La flûte contre la délinquance
L’autre jour, j’ai revu par hasard un vieux pote qui est devenu caïd de banlieue. Il s’appelle Michel mais il préfère que je l’appelle Mouloud, il trouve que ça fait plus pro.
On a parlé de la dernière déclaration de guerre de Sarkozy à la délinquance. Ça l’a drôlement fait rigoler :
- Ça fait huit ans que ça dure : depuis 2002, quand il était ministre de l’intérieur ! Résultat ? Rien !
- Ça ne t’inquiète pas ?
- Bah non, j’ai même jamais été aussi nar-pé pour faire du biz (business ndlr). Tu veux que j’te dise : Sarko, c’est une causette, comme toi - sauf que lui, il gagne du blé avec ça.
Il m’appelle Causette parce que, quand on était petits, il trouvait que je causais trop. Lui, il tapait, plutôt. J’essayais de lui expliquer pourquoi le dialogue est toujours la meill… et bref, je causais, quoi.
En tout cas, c’était bien la premère fois que qulqu’un me trouvait un point commun avec Sarkozy (à part Carla Bruni, bien sûr). Il a poursuivi :
- Tous les ans, ils nous ressort son message : c’est la guerre, les voyous, l’insécurité, gnagnagna. Franchement, moi, ça ne m’inquiète pas une seule seconde. Sur le Coran ! C’est du blabla pour vous autres, les Fromages.
Il a réfléchi quelques instants et il a conclu :
- A nous, de toute façon, il ne peut rien nous faire : on travaille ensemble.
- Hein ? qu’est-ce que tu dis Mich... heu... Mouloud, vous travaillez ensemble ? Avec Sarko ?
- Sur la tête de ma mère ! Il a besoin de nous pour se faire réélire. S’il n’a plus a délinquance et l’insécurité, il peut compter sur quoi, hein ? Le chômage ? Sa Rolex ? Il fait des grands gestes, il vire un préfet et il vous blablate comme une gonzesse avant de vous faire tourner dans la cave.
- Oh ! Mich... heu... loud !
- Ouais, s’cuse mais ça m’énerve : tu devrais savoir ça, toi, avec toute ton éducation, là ! Réfléchis un peu : qu’est-ce qu’il a fait contre nous depuis huit ans ?
- Ben, je sais pas moi, les patrouilles, les taser, les flashball, tout ça...
- Ça, c’est seulement fait pour augmenter le nombre de bavures. Pourquoi tu crois qu’il a supprimé la police de proximité ?
- Ben... heu...
- Parce que c’était le dernier truc qui pouvait empêcher les jeunes de devenir des bandits, pardi ! Après, c’est trop tard. Tout le monde sait ça. Avant de guérir du sida, le mieux, c’est de ne pas l’attraper. Le seul truc qu’il fallait supprimer, c’était les ghettos.
Il commençait un peu à m’énerver, le faux Mouloud, là, avec sa tête de Jean Villeret qui se prend pour Scarface.
- Et l’instauration d’objectifs chiffrés pour les policiers, c’est pas une bonne mesure, hein ?
- Si, la vie de ma mère ! celle-là, c’est la meilleure : pendant que les poulets courent après les fumeurs de joints et rançonnent les automobilistes pour boucler leurs objectifs, moi, je suis tranquille. Pendant qu’ils trafiquent les chiffres, moi, je trafique tout court.
- Tu délires !
D’un coup, il m’a regardé d’un air hyper terrifiant et je me suis rendu compte qu’il avait vraiment changé depuis la cour de l’école.
- Moi, je délire ? Ecoute-moi bien, espèce de sale petit fils de pute de fromage, t’es un frère, mais je laisserai jamais personne remettre en cause les compétences stratégiques acquises lors de mes stages professionnels en taule, ni mon analyse concurrentielle forgée par une longue expérience de terrain, ok ? Je suis un pro, moi, t’as compris, connard ?
- Gloups...
- Tu crois vraiment que c’est le hasard si c’est la merde en banlieue ? Tu crois vraiment que c’est le hasard si les villes de droite ne respectent pas les quotas de logements pour les pauvres ? Tu crois que c’est le hasard s’il y a toujours des ghettos ? Pour un pro de la politique et du business comme moi, le hasard, ça n’existe pas.
Ça commençait un peu a sentir le roussi alors j’ai essayé de changer de discussion, tout en veillant à garder une attitude virile et digne. Je devais néanmoins ressembler à une sorte de petite méduse séchée.
- Oah ! Hé, dis-donc, Michloud, elle est super ta tocante ! j’avais pas vu dis-donc ! c’est quoi, une Rolex ?
- Ouais, c’est une Rolex et elle coûte le prix de ta maison, pédé. J’en ai rien à foutre de cette merde bling bling mais ça m’aide à me faire respecter, inch Allah !
Il m’a saisi par la nuque et il m’a regardé droit dans les yeux :
- Tu vois, mon Causette, ils nous ont laissés tous seuls alors on s’est organisés tous seuls. C’est nous les chefs. Et maintenant on a des flingues. Et on s’en sert.
A ce moment-là, son portable a sonné et j’ai remercié tous les dieux que je connaissais, Aztèques compris, et même Nanabozo, le dieu lapin des Ojibwés. Au milieu de sa conversation, il s’est interrompu et il m’a dit :
- Au fait, Causette, tu gagnes combien avec tes articles de merde, là ?
- Ben... heu... pourquoi ?
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