Mammon 10 octobre 2010 22:34

Bonjour Surya

Je suis allé sur votre blog y lire vos réponses, et je développerai quelques points soulevés :

- tout d’abord, si j’ai pris mes distances avec la « cause » tibétaine, ce n’est pas tant avec les souffrances du peuple tibétain lui-même (que même vos plus farouches contradicteurs ne nieront pas) qu’avec l’idée d’une « indépendance » du Tibet historique.
La proposition d’une « indépendance », « autonomie » ou toute autre forme de scission des régions tibétaines du reste de la Chine n’a simplement aucune chance d’aboutir.
Pourquoi ? D’une part parce que le Tibet (comme le Xinjiang d’ailleurs) sont des régions d’une importance stratégique vitale pour la Chine, tant d’un point de vue économique (ressources naturelles) que militaire (bases de lancement de missiles). D’autre part parce qu’une scission des régions du Tibet historique - U-Tsang, Amdo, Kham - entraînera à la fois des revendications similaires d’autres régions comme le Xinjiang ou la Mongolie Intérieure, ainsi qu’un redécoupage brutal des limites régionales (Qinghai, Gansu, Sichuan, Yunnan), sources potentielles de grande instabilité...
Or, la stabilité du pays est l’alpha et l’oméga de la politique du gouvernement chinois. Il ne transigera pas là-dessus. D’où l’importance de l’appareil policier et militaire déployé au Tibet. Mais il en aurait été de même au Henan ou au Guangdong si ces régions manifestaient elles aussi des velléités d’indépendance...
Du coup, l’indépendance du Tibet est une cause perdue, nuisible aux chinois puisqu’elle les stigmatise et contribue à la montée du nationalisme, nuisible aux tibétains puisqu’elle accentue la répression qui s’abat sur eux, nuisible à leurs soutiens (dont vous faites partie) puisqu’elle n’améliore en rien leur sort et dont les seuls réels bénéficiaires sont en fait tous ceux qui ne veulent pas de bien à la Chine ou aux chinois...
Il y a aussi une chose essentielle à savoir : il n’y a pas que le gouvernement chinois qui soit hostile à une indépendance du Tibet : l’opinion publique chinoise l’est également. Aucun citoyen chinois n’acceptera une scission ou une restriction de circuler dans son propre pays, surtout sous la pression de l’étranger... A ce titre, les réactions de notre ami Alain/Hengxi, quoique très virulentes, sont en tous points conformes à celles de mes différents interlocuteurs chinois lorsque j’ai visité ce pays en 2006, et très révélatrices de l’état d’esprit d’une large frange de la population chinoise à propos de la question tibétaine...
En fait, quand je parle du manque de connaissance des officiels tibétains, je ne pensais pas vraiment au Dalai Lama mais plutôt à ses émissaires qui, lors des négociations avec leurs interlocuteurs chinois, n’ont pas l’air d’avoir pris en compte ces points fondamentaux...
De plus, il y a une contradiction entre la proposition du Dalai Lama d’un Tibet autonome dans le cadre constitutionnel de la RPC (dixit le Mémorandum) et le fait que les tibétains en exil tiennent absolument à garder leur nationalité d’origine. S’ils refusent de devenir les citoyens d’un pays (l’Inde) qui leur octroie une liberté totale de culte et de circulation (ce qui n’est pas gênant en soi, c’est vrai, mais révélateur d’un certain état d’esprit), comment imaginer qu’ils accepteront alors de (re)devenir des citoyens forcément chinois d’un Tibet « autonome dans le cadre de la RPC », avec toutes les rancoeurs qui subsistent ???
Or, comme les chinois n’accepteront jamais une indépendance du Tibet, on tourne en rond...

Faut-il se résigner pour autant ? Non, parce que si la Chine n’acceptera jamais l’indépendance du Tibet, alors il faut changer la Chine elle-même pour que les tibétains puissent y vivre en préservant leur langue, leurs traditions (ou du moins certaines) et leur religion, exactement comme en Inde en fait. Et pour ce faire, il faut que la Chine devienne un état de droit, un processus lent et fastidieux, mais que les pressions extérieures ne réussiront au final qu’à entraver...

Nota : concernant les Lhotsampa, j’ai cité le Bhoutan car ce il est souvent cité comme exemple d’un pays qui a réussi à préserver sa culture des affres de la modernité, d’autant qu’il est le seul où le bouddhisme vajrayana soit religion d’état (mais les bhoutanais drukpa ne sont pas « affiliés » au dalai lama puisque de l’école Kagyupa). Il a la sympathie de la plupart des défenseurs de la cause tibétaine qui pensent peut-être s’en inspirer pour un Grand Tibet indépendant. J’espère que ce ne sera plus le cas...
Nota2 : je ne suis pas anticlérical, bien au contraire ! Cependant, j’ai toujours estimé que la religion doit se cantonner à la sphère privée. Surtout le bouddhisme. Si le Dalai Lama n’avait pas été obligé de s’occuper de politique, il serait beaucoup plus écouté aujourd’hui en Chine. Je crois même que ses enseignements auraient fait un bien fou à une société chinoise en pleine mutation, où les repères se perdent...on n’est pas à un paradoxe près...


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