vendredi 7 janvier 2011 - par Michel Koutouzis

De la monoculture et autres identités nationales

Je comprends de moins en moins les questionnements sur l’identité nationale (France) ou la culture de « chez-nous » (Allemagne). Ils sont toutefois légitimes, dans le sens où ils interpellent les citoyens et parfois même les mobilisent. Mais à mon humble avis, celui d’un voyageur permanent, imbu de plusieurs cultures (et nationalités), celui d’un polyglotte qui parle français avec des mots grecs et grec avec des concepts français, certains aspects de cette fixation identitaire auraient déjà du être tranchés, plus ou moins au moment de ma naissance, c’est à dire à l’aube de l’après guerre. Pour exemple, en Allemagne, le « patriotisme des institutions démocratiques » en opposition au « nationalisme du casque à pointe », était la référence centrale de ma génération, et cette potion magique avait permis, d’une manière ou d’une autre, à digérer les horreurs de la guerre et d’éloigner les Érinyes qui planaient au dessus de Berlin.

N’ayant jamais été « assimilé », et encore moins « intégré » au sein d’un moule citoyen made in France, j’y ai pourtant passé une grande partie de ma vie, en tant que citoyen. C’est à dire, ayant mon mot à dire sur le et la politique, participant à des combats qui parfois concernaient la France, parfois d’autres parties du monde, parfois le monde dans son ensemble. Et je dois dire que, quelques que soient mes opinions ou mon engagement, on ne m’a jamais fait comprendre que j’étais « d’ailleurs ». 

Si l’Europe a été une invention ayant permis de mettre une fin aux conflits des grandes puissances européennes, elle m’a, autant qu’individu, facilité la vie et simplifié toutes les démarches administratives qui me la pourrissaient, au point de croire qu’elle avait été créée juste pour moi. Ce qui ne m’empêche pas de critiquer tout ce qui, à mon avis, « est pourri dans le royaume du Danemark ». Là aussi, dois-je dire, je n’ai pas eu d’ennuis indépassables, pas plus qu’un fonctionnaire qui doit garder (en certains cas) un devoir de réserve ou une « discrétion sélective », concernant certains sujets « sensibles » liés à mes activités professionnelles. 

Ainsi, je sens de plus en plus, que l’affirmation d’un Autre inassimilable voire dangereux cache (mal) deux mécanismes douteux : le premier concerne un processus de renouveau d’un nationalisme antes guerre mondiale, qui trouve un appui inespéré chez les nouveaux venus au sein de la famille européenne. Le deuxième concerne une affirmation raciste, au sens propre du mot - ce qui en soi est preuve d’illettrisme et de lacune de nos systèmes éducatifs- qui détermine que certains « étrangers » seraient plus « étrangers » que d’autres. 

Au sein d’une Europe qui gère un abandon de souveraineté volontaire des Etats membre pour toute une série de monopoles régaliens, il faut en effet assumer qu’un Slovène ou un Polonais siégeant au Coreper peut - et doit - régler des problèmes qui étaient auparavant le quotidien d’un préfet (ou d’un ministre) français. Et vice - versa.  De la Suède à Malte, de la Bulgarie à l’Irlande, la culture et l’identité européennes se doivent, malgré de différences culturelles, religieuses, linguistiques, éthiques et morales évidentes, un socle commun qui, pour l’instant, est celui de la gestion technocratique. Quelques soient les objections et résistances, cette réalité fonctionne (plus ou moins bien). En d’autres termes, l’Autre européen est désormais gestionnaire de notre quotidien bien plus qu’un travailleur immigré ou un sans papiers habitant nos quartiers.

Le fait religieux, qui ne devient central que a cause de nos obsessions, est une fausse piste qui mène à la reconnaissance des éléments les plus rétrogrades de toute diaspora.  A combien d’espagnols, d’italiens, de polonais, de grecs, d’arméniens venus s’installer en France et en Belgique (1920, 1930, 1940), en Suède ou en Allemagne (1950 – 1960) a-t-on fait le procès de leur religion, de leur « agnostime », de leur anticléricalisme ? Certes, on mettait des bâtons dans les roues à leur volonté de se syndicaliser ou à s’affilier à un parti politique « de gauche ». Mais, par ailleurs, ils n’étaient pas mieux traités que les immigrés contemporains, quoi que l’on dise aujourd’hui et même s’ils étaient des fervents catholiques (on songe au pogrom anti – italien d’Aigues Mortes par exemple).  

A l’époque où je militais à l’université à Paris sans aucune entrave liée à mon statut d’étranger, d’autres grecs, ici, en Suède ou en Allemagne étaient quotidiennement brimés dans les champs, les mines ou les usines, considérés souvent comme du bétail à qui on niait quasiment tout droit citoyen.

Un peu avant, dans les années 50, ce sont les mêmes contrats inter-Etats collectifs qui régissaient l’arrivée massive des gastarbeiter grecs en Allemagne et des travailleurs immigrés maghrébins en France. Ces « travailleurs invités » ont participé au miracle allemand et aux trente glorieuses et, soit dit en passant, personne à l’époque ne les considérait comme des « peuples fainéants ». Ce qu’on leur reprochait, c’était leur statut même, celui d’être pauvres. On peut trouver, avec le recul du temps, autant d’articles, d’opinions, de textes malveillants vis à vis de la communauté grecque, qu’aujourd’hui se référant à celle des turcs.

Comme aujourd’hui, l’étranger était mal vu par ceux qui l’exploitaient et défendu par ceux qui avaient un regard critique vis à vis de leur propre société, de manière épidermique comme le cinéaste Fassbinder, ou philosophique comme les historiens de l’école de Frankfort, ou celle de la revue des Annales en France. 

 Qu’il arrive sous la couverture de contrats iniques ou, en désespoir de cause, en clandestin, l’étranger doit se plier à des règles écrites ou invisibles qui altèrent son histoire et sa personnalité. Théo Kalifatides, avec minimalisme et discrétion raconte son Odyssée suédoise :

Je montais et descendais Birger Jarlsgatan, un véritable repaire de courants d’air, je regardais toutes ces fenêtres allumées en espérant qu’une d’entre elles allait s’ouvrir, que quelqu’un crierait mon prénom, que j’avais déjà changé de Théodoros en Théodor, puis Théo, tout cela pour me rendre la vie plus facile, pour rendre mon nom plus facile dans l’espoir que quelqu’un le dise. Mais cela a duré longtemps, tellement longtemps que j’étais en train d’oublier comment je me prénommais.

Théodoros est désormais un écrivain de renom suédois, comme Djamel est français.

A eux on ne demande plus désormais à quoi ils croient où d’où ils viennent. Cependant, et contrairement à la très grande majorité de leurs « hôtes » eux, ils savent qui ils sont, et le prix qu’ils ont payé pour le savoir.

Paradoxalement, au sein d’un monde ou le collectif n’existe quasiment plus, les immigrés sont toujours des « grecs », des « turcs » ou des « musulmans ». Peu importe si, comme le raconte si bien Stephen Frears dans son film sur la minorité pakistanaise, Sammy and Rosie get laid, il existe des Pakistanais croyants et corrompus, d’autres ludiques et agnostiques, et d’autres, comme dans My Beautiful Laundrette  qui accumulent les tares d’être étrangers et homos à la fois. 



7 réactions


  • Sachant Sachant 7 janvier 2011 14:15

    Ainsi que vous l’écrivez, en effet :
    Les immigrés sont toujours des « grecs », des « turcs » ou des « musulmans »

    Comme quoi l’amalgame va bon train
    Quand ses ancètres viennent du maghreb
    On a pas le droit à une nationalité
    On a pas le choix de sa religion

    Il n’y a pas d’égyptiens chrétiens ?
    Il n’y a pas d’algériens athées ?
    Il n’y a pas de tunisiens agnostiques ?


    • Michel Koutouzis Michel Koutouzis 7 janvier 2011 17:37

      Vous avez raison et merci pour les références du bouquin. Je me le procure dès que je peux...Le trouve-t-on en anglais ?


  • ddacoudre ddacoudre 7 janvier 2011 18:10

    bonjours koustouzis

    Les racines du racisme son profondément encré dans l’affirmation de soi et de l’entre-soi qui se valorise de l’infériorité de l’autre qui entre en dissonance avec soi.

    Généralement la socialisation et la culture y pallient, si le racisme ressurgit c’est là qu’il faut en chercher la cause, car nous ne referons pas l’humain.

    J’ai noté ta référence à aigues mortes, mon grand père en fut un rescapé, il épousa ensuite une française de souche, come quoi la vie a de sacré revirement.

    Cordialement.


    • ddacoudre ddacoudre 7 janvier 2011 23:50

      bonjour marc
      rien de bien compliqué nous sommes naturellement xénophobe, l’autre est toujours un étranger inférieur à nous, nous l’acceptons d’autant mieux qu’il flatte notre supériorité, car c’est ce que l’on attende de son regard, comme narcisse de l’eau. nous n’existons qu’au travers du regard des autres, et y cherchons notre reflet, alors gare à celui qui ne nous ressemble pas, c’est le poids des cultures.
      ainsi parmi les rejets qui se développent nous y trouvons ce que nous qualifions de racisme et à l’opposé ce que développe la socialisation l’acceptation de la diversité culturelle, car aucun homme n’est supérieur à un autre dans ces capacités innés, nous sommes même tous de potentiels dominants en l’absence d’un dominant plus fort que nous même.
      il ne faut pas oublier que la notion de race développe au 19 siécle et 20 reposait sur la race supérieure et non la couleur, puisque nous savons que le catholicisme pensaient que le noir n’avait pas d’âme et ne le voyait pas comme un humain.

      cordialement


  • DANIEL NAESSENS 7 janvier 2011 20:08


    Article interressant et bien argumenté.
    Quelques petits points à relever cependant :
    1- Ce que vous nommez « pogrom » d’Aigues Mortes n’est rien d’autres qu’un réglement de comptes entre « jaunes » et travailleurs.
    Le Patronat s’est toujours servi des étrangers et de l’immigration en général contre les interêts de la classe ouvriére. Il y a une trés belle description de cela dans « Germinal » de Zola où les patrons des Houilléres font appel aux Belges pour casser une gréve. On voit la même chose dans « les raisins de la colére » où les patrons font appel aux Okies (état d’Oklahoma) pour casser les gréves des ouvries de Calfornie, puis pour casser les gréves d’autres Okies qui commencent à demander des salaires corrects.
    Assimiler ces réglements de compte d’Aigues Mortes à un « pogrom » me semble insultant quant on sait ce que furent les vrais pogroms , comme en Pologne par exemple.
    L’époque est au raccourci simplet, certes, mais quand même...

    2- Le probléme de l’Islam en France est réel et on peut comprendre qu’il puisse poser soucis au niveau des solidarités humaines et sociales.
    Les tensions d’aujourd’hui ne naissent pas du néant.
    On peut se féliciter que les attentats de 87 ou de 95, sans parler des différents crimes perpétrés ici au nom de l’Islam n’aient pas aboutis à des lynchages par exemple...
    On peut comprendre néanmoins que l’écume en porte quelques mémoire.
    Assimilier ces tensions à une « peur » ou à je ne sais quel fantasme d’avant guerre est contre productif en ce qu’il interdit tout dialogue -les uns étant assimilés à des « racistes » les autres à des « malades religieux ».

    3- Aujourd’hui l’immigré, le sans-papier bénéficie d’une image médiatique « héroique » : voir le nombre de films ciné ou télé où il représente l’élément positif. A rebours on a un personnage négatif récurrent , c’est « Dupont-lajoie », la figure type du français, c’est lui qui figure le « Juif Suss » d’aujourd’hui. C’est lui qu’il faut détruire, c’est lui qui ne vaut rien.
    La misére qu’améne l’immigré dans son pays d’acceuil est perçue à travers ce prisme comme la juste punition infligé à ce Dupont Lajoie, antisémite, colonialiste, etc...
    Le probléme étant évidemment que ce Dupont Lajoie désigne tout simplement tout français « de souche ».

    4- Aujoud’hui le nationalisme n’est plus de mode en Europe. Ce qui serait bien c’est qu’il ne le soit plus nulle part.
    La tension nait de ce que ce nationalime existe encore partout hors d’Europe.
    Nous avons des citoyens qui ont la double nationalité qui peuvent hair une de ces 2 nationalité et chérir l’autre...Et avoir un franco Israelien emprisonné par lesPalestiniens et un franco Palestinien emprisonné par les Israeliens...Ou avoir un citoyen qui par son vote va interdire la construction d’eglise dans son 1er pays, et imposer par son vote la construction de mosquée dans son éme pays...


    Tout cela pour dire que les shémas sur les « étrangers », les « immigrés », « la citoyenneté , etc...n’ont plus rien à voir avec les poémes de Benjamin Fondane et son »arccordéon de la mort".


    • Michel Koutouzis Michel Koutouzis 8 janvier 2011 06:15

      Aigues mortes : Je pense, hélas, que ce fut bien plus qu’une bagarre.

      Lire :
      Enzo Barnabà, trad. Claude Galli, Le sang des marais : Aigues-Mortes, 17 août 1893, une tragédie de l’immigration italienne, Via Valeriano, 1993.
      Gérard Noiriel, Le massacre des Italiens, Fayard, 2010
      José-Ramón Cubero, Nationalistes et étrangers : le massacre d’Aigues-Mortes, Presse universitaire de France, 1995


  • ZEN ZEN 8 janvier 2011 08:03

    Merci, Michel , pour cette analyse et ce témoignage intéressants, qui aurait mérité de plus nombreux lecteurs.
    Kostas Axelos, Castoriadis et tant d’autres penseurs grecs ont fécondé la pensée française
    Dans ma jeunesse, j’ai travaillé en usine en Allemagne avec des travailleurs grecs et yougoslaves. Leur intégration n’était pas plus assurée à l’époque que les Turcs d’aujourd’hui.


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