Commentaire de une prof d’éco gestion
sur Les Français étaient bons en maths


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une prof d’éco gestion 9 mai 2013 16:45

Concernant les mathématiques, j’ai obtenu il y a 30 ans un bon bac C, j’étais une élève besogneuse mais pas avec l’esprit trop matheux. Je ne me suis donc pas aventurée dans les maths sup, avec raison je pense. A partir du moment où ma fille est entrée en seconde, j’ai commencé à regarder les programmes de maths. Je ne me souvenais que vaguement de mon propre apprentissage, mais je voyais bien qu’il manquait des choses. Et puis je me suis aperçue (alors que c’est une très bonne élève, son travail n’est pas en cause) qu’elle écrivait deux égalités à la suite (A=B=C), les expressions A, B, C étant effectivement égales, mais dans la suite du raisonnement elle transformait A sans en tirer de conséquences pour B et C. Évidemment dans ces conditions le résultat était faux. En approfondissant, je me suis aperçue qu’on ne leur enseignait pas la rigueur du raisonnement et c’est fort dommage (si on fait des études de droit par ex, la rigueur du raisonnement et du vocabulaire sont extrêmement importants, (ex la notion d’existence d’un droit ne recouvre pas la même idée que la notion de reconnaissance d’un droit et les étudiants incapables de rigueur et qui ne maîtrisent pas le français ratent leur droit, il ne faut pas s’en étonner). Pour en revenir à ma fille, mon étonnement ne portait pas sur la quantité enseignée (par rapport à mon époque) - cela ne me choque pas qu’on zappe certains chapitres - mais par rapport à ce que je considère comme le soubassement, le raisonnement mathématique. Et puis je me suis aperçue qu’on ne leur enseignait pas les quantificateurs. Je ne me sens pas habilitée pour juger des programmes de maths, mais là quand même j’ai été choquée. Je ne mets pas en cause ses profs pour lesquels j’ai beaucoup d’estime. Mais renseignement pris auprès d’un collègue : "tu comprends, l’inspecteur n’aime pas, c’est trop compliqué pour les enfants" ! alors, quand on en a besoin, on leur fait écrire Quel que soit, il existe... en toutes lettres. Sauf qu’en pratique, c’est long à écrire, alors la première fois ils l’écrivent en abrégé, puis plus du tout. Et là encore on perd dans la rigueur du raisonnement. J’ai déploré cette carence mais comme ma fille avait de bonnes notes et plein de choses à réviser par ailleurs pour le bac j’ai laissé tomber. Quand elle est arrivée en prépa (économique) ça n’a pas manqué, premier chapitre : quantificateurs. Dommage de le faire à ce stade d’études au lieu de prendre les bonnes habitudes tout de suite. Je vous ai détaillé cet exemple pour vous montrer comment le niveau baisse, pourtant avec une bonne élève (bac S mention TB félicitations) et des bons profs.
Concernant mon expérience en tant que prof cette fois : j’enseigne dans un IUT la gestion. Nous recevons des étudiants d’un peu partout (S, ES, STG...). Vous devez savoir que les bacs S sont discriminés, dans le sens où le ministère nous demande toujours les statistiques de type de bacs, et si nous prenons trop de bacs S nous nous faisons tirer les oreilles, c’est constant, chaque fois que le ministère en a l’occasion il nous le reproche. Mais dans le même temps pourra nous reprocher un taux de réussite trop bas. Or les bacs S moyens voire faible, qui ont eu leur bac très juste n’iront pas dans les prépas, et sont contents de venir chez nous. Si on les discrimine trop, où vont-ils aller ? Réponse d’un inspecteur : Un bac S, il ne faut pas le pousser parce qu’il s’en sortira toujours. On nous demande donc de prendre autant qu’on peut des STG et un inspecteur général, il y a trois ans environ, nous a même vanté les mérites des bacs pro. Je lui ai répondu qu’ils ne suivront pas (à l’IUT, nous sommes tenus comme en lycée à un programme officiel paru au BO). Réponse incroyable de l’IG : nous travaillons au ministère à alléger les programmes, ils suivront !
J’enseigne donc à ces étudiants la compta : la TVA, les amortissements...Bref, ce sont des choses qui requièrent, comme niveau mathématique : la factorisation, les quatre opérations, les pourcentages...pas vraiment plus. Eh bien ce niveau-là n’est pas toujours atteint. Et ils n’ont aucune notion d’ordre de grandeur. Ex : je trouve tous les ans dans les copies des gens qui me disent qu’il y a deux millions d’euros de TVA quand l’entreprise a fait 100 000 euros de chiffe d’affaires. ça ne les dérange même pas ! Autre ex : pour passer du prix TTC au prix HT, on peut les faire soi-même une fois qu’on a compris le fonctionnement de la TVA. Non. Eux il faut leur donner la formule sans comprendre (mais s’ils l’apprennent de travers : erreurs).
Autre ex encore : le prof de maths fait chaque début d’année un test de niveau en maths (à des gens qui arrivent chez nous et qui ont donc le bac). A la question (QCM) X2=1

une grande quantité d’étudiants n’a pas été capable de donner la bonne réponse.
Concernant ensuite les débouchés des matheux dans les entreprises. Les gens de ma génération et les suivants (ce qui ont au minimum trente ans maintenant) étaient très appréciés à l’international, les études françaises de maths étaient estimées (on recrutait beaucoup de Français par ex sur la place de Londres). Maintenant nous perdons du terrain, il recrutent plutôt des indiens ou des chinois. Dommage que nous ayons perdu cette excellence française...
La faute de tout cela : une idée dévoyée de l’égalité. Pour permettre à tous d’avoir le bac (je ne dis pas de réussir, c’est un autre problème), on a baissé le niveau d’exigence pour tout le monde. Cela est complètement contraire à l’idée que je me fais de l’école de la République, qui permettait, surtout en maths, de faire éclore des talents même avec des enfants d’un milieu social peu favorisé (pour être excellent en maths si on est doué le lycée et des bons manuels suffisent, pas besoin de baigner dans un milieu culturel aisé).


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