Commentaire de O Coquinos
sur Beethoven et la 5e symphonie


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O Coquinos O Coquinos 6 juillet 2017 22:34

@laertes

Bonsoir.

Vous avez écrit être « d’accord avec Goethe qui n’accordait pas une grande importance à Beethoven et lui préférait, avec raison W.A. Mozart ». Avec raison ? Quelle raison ? A quoi bon classer par ordre d’excellence des compositeurs qui ne sont pas comparables, ont chacun forgé leur style propre dans le cadre de canons artistiques évolutifs appartenant à des époques diverses, ont disposé de moyens d’expression instrumentaux et vocaux qui n’étaient pas identiques, et dont les oeuvres aujourd’hui touchent différemment des publics différents.

Selon votre sensibilité, J.S. Bach fut au summum de l’art musical. Pour d’autres qui se sont procuré l’excellente intégrale Bach parue naguère chez Brilliant et qui l’ont écoutée dans son entier, quel ennui, mais quel ennui neuf fois sur dix ! A côté de nombreux chefs-d’oeuvres immortels, une masse de musique à peine au-dessus de la moyenne de l’époque, voire en-dessous. D’aucuns préféreront les fils au père. Certains, tel votre serviteur comme on disait jadis, considéreront Vivaldi, le Vivaldi des oeuvres religieuses, des sinfonias pour cordes, des concerti pour hautbois, basson, viole d’amour, mandoline, luth, flûte à bec ou pour ensemble d’instruments variés, des cantates, des opéras (parmi la vingtaine qui nous sont parvenus), etc., sans parler des concertos pour violon, comme infiniment plus imaginatif, important et moderne que le « grand » J.S. Bach. C’est une simple question de goût, d’appréciation. Et Goethe avait beau être un « grand » écrivain, l’un des plus « grands » de tous les temps sans doute, le fait, à vous lire, qu’il ait préféré Mozart à Beethoven ne prouve pas que la musique de l’impertinent Salzbourgeois fût supérieure à celle de son austère cadet (ça veut dire quoi, d’ailleurs, « grand » et « supérieur » dans le domaine des arts ?), cela montre seulement que Goethe n’était guère sensible à l’expressivité et à la facture des compositions du second ; probablement aussi ne prisait-il guère sa personnalité bourrue, un peu brute de décoffrage. En un mot, il ne comprit ni la musique de Beethoven, ni l’exceptionnel créateur que ce dernier était. On peut avoir du génie dans son domaine de compétence (la littérature) et être aveugle comme une taupe (ou sourd comme un pot) dans un domaine à soi étranger (la musique).

Vous avez écrit d’autre part que Beethoven n’était pas mélodiste - vous êtes ou sacrément difficile ou terriblement culotté ! - et qu’il fut « battu à plates coutures » par Bach (encore cette satanée hiérarchisation qui n’a pas lieu d’être : Albert Roussel était-il inférieur à Heinrich Schütz, Prokofiev à Gesualdo, Magnard à Brahms, quant à leur inventivité mélodique ? Cela n’a à mon avis aucun sens) : comptez-vous le mouvement lent de la Septième pour rien ? le mouvement introductif du concerto de violon comme négligeable sur le plan mélodique ? Et toutes ces idées sublimes et non « paroxystiques » qui se gravent dans la mémoire de l’auditeur dès la première écoute en ne la quittant jamais plus par la suite qu’on trouve dans la foisonnante musique de chambre de Beethoven, dans l’immense corpus de ses pièces pour piano, dans ses lieder, dans ses concertos de piano, dans ce petit joyau trop méconnu des mélomanes qu’est la Huitième ou dans la ravissante Première ?

Vous avez ajouté : « Il lui a fallu plus d’une dizaine d’années pour trouver le motif de la 9ème qui lui convienne ». Il faudrait s’entendre d’abord sur le motif auquel vous faites allusion, car la Neuvième ne manque pas d’invention mélodique ! Mais quel est le rapport entre le temps mis par un compositeur pour trouver la version définitive d’un thème et la qualité finale du résultat ? Mendelssohn était-il meilleur compositeur vers la fin de son adolescence que Beethoven dans sa pleine maturité parce qu’il conçut ses premiers chefs-d’oeuvre avec une remarquable rapidité ? Dans ce cas, Offenbach, Johann Strauss fils et Suppé, autres génies dans leur genre, furent bien « supérieurs » à Beethoven, Brahms et Draeseke... Je crois qu’ils eussent été très surpris de l’apprendre !

Quant à l’impuissance du maître de Bonn, selon l’expression consacrée, en matière d’opéra, s’agissait-il réellement d’impuissance ou de recherche peut-être excessive de la perfection dans un genre prestigieux (et lucratif lorsque le succès était au rendez-vous) qui n’était tout simplement pas le sien - étant profondément symphoniste de nature, y compris dans ses oeuvres pianistiques et de musique de chambre - et dans lequel, mal à l’aise, il avait à coeur de se distinguer, conscient de la place éminente qui serait la sienne dans l’histoire de la musique ? Auparavant, les compositeurs des époques baroque et classique produisaient en abondance pour la plupart et dans tous les genres, opéras inclus (mis à part J.S. Bach qui n’accoucha d’aucun ouvrage scénique... par impuissance ?) et, sauf exception, ne retravaillaient pas de fond en comble leur oeuvres durant de longues années jusqu’à ce qu’ils touchassent à l’idéal. Parmi les précurseurs du romantisme, c’est Beethoven qui s’imposa le premier, à ma connaissance, la tâche herculéenne de remettre un grand nombre de fois sur le métier un même opéra jusqu’à lui trouver sa forme parfaite (Leonore devenu Fidelio). D’autres suivront plus tard son exemple avec plus ou moins de réussite (César Franck et sa Hulda, Moussorgsky et sa Khovanchtchina, Borodine et son Prince Igor, Chausson et son Roi Arthus, Dukas et son Ariane et Barbe-Bleue, Debussy et son Pelléas et Mélisande, Albéniz et son Merlin, etc.).

En postant ce commentaire, mon but n’est évidemment pas de vous contredire sur tous les points pour le plaisir de vous contredire, et vous avez parfaitement le droit d’écrire ce que vous avez écrit et de penser ce que vous pensez. J’admets également pouvoir me tromper dans certaines de mes affirmations. L’important est que vous êtes manifestement un amoureux de la belle musique et qu’en cela nous partageons une même passion.


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