mardi 30 mai 2006 - par Euros du Village

Blogs, Europe et démocratie d’opinion : opportunités et dangers

Un an après l’issue du référendum du 29 mai 2005 en France et son déferlement d’affrontements argumentaires et rhétoriques, l’Europe a quasiment disparu de l’arène d’un débat public qui continue pourtant de s’enflammer : campagne des élections présidentielles avant l’heure, affaires d’Etat ne cessent d’agiter la chronique, ou plutôt les chroniqueurs. D’une semaine à l’autre, l’opinion (ou ceux qui prétendent la faire ?) semble « zapper » entre scandales, événements spectacles et thèmes de société qui déchaînent les passions. Constitution européenne, ouragan Katrina, crise des banlieues, CPE, Clearstream se sont succédé autant qu’éclipsés. Et, à chaque fois, désormais, les blogs semblent jouer un rôle de premier plan aux côtés des médias traditionnels. La parole citoyenne semble ainsi peser de plus en plus dans une démocratie où l’opinion est la règle. Et l’Europe, dans tout ça ?

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Les laissés-pour-compte de la sincérité collective

Le phénomène des blogs, tout le monde ou presque en parle, est une petite révolution tant dans le monde des médias que dans les modes d’expression individuels et la communication. La France, avec près de 4 millions de blogs à l’heure actuelle, est d’ailleurs précurseur en la matière, illustration certaine du besoin d’expression que les citoyens ressentent dans une société en perte de repères, mais éprouvant également un manque de confiance envers les relais traditionnels de l’information. La question de l’Europe est au cœur de ce problème : malaise quant à la place d’un pays et de ses citoyens au sein d’une construction qu’ils ne comprennent pas - et qui se sentent, en retour, incompris -, défiance vis-à-vis des médias traditionnels et des politiques, voire d’une élite supposée mêlant l’ensemble de ces acteurs dans une sphère d’acoquinement relevant en partie du fantasme.

En partie seulement, en effet. L’émergence des blogs et de l’expression personnelle est aussi le reflet d’une tendance lourde de la démocratie française, qui se nourrit et se cristallise autour des opinions de chacun. Cette « démocratie d’opinion », dont le journalisme français, fondé sur les impressions davantage que sur la prégnance de l’investigation et de l’explication, offre une illustration profonde (le journaliste est autant là pour commenter l’actualité que pour la rapporter), se distingue tout autant par la vivacité du débat que par de regrettables travers. Les dérives de cette dictature de l’opinion sont en effet aujourd’hui flagrantes, au point justement d’avoir doublement jeté hommes politiques et journalistes dans un état de disgrâce aux yeux des citoyens spectateurs : à vouloir suivre les vents d’une opinion supposée, politiques et médias ont franchement détourné les citoyens de leurs représentants et porte-parole. Au point que ces mêmes citoyens en viennent à exprimer avec violence la force de leur mécontentement (21 avril, 29 mai).

La mondialisation et l’Union européenne, thèmes laissés-pour-compte de la sincérité collective, sont certainement les questions qui en ont le plus fait les frais. Or qui pourra nier qu’il s’agit des enjeux les plus cruciaux auxquels nous fassions face à l’heure actuelle ? Le rappel de cette évidence reste désespérément nécessaire...



Le choix des Euros du Village
Le choix des Euros du Village, projet collectif, parmi l’ensemble des blogs et sites internet d’expression citoyenne sur les questions européennes, est assez original : bien qu’animé par une équipe dont l’attrait pour les questions européennes est évident, il ne repose ni sur une ligne particulière, ni sur le primat des opinions (les articles de la rubrique « Sur le vif » représentent à peine 5% de nos publications), mais sur une rigoureuse sélection des thèmes traités, une double exigence de pédagogie et de qualité et la mise en avant du fond avant la forme ou les personnes. A mi-chemin entre un site d’information et un blog, les « Euros du Village » offre à l’heure actuelle près de 250 articles sur des dizaines de thèmes, des sujets les plus techniques aux plus politiques. L’accent est résolument mis sur l’explication de thèmes complexes par des spécialistes des affaires européennes, plutôt que sur le traitement de l’actualité au jour le jour de manière journalistique.
L’ambition première des « Euros du Village » n’est pas de proposer une vision unique de l’Europe, mais de dépasser les idées reçues en présentant la diversité d’un continent et des projets politiques à son échelle ; cela demeure plus que jamais notre objectif.

www.eurosduvillage.com

Que faire de la parole citoyenne ?

Au lieu de faire flancher cette hégémonie de l’opinion, ce double discrédit ne contribue pourtant qu’à son glissement vers d’autres formes d’expression, qui s’en font le relais ; le phénomène des blogs est en première ligne. Les citoyens, autrefois spectateurs de l’opinion, s’en emparent. Ainsi, le blog leur donne la parole : chacun peut commenter l’actualité, donner son avis, avec une expertise non pas technique, ni politique, mais citoyenne. Citoyenne, autrement dit la parole du bon sens.

Si salutaire est le fait que désormais l’expression et le débat changent d’échelle, plus grave est le fait que la parole des journalistes et des politiques soit de plus en plus souvent considérée comme inférieure et moins légitime. Car en lieu et place des "citoyens", ce ne seront que quelques-uns qui auront réussi à imposer leurs vues et leur voix via la toile. Seule une infime partie d’entre eux aura en effet réellement voix au chapitre, face aux chimères d’une démocratie participative que la révolution Internet serait en passe d’imposer aux formes traditionnelles de la représentation. L’incroyable destin des thèses d’Etienne Chouard, incontestablement erronées dans leur majorité (il allait jusqu’à soutenir que le projet de Constitution européenne introduirait une dictature à l’échelle du continent), lors des débats sur le référendum sur la Constitution, illustre avec une terrible acuité à quel point ce phénomène peut s’avérer inquiétant (pour rappel, les Euros du Village ne sont pas là pour débattre du bien-fondé de la Constitution ni pour défendre coûte que coûte un projet que les citoyens ont décidé d’enterrer).

Attention, il ne s’agit pas là de dénigrer l’intérêt des blogs et des opportunités considérables offertes par ce phénomène ; ce moyen d’expression est formidable. Mais il mérite des précautions et un recul est nécessaire. Sur les questions européennes, de nombreux blogs, parfois d’une grande qualité, voient le jour depuis deux ans, et c’est indubitablement une bonne chose, une illustration que, malgré le peu d’attention porté à ces questions dans les médias, elles suscitent un véritable intérêt citoyen. Mais, là aussi, il convient de prendre parfois les choses avec un certain recul, lorsque, d’entrée, l’affichage de la couleur n’est pas évident (au contraire de blogs comme Le Taurillon, magazine des jeunes Européens fédéralistes, résolument d’orientation... fédéraliste, ou encore de certains blogs de militants d’ATTAC, dont le credo est la lutte contre l’Europe ultralibérale).

Quoi qu’il en soit, d’une manière générale, le thème de l’Europe trouve désormais des relais particulièrement intéressants, voire incontournables dans la blogosphère : débats de qualité (Europeus), témoignages passionnants d’un journaliste au cœur de Bruxelles (le blog de Jean Quatremer), ou encore pédagogie et sujets de fond comme c’est le cas avec les Euros du Village. A tel point que le portail Toute l’Europe, initié par le ministère des affaires européennes, met désormais les blogs au premier plan des sources d’information sur l’Europe.

Responsabilité

L’émergence des blogs donne une opportunité unique à chacun de témoigner, d’informer, et de dialoguer ; concernant les questions européennes, certains blogs sont devenus désormais de véritables sources d’information complémentaires des médias traditionnels, voire des outils de connaissance. Le citoyen devient « rapporteur », «  chroniqueur », « critique », mais attention à ce qu’il ne prenne pas la place du journaliste ou du politique. Les défaillances des médias et des politiques dans leur majorité, qui cachent pourtant nombre de bonnes volontés, ne doivent pas servir de prétexte. En cela, politiques et médias détiennent une responsabilité considérable et font face à l’urgence d’une remise en question fondamentale. C’est là que résident les dangers d’une démocratie, quand l’opinion l’emporte sur le concret, le factuel, et finalement, la pédagogie.

Auteur : Mathieu Collet (Euros du Village)



8 réactions


  • éric (---.---.166.26) 30 mai 2006 13:07

    L’opinion ne doit pas, en effet, l’emporter sur le concret. Elle doit cependant le précéder. Or il semble bien que nos dirigeants politiques et économiques se soucient bien peu de l’Opinion. De plus en plus de citoyens réclament une démocratie participative. Les blogs en sont l’expression. Ils n’en sont certainement pas l’instrument idéal. Mais c’est un symptôme qu’il ne faut en aucun cas négliger. Beaucoup se sentent enfermé dans une sorte de pseudo démocratie qui ne propose aux électeurs que des acteurs déjà connus, déjà vus et réservant le même spectacle. Aucun d’entre eux ne propose une idée, un chemin, une utopie même que les citoyens pourraient suivre ou rejeter.

    Tant que les hommes politiques se contenteront de faire carrière, le lien avec le peuple restera rompu.


  • Sam (---.---.155.211) 30 mai 2006 13:09

    « ..Le citoyen devient « rapporteur », « chroniqueur », « critique », mais attention à ce qu’il ne prenne pas la place du journaliste ou du politique... »

    Sinueux patchwork que cet article...Démocratie, citoyen, blog, opinion, on passe sans bien savoir comment d’une notion évoquée à l’autre, tandis que la plume hésite entre le jargon sondagier et la lingua neutra journalistica.

    Le coeur du pb émerge plus directement dans le final : chacun chez soi et les poules...

    Sauf à vouloir une démocratie façon armoire bien rangée, on ne peut plus séparer les acteurs. Pourquoi ? Les moyens de communication existent, blog y compris, ils sont utilisés. Par tous.

    L’avénement de « l’info en continu » a éliminé le traitement clairement analytique, hiérarchisé, distancié de l’information. On est aujourd’hui - presse écrite comme audio-visuelle - dans le factuel et l’émotif. Bref, les journalistes font du « chien écrasé » nappé de sentiments, de manière généralisée. La profondeur et la pertinence des infos ont disparu des supposés organes d’information. Chiens écrasés VS Investigation. Victoire des clébards !

    La politique dans ses incarnations disparaît sous nos yeux. C’est le recul permanent des Etats-Nations, la soumission de toutes les institutions au règne du marché, avec ses incantations, injonctions impératives : concurrence, rapidité, rentabilité. Les figures politiques sont nouvelles. Adieu les porteurs d’idées, drapés de rectitude et d’autorité pour organiser la société. Place aux chantres décomplexés de la politique pastel. Un zeste de civil, une touche de proximité, une louche de médiatisation, pour un abandon souriant de la puissance, un passage discret de témoin aux économistes, un retrait tranquille dans des retraites résolument et obstinément dorées.

    Le citoyen, dont la mémoire n’a pas encore oublié ce qu’ont été le journalisme et la politique, veut ranimer ces cadres, ces êtres anciens.

    On peut penser qu’il s’agit d’un acte réflexe, ou l’amorce d’un retour salutaire à de précédentes valeurs. Quoiqu’il en soit cet investissement nouveau du citoyen, s’il se confirme, signe bien les mutations politiques et médiatiques dont le blog est un des dernièrs avatars.

    Personne, aujourd’hui, ne peut conserver une place qui n’existe plus.

    Chacun, qu’il soit « simple » citoyen, politique ou journaliste, peut alors accepter d’organiser son territoire sous l’égide de nouvelles puissances. Ou s’en aller vers des lieux vacants pour, avec des moyens et des valeurs déjà connus, y rebâtir ce qu’il estime injustement détruit.

    A moins qu’il ne décide de revenir chez lui...


  • marcel thiriet (---.---.78.49) 30 mai 2006 13:51

    J’approuve l’esprit et la forme de cet article. Projet ambitieux, nécessaire et trés sain.

    J’attends pour juger sur pièces...


  • ATTAC & De Villiers VS l’UE (---.---.115.129) 30 mai 2006 15:44

    RE :« ou encore de certains blogs de militants d’ATTAC, dont le credo est la lutte contre l’Europe ultralibérale »(Votre Opinion).ATTAC a lutte contre l’UE jusqu’aux griffes&dents et moi j’ai fait par hazard des tres longues voyages en train avec ATTAC ensemble et je ne partage pas du tout ni leur programme politique ni leur origine rurale[parfois des paysans riches] et tres catholique. Bref:Certains de l’ATTAC veulent les subventions agricoles de l’UE et travaillent simultanement contre l’UE comme Phillipe de Villiers.


  • dom (---.---.46.227) 4 juin 2006 22:40

    article où l’auteur nous dit tout et son contraire... étrange.... tentative de nous rasseoir dans le « faisage d’opinion » imposée par l’armada ?

    Le monde ne tourne pas d’après l’opinion des êtres humains, mais celà semble être un fait majeur contourné jour après jour, ce monde ne nous appartient pas et il se fout de nos opinions, il a une loi qui lui a permis de se développer à travers des milliards d’années et nos inepties mentales ne font que contrarier la loi d’amour sur lequel il est bâti.

    N’entendez-vous pas l’injustice monter jusqu’aux cieux ?


  • Scipion (---.---.166.205) 4 juin 2006 23:36

    Le blog est, selon moi, le plus démocratique des étouffoirs de la démocratie.

    En accordant à tous ceux qui la désirent, une totale liberté d’expression, les blogs l’atomisent et en limitent donc radicalement et définitivement l’impact.

    Tous auteurs, tous éditorialistes, tous commentateurs...

    Dans le genre diviser pour régner, il était impossible de trouver mieux ni d’aller plus loin...


    • dom (---.---.203.22) 6 juin 2006 20:51

      soyons sérieux scipion... les blogs ne prétendent pas remplacer la démocratie, juste donner un espace d’expression. En tous les cas faut-il juste les prendre comme tels. Au moins reflètent-ils mieux les avis que les sondages.


  • Antoine Diederick (---.---.184.107) 9 juin 2006 01:12

    Ok, pigé, c’est la faute aux Blogs que cela va pas...

    Bon ben euh ah oh ?


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