vendredi 18 novembre 2011 - par Emmanuel Glais

Déculpabiliser l’abstentionnisme

Il est bien connu que les gens qui ne bougent pas leurs céans pour fourrer les urnes les jours d'élections sont des cons. Des inconscients amnésiques, irrespectueux des combattants d'hier qui ont parfois sacrifié leurs vies sur la longue et difficile voie nous ayant amenée à la démocratie.

J'ai tendance à croire, cependant, que le chemin où des humbles ont trébuché, n'était pas le « stairway to heaven » dont on nous rebat les oreilles, à l'école, à la télévision, et dans les bouches des bien-pensants fanatiques de démocratie. Quand je vois la rue, manifestement, je n'ai pas l'impression d'être dans un paradis. Pas même dans un paradis politique.

Les gens du commun, produits d’un catéchisme républicain dénué de sens critique, nous apprenant à ne pas nous poser la question des institutions, car les nôtres seraient parfaites, trouvent un Président de la République élu au suffrage universel tout à fait légitime d’exercer un pouvoir politique au nom d’eux-mêmes, les Français. Comme les sujets de l’Ancien Régime trouvaient tout à fait normal que leur roi mandaté par Dieu décide des lois intérieures et des affaires extérieures. Cette année, notre chef des armées avait donc tout autant le droit de reconnaitre au nom de la France le Conseil National de Transition Libyen en mars dernier puis de faire la guerre à l’Afrique, comme Louis XIV estima Philippe, Duc d’Anjou, roi d’Espagne en 1700, avant de combattre toute l’Europe.

Un jour viendra où l’on se rendra compte que la démocratie représentative ne correspond pas à une idéale fin de l’histoire politique, comme les héritiers d’une vision téléologique de l’écoulement du temps nous le rabâchent, mais à un simple moment de l’histoire. Un jour, la légitimité sur laquelle repose le système représentatif s’écroulera, comme les gens ont arrêtés de croire que le roi est leur chef parce que Dieu le veut.

Peut-être que le moment où la légitimité de l’élu est intouchable touchera bientôt à sa fin. En effet, avec la crise économique, nous vivons un moment particulièrement intéressant. Le monde s’aperçoit que les élections sont de peu de poids en comparaison aux décisions prise à Manhattan, la City ou la Défense. Aussi, apparaît au grand jour le vrai visage de la construction européenne. L’enchaînement des évènements advient comme si les plans de rigueurs qu’accumulent les membres de l’Union n’étaient qu’une étape vers la mise sous tutelle des peuples par un gouvernement mondial dont les ministres seraient tous liés à Goldman Sachs.

Alors, quelle attitude va t-il falloir adopter en 2012 ? Voter, bien sûr, nous dirait Hubert Védrine, l’ex-conseillé général de l’Elysée pendant la guerre du Rwanda, aujourd’hui administrateur de LVMH, membre du Siècle comme du Haut Conseil pour l’Alliance des Civilisations. Parce que le grand homme loué par Chirac (dont la femme touche également une rente LVMH) qualifie la démocratie de « notre trésor », rien de moins ! Un trésor, ça ne se perd pas ! Pour le défendre, votons !

Reconnaissons à Hubert Védrine un peu de clairvoyance, quand il nous met en garde contre le fédéralisme technocratique que l’on nous promet. Mais notre opinion n’est pas que le vote en 2012 et après est la meilleure manière de contrer cette vague dangereuse.

Voter en 2012, ce sera déjà donner un peu de légitimité au système qui nous a mené jusque-là. Les institutions de la République, bien que plus démocratiques que celles de l’UE, sont cependant terriblement imparfaites. La voix du peuple n’est pas du tout prise en compte. Le système est si mauvais que la Constitution Européenne, le plus important des textes régissant nos lois, n’a aucune base populaire (faut-il le rappeler ? les parlementaires français l’entérinèrent après que les français aient rejeté sa première formulation). Mais il faut aussi repenser, que dis-je, changer, notre Constitution Française, pour empêcher que les législateurs ne prennent des décisions favorables aux plus riches et à eux mêmes, quitte à laisser sciemment un fort taux de chômage s’installer. Car nous croyons que le malheur ne vient pas seulement des affligeants personnages qui nous gouvernent mais surtout du système lui-même.

Nous voyons bien que les hommes au pouvoir, sortant de trois ou quatre écoles différentes, sont tous pourris. Du moins ce sont les plus pourris que le système hisse au pouvoir, via notamment le sponsorship des grandes entreprises. Les défenseurs du peuple participant aux différentes farces électorales, ceux qui étaient avec lui en 2005 pour rejeter la Constitution Européenne (l’extrême-gauche, Chevènement, Schivardi, Dupont-Aignan, les Le Pen, et quelques autres), et certains déjà en 1992 pour rejeter Maastricht se voient à demi exclus du système, ou diabolisés. La majorité d’entre nous, malheureusement, continue de voter pour les mêmes : les ambitieux de l’UMPS.

Si nous voulons commencer à vivre en démocratie, il faut donc revoir toutes les institutions. Il y a beaucoup de choses à dire sur les institutions, évoquons juste un principe. Pour que le peuple gouverne et ne fasse plus entuber, il faut appliquer le principe d’égalité politique. Si en politique, nous sommes tous égaux, alors pourquoi n’utiliserait-on pas le tirage au sort pour choisir nos représentants ? Comme l’explique très bien Etienne Chouard, le tirage au sort est la meilleure « bombe » possible contre l’oligarchie. Sans rentrer dans le détail, le tirage au sort aurait l’avantage de tous nous politiser davantage, de lutter contre les lobbys et la corruption, d’empêcher la professionnalisation de la politique.

Une fois ce vieux principe athénien réintroduit dans notre démocratie battant de l’aile, on peut imaginer beaucoup de scénarios. Une assemblée tirée au sort pourrait réécrire une Constitution, beaucoup plus ambitieuse que celle que Montebourg nous a laissé espérer avec sa candidature. Il faut aussi donner de véritables leviers d’action aux citoyens, à travers par exemple des référendums d’initiative populaire (n’ayant rien à voir avec le faux inventé dans la Réforme Constitutionnelle de 2008), comme cela se fait en Suisse ou au Vénézuela.

En attendant, abstenons-nous. Pour donner moins de légitimité au clown qui sera investit l’an prochain, dans le cadre d’institutions bien loin d’être, comme on le dit, démocratiques. S’abstenir, à mon sens, est un signe plus fort que de voter pour un des semi-dissidents du système qui se présentent, en exprimant un refus du système lui-même.

Abstenons-nous, non pas parce que nous ne nous intéressons pas à la vie en société, mais justement, parce que nous estimons que ce système-là ne respecte ni les individus ni les majorités. Il nous méprise, en nous demandant trois ou quatre fois par décennie de nous prononcer, rarement sur un point précis (référendum), et presque toujours à travers le filtre d’un nom et d’un programme. Abstenons-nous avec comme ligne de mire de participer davantage aux prises de décisions politiques (le pays ne devrait-il pas être consulté par exemple avant de partir en guerre ?) et économiques (personne, a priori, n’a voté pour l’endettement public auprès des banques privées). Les élections ont tellement peu d’effet sur la marche à suivre par les gouvernements qu’aller remplir une urne revient à uriner dans un Stradivari. Il nous faut fonctionner autrement. Et c’est avec les dents, bien sûr, que ces nouvelles institutions seront conquises.



11 réactions


  • devphil30 devphil30 18 novembre 2011 11:28
    Vous envisagez un deuxième tour UMP Ps mais si il en était autrement un PS FN ou UMP FN quel serait votre position ???

    Non , ne rien dire , ne rien voir , ne rien entendre , ne rien penser n’est pas une philosophie de vie ni un comportement raisonnable.


    Philippe

    • AntoineR 18 novembre 2011 16:17

      En culpabilisant les abstentionnistes et en remuant l’épouvantail du FN au second tour, l’UMPS se maintient au pouvoir.
      Les phrases comme « nos anciens se sont battus pour obtenir le droit de vote.... » nous empêchent de réfléchir et de voir la vérité en face. La démocratie est morte et la carte d’électeur n’est qu’un accessoire de mascarade.
      Il existe un site sympa qui parle de ça : http://nevotezpas.fr/

      Il ne peut y avoir démocratie que s’il y a des candidats qui représentent le peuple, qui connaissent le peuple et qui défendent ses intérêts. Or, le système est maintenant véruillé par l’oligarchie et les politiciens professionnels.

      Je suis d’accord, je n’irai pas voter et je n’en ai pas honte !


    • CE QUI EST PREVU PAR LA DROITE POPULAIRE  :

       c’est que leurs amis  du MEDEF OU du CAC40 ne paireont les abstentionnistes qu’une fois

      sur 2...

      MIEUX ILS PENSENT S’ALLIER AVEC LE fn ET NE PLUS PAYER DE SALAIRE ...DU TOUT C’ EST LEUR PLUS GRAND FANTASME....REVENIR A L ’esclavage ou au servage...........................

       ALORS VOTEZ JL MELENCHON...DEGAGEONS L ’UM.PS


  • chantecler chantecler 18 novembre 2011 11:55

    Ben voyons !
    Un article par jour pour prôner l’abstentionnisme ...
    Vous roulez pour qui ?
    Pensez vous que la droite va s’abstenir aux prochaines élections ?
    Vous n’avez pas envie de voter ? Ce n’est pas une obligation .
    De là à en faire du prosélytisme...
    J’espère que personne n’est dupe !


    • hopeless 18 novembre 2011 18:59

      Si les abstentionistes et les votes nuls représentent une masse suffisamment importante, disons 60%, cela signifie que le futur président sera élu avec environ 20% des voix seulement. Cela signifie aussi que 80% des électeurs seront hostiles à la nouvelle politique qui sera mise en place, et ça, ça peut faire beaucoup, beaucoup de monde dans les rues, suffisamment pour faire tomber n’importe quel pouvoir politique.

      S’il y a un candidat qui me convient au 1er tour je voterai pour lui, ou nul dans le cas contraire. Je voterai très certainement nul au second tour, quel que soit l’enjeu, y compris une présidente FN.


    • AntoineR 19 novembre 2011 14:32

      Je vais voter blanc en 2012 pour toutes les raisons évoquées plus haut.

      Mais c’est quand même avec un pincement au coeur car cela fera le jeu de la droite.
      Il faut quand même être lucide sur le fait que 25 à 30 % des français votent UMP quoiqu’il arrive.

      Un journaliste disait un jour que certaines personnes préféreraient voter pour un hamster UMP plutôt que pour un candidat de gauche. 

      Les votes blancs seront pris à la gauche, l’extreme gauche, aux écolos et éventuellement au FN. 

      Je ne connait personne qui vote UMP qui pourrait écouter ce discours.

      Donc d’un certain point de vue, l’abstentionnisme fera le jeu de l’UMP.

      Mais au final, pourquoi pas ? Un deuxième mandat de Sarko et ça finira forcement en révolution......



  • Loatse Loatse 18 novembre 2011 14:46

    Bonjour,

    pour les suisses, lorsque nous votons, nous français, nous donnons ni plus ni moins un chèque en blanc à notre président....ceux ci sont très impliqués dans la vie politique de leur pays, et chaque décision gouvernementale nécessite auparavant l’approbation des citoyens... mais bon, ceux ci à la différence de nous sont encore indépendants...

    Depuis que nous faisons partie de l’union européenne, nos dirigeants quelque soit leur parti se retrouvent avec une marge de manoeuvre pratiquement nulle... Le prochain héritera de la « patate chaude », soit la dette...et ne pourra de ce fait, que brasser du vent ou/et aggraver celle ci par des mesures qui feront que ce qu’on nous donnera d’un côté sera repris de l’autre...

    Il n’est qu’à se rappeler la générosité apparente de la mesure du rsa complémentaire pour les travailleurs.. lesquelles s’apercurent que ce cadeau n’était en fait que la prime à l’emploi qu’ils touchaient habituellement, mais répartie sur douze mois...

    Quand on voit le niveau d’ingérence de l’Empire dans notre politique,

    http://www.politique-actu.com/osons/la-recrute-dans-banlieues-francaises-suite-grace-wikileak/213529/
     
    on ne peut qu’en déduire que celui ci pésera de tout son poids pour amener son poulain au pouvoir....

    Comme l’impression que mon bulletin de vote ne changera pas grand chose à la donne.. et que le pequin moyen dont je fais partie s’illusionne complètement quand à sa faculté de faire changer les choses au moyen d’un bout de papier....

    M’enfin d’ici 2012 bien des choses peuvent se produire....








  • Bovinus Bovinus 18 novembre 2011 21:26

    Voilà un article fort pertinent sur un thème de la plus haute importance. Bravo.

    Quant aux imbéciles dans le genre d’Alchimie, ils feraient mieux d’étudier le fonctionnement des institutions athéniennes au lieu de dire de la merde. Il y a un excellent bouquin de Mogens H. Hansen qui s’appelle « La démocratie athénienne » là-dessus. Sinon, on peut trouver énormément de choses juste avec Google et Wikipédia. Ça demande juste un peu de curiosité et de patience. En même temps, je les comprends : écrire de la merde sans rien comprendre ni savoir ne demande que quelques secondes. Beaucoup moins fatigant.


    • Bovinus Bovinus 18 novembre 2011 23:11

      Alchimie :
      La démocratie Athénienne de quelle époque, Mr Dubison (en parlant de productions de bouses ...).

      Jolie démonstration de mauvaise foi. Il me paraît relativement évident, même avec ne serait-ce que le minimum syndical de culture, que quand on dit « démocratie athénienne » on parle du régime politique d’Athènes du IVe au Ve siècle avant JC. Tenez, on tombe directement dessus si on tape « démocratie athénienne » dans Google : http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9mocratie_ath%C3%A9nienne

      Ce type de régime, qui s’appelle donc « démocratie », n’a plus jamais été pratiqué nulle part. Athènes retombe vers la tyrannie et l’oligarchie dès la défaite contre Sparte dans la guerre du Péloponnèse (Sparte, au contraire, a toujours eu un régime oligarchique). Ce qu’on appelle « démocratie » de nos jours et qui désigne la famille particulière de régimes dominant le monde occidental s’appelle en réalité dans le langage des sciences politiques « régime représentatif », ce qui n’est rien d’autre qu’une banale et vulgaire aristocratie (j’aime bien appeler les choses par leur nom).

      Remerciez-moi : vous vous coucherez moins con ce soir.


    • Bovinus Bovinus 19 novembre 2011 01:57

      Votre critique aurait pu être acceptable, mais elle ne l’est pas. D’abord, parce qu’elle est ultra-classique (la prochaine fois, j’y répondrai par anticipation). Ensuite, parce que c’était il y a 2400 ans, hein, faut se replacer dans le contexte si on veut être un minimum honnête - les valeurs n’étaient pas les mêmes, il existait des choses horribles comme l’esclavage, et faut savoir en outre que ceux qui étaient admis à disposer du pouvoir politique étaient aussi soldats, l’un n’allait pas sans l’autre. La « liberté », y compris politique, chose dont nous n’avons pas vraiment idée, car on n’en a jamais vraiment joui, se payait comptant et devait se mériter. Enfin, sur le plan strictement juridique, vous faites une confusion de catégories : vous confondez le mode de répartition du pouvoir politique et la définition de la citoyenneté. En l’occurrence, pour mettre la démocratie athénienne aux normes actuelles, il aurait suffi à l’époque d’étendre la définition de la citoyenneté aux sujets qui en étaient exclus, à savoir : les esclaves, les métèques, les étrangers, les femmes. Par ailleurs, je vous ferai remarquer que si la démocratie athénienne était instituée demain en France, il n’y aurait pas besoin d’étendre quoi que ce soit, puisque l’immense majorité de la population française jouit de la citoyenneté française.

      On appelle cela « nationalité », chez nous. Je précise, parce qu’il existe des pays en Europe, et même au sein de l’UE ultra-libre et ultra-démocratique où, à l’instar de la Grèce antique, de très larges couches sont exclues de la citoyenneté, n’ont pas le droit de voter ni d’être fonctionnaire, par exemple. Par exemple, en Lettonie.

      J’en profite d’ailleurs pour placer une remarque sur votre malheureuse introduction plus haut, au sujet d’Alexandre et de Socrate... Alexandre était macédonien et non athénien. Quant au procès suicidaire de Socrate, il a eu lieu si j’ai bonne mémoire en -404, c’est à dire, sous le « règne des Trente » - tyrannie imposée par Sparte suite à la défaite athénienne dans la guerre du Péloponnèse.


  • Henri François 19 novembre 2011 08:29

    Un tout premier remède s’impose d’ores et déjà. Celui d’interdire la politique comme PROFESSION. Député, sénateur, Président, conseiller etc... un seul mandat de 4 ans, renouvelable UNE SEULE fois et interdiction ensuite de revenir à jamais aux « affaires ». Des assemblées décisionnaires réduites en nombre et en membres et possibilté donnée au peuple de pouvoir par voie réferendaire de « censurrer ou démissionner » les dirigeants en cours de mandat.
    De toutes façons telle que se présente l’élection de 2012 je ne serai pas abstentionniste mais « bulletin blanc ».


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