

On pense souvent que ces dictatures totalitaires, imaginées ou subies pour de vrai, sont ou étaient inhumaines uniquement parce que les moyens nécessaires à l’éradication de l’erreur imposent des contrôles excessifs, mais je crois au contraire qu’elles sont inhumaines précisément parce qu’elles veulent arracher l’erreur à la nature humaine. Les erreurs font vivre les interactions entre individus, les erreurs sont humaines, et la perfection est inhumaine ; l’imposition d’un idéal parfait, sans erreurs permises ou possibles, c’est la destruction de l’humain : tout modèle de société doit s’accomoder des erreurs ou tuer l’homme.
 
Mais le totalitarisme est aussi un choix qui émane des individus qui constituent un ensemble social sous régime totalitaire ; dès lors que nous avons tous la capacité de juger selon nos propres valeurs. La liberté n’est pas un dû, il faut la revendiquer et la défendre, c’est la raison pour laquelle elle ne s’impose pas ; la liberté possède un pendant individuel qui est la responsabilité. La première des libertés consiste à admettre ou rejeter un ensemble de responsabilités qui incombe à l’individu. La liberté consiste, pour chaque individu à faire ses propres choix entre aucune liberté et la liberté absolue. Il existe beaucoup de nuances entre les deux extrémités. En fait tout dépend de l’effort que nous voulons faire pour être libre. Annah Arendt expose bien ce problème dans Responsabilité et Jugement.

Le libéralisme intelligent consiste donc, non pas à affaiblir le pouvoir autant qu’on le peut et sur tous les points -cela aussi est stupide- mais à tracer fermement la limite en deçà de laquelle le pouvoir central doit être très puissant, au-delà de la quelle il doit n’être rien du tout.

Pour l’Etat, son désengagement législatif de la sphère économique pose le problème d’une recrudescence des législations sociales ; c’est un constat discutable. Son poids devrait, normalement, être à l’identique entre les deux sphères ; puisque le domaine social est le domaine des hommes qui sont aussi les acteurs de l’outil économique. Penser différemment me semble consister à poser le postulat que l’acteur économique est plus responsable que l’acteur politique ; alors que l’ensemble est exactement le même. C’est donc un équilibre qu’il faut trouver entre les deux domaines et non pas privilégier l’un par rapport à l’autre. Mais je vous rejoins quant au fait que l’Etat, dans ces deux domaines doit laisser libre cour à l’action tant qu’elle ne porte pas préjudice aux libertés d’autrui ; encore faut-il en délimiter les contours.

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