Morgane Lafée 13 septembre 2011 14:58

J’essaierai de me le procurer car le sujet - à savoir l’expérience de ce psy confronté à des grands criminels - est malgré tout intéressant.

Ceci étant dit, il y a une chose qui me dérange un peu dans toutes ces attaques et je vais me faire l’avocat du diable.
En effet, je ne doute pas une seule seconde que le contenu du livre soit dérangeant à plus d’un titre, mais il n’empêche que je ne suis pas focément pour la censure à tout prix dès l’instant où le contenu d’un livre va à l’encontre de mes valeurs morales. En l’occurrence ici, si je suis farouchement contre toute justification des actes d’un violeur ou d’un tueur, je ne suis pas pour autant contre l’idée qu’il puisse exister quelques espaces de liberté d’expression bousculant l’ordre établi. Du moment que ces espaces restent confinés et s’adressent à un public averti.
Dans le cas des femmes, surveiller la représentation des femmes et se battre contre les propos incitant à la haine ou à la violence dans les mass media, comme le font certaines associations féministes, me semble nécessaire voire vital. En revanche, attaquer l’auteur d’un livre manifestement destiné à un public averti et intéressé par un sujet bien précis n’est pas forcément une bonne chose, surtout s’il positionne son oeuvre dans le cadre d’une démarche particulière comme cela semble être le cas de Dubec.
Ce n’est pas que je prends sa défense, puisque comme vous l’avez compris, je n’ai pas lu le livre et ne connait pas le personnage. Mais si ce qu’il dit dans son droit de réponse me paraît censé.

Pour ma part, étant cinéphile, je me suis beaucoup intéressée au cas d’un réalisateur sud-coréen, Kim Ki-Duk, attaqué dans son pays en raison du contenu soi-disant « misogyne » de ses films. Déjà, en découvrant ses films, je me suis aperçue que c’était loin d’être aussi simple puisqu’il parle énormément de la société coréenne d’en-bas, des marginaux et des exclus. C’est un peu sa marque de fabrique. Il met en scène des voyous, des prostituées, des criminels et autres, mais sa démarche est souvent compassionnelle. Ensuite, il était jusqu’à récemment le seul à aborder le thème des violences envers les femmes, sans chercher à cacher la réalité et le vécu des victimes ni des bourreaux.
Mais je suppose que ce qui a mis le feu aux poudres est son film Bad Guy, dans lequel une étudiante bourgeoise se fait prostituer de force par un proxénète. Quelques années plus tard, il y a eu Samaria, dans lequel deux collégiennes se prostituent volontairement. Je vais prendre le cas de Bad Guy.
Avant toute chose, je précise que je suis pour l’éradication du proxénétisme. Cela dit, je prends la défense du film. Certes, la fin est dérangeante puisque, au terme d’un long cheminement, chacun (l’étudiante devenue prostituée et le proxénète) va être amené à comprendre ce que vit l’autre. Et la jeune femme finit par aimer son bourreau ! En d’autres termes, c’est une historie d’amour un peu tordue. En plus, à plusieurs reprises, le film place le spectateur (et la spectatrice) dans la position difficile du voyeur puisque le proxénète assiste à travers un miroir sans tain aux premiers viols de la pauvre fille... Bref, je ne vais pas vous raconter tout le film : il est disponible en France dans toutes les fnac.
http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=42580.html

En tout cas, Bad Guy est sorti en 2001 en Corée et n’a pas bénéficié d’une distribution très large, face à des blockbusters écrasants qui, sous des dehors plus clean, véhiculaient parfois des valeurs machistes. J’ai notamment le souvenir d’un film d’action à gros budget, Tube, dans lequel le héros donnait une giffle à sa partenaire, qui par ailleurs se faisait aussi taper dessus par les méchants. Mais ça, personne n’était choqué parce que le fait qu’un homme bien donne une giffle à une femme (pour la raisonner et donc la protéger, bien sûr) était en quelque sortes banal, comme dans les films américains des années 70. Fort heureusement, le cinéma coréen a évolué depuis dans les représentations des femmes. Mais tout ça pour dire que le plus dangereux à mes yeux, c’est avant tout la violence « banalisée », c’est-à-dire qui ne rentre même pas dans le cadre des violences à dénoncer aux yeux du grand public, des jeunes et des enfants qui vont regarder ce produit de masse.
Ainsi, en dépit de toute ma sympathie pour les mouvements féministes coréens (et du boulot, elles en ont !), je ne comprends pas cet acharnement contre Kim Ki-Duk, qui est un auteur s’adressant à un public averti (ses films sont interdits aux mineurs) alors qu’il aurait été beaucoup plus utile de se focaliser sur les films machistes visibles par les masses. D’autant plus qu’une chose était frappante à l’époque : les films de Kim Ki-Duk, avec leurs scènes de viols, étaient parmi les seuls à accorder de VRAIS rôles aux actrices ! Et parfois de beaux rôles, comme en a témoigné par la suite le film Locataire, le plus beau film dénonçant la violence conjugale et le machisme de la société coréenne qu’il m’ait été donnée de voir.

Je continue avec le cinéma. Dans tous les pays, le cinéma indépendant montre des choses dérangeantes, conteste l’ordre établi. Je dirais que c’est même la « mission » de certains auteurs. Au contraier, le cinéma grand public cherche à attirer les foules en véhiculant des idées aseptisées et en remplissant un cahier des charges. En France, le film Baise-moi de Virginie Despentes faisait l’apologie, sous couvert de pornographie, du meurtre des consommateurs de prostituées : il a été interdit aux mineurs, il a fait parler de lui mais au final, je doute que les femmes se soient mises à imiter les deux héroïnes (ou anti-héroïnes) du film. C’était un film dérangeant, limite facho, mais aussi cathartique et peut-être nécessaire.
Pour en revenir à la littérature, si aucun auteur ne prend le risque de contester les valeurs morales de notre société, quitte à perturber voire à se planter, qui va le faire ? Et qui va questionner le monde dans lequel nous vivons ? C’est aussi ça, l’esprit critique, encourager les gens à se poser des questions même si au final ils ne vont pas forcément tomber d’accord avec l’auteur. L’esprit critique est l’une des valeurs les plus précieuse de notre société. 
Au fait, avez-vous lu American Psycho" ? Je l’ai lu et je me suis beaucoup amusée en le lisant. Et pourtant c’est misogyne, raciste, tout ce que je déteste. Mais c’est drôle, c’est ludique et fichtrement bien vu sur l’univers des golden boys.

Je suis un peu sortie du sujet mais tout ça pour dire que pourchasser la moindre phrase dérangante n’est pas forcément bon. Nous avons tous de bas instincts, hommes ou femmes, et garder un espace de liberté où ils peuvent être exprimés est sain. Eradiquer toute expression déviante ne peut qu’engendrer des frustrations et donner du grain à moudre aux mouvements extrémistes. En l’occurrence concernant les femmes, le succès des masculinistes démontre aussi une certaine maladresse non pas dans les idées mais dans la communication des féministes. Et ce même si je reste et je demeure une féministe convaincue.
Maintenant, il ne me reste plus qu’à lire le livre, je suppose ! smiley


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