Crise sociale : drames invisibles et silencieux
La banquette du bar est éventrée. Ça sent le vieux mégot et le client rare. À côté de l’église de Creil, cernée d’immeubles qui la dépassent, on croirait que la crise a ajouté à cette ville moyenne un parfum d’après guerre.

Routes défoncées, façades décrépies, la gare sinistre accueille des populations qui attendent un train qui ne vient jamais. Après 19 heures, l’ambiance ne se prête pas à la balade. C’est encore plus vrai pour les filles. Dans la rue principale, les tarifs qu’affichent les rares commerces du cœur de ville trahissent une population asséchée dans son portefeuille, prisonnière de la cité.
L’air y est lourd, ethnique et non métissé. Il suffirait d’un crissement d’allumette pour rallumer la révolte à peine éteinte. A 20 minutes de la Gare du Nord, ce bout de lumpenprolétariat n’a pas trouvé son documentariste ou son réalisateur. Des centaines de dramaturgies grecques se sont certainement nouées dans la sous-préfecture de l’Oise.
Brisées par un enfant disparu, un père absent, quelques Faye Dunaway en pantalons pressent le pas pour ne pas trop se faire remarquer. Devant la piscine municipale aux horaires peu commodes, uniquement des hommes. A travers la grande baie vitrée du hall de l’entrée, un rayon de soleil révèle des parois crasseuses. La départementale se déverse sans discontinuer juste devant : cela ne sert plus à rien de les laver. Plus loin, un des rares marchands de journaux étale la « une » du Parisien : le Maire de la Ville a laissé un trou de 200 000 euros dans les caisses de la fédération de son parti. Les berges de l’Oise oscillent entre friches industrielles à perpétuité et parkings sans fins.
Le bruit lancinant de la circulation indique que la ville est encore vivante. Du train qui s’enfuit vers la capitale, travelling sur les tours des hauts de la ville. Enveloppées d’une lumière jaune de la journée finissante, zoom sur les tours des hauts de la ville. Une fenêtre s’allume, un histoire commence.