Le devoir d’irrespect
Une nécessité absolue, la République n'est pas Monarchie.
Rien n’est plus insupportable à mes yeux que ces flagorneurs patentés et autres obséquieux mielleux à l’échine si souple qu’ils passent leur existence pliés en deux dès qu’une personnalité s’approche d’eux ou qu’ils s’adressent à elle par l’entre-mise de la toile. Ils ont sans doute les lombaires d’une grande souplesse et l’esprit peu enclin à la rébellion. Ils avalent tout ce qui passe, s’interdisent tout esprit critique, surtout si c’est en public. Ils sont les plus sûrs piliers d’un système qui n’a jamais compris la différence réelle entre République et Monarchie.
Nos amis les flatteurs sont le ferment de cette confusion des genres. Ils ont par principe, une si haute estime de ceux qui détiennent le pouvoir que ceux-là finissent par se persuader d’être effectivement au-dessus du panier, non pas de simples élus représentants du peuple souverain, mais des êtres d’exception, d’essence quasiment divine, sortis en droite ligne de la cuisse de Jupiter.
Les valets ne font pas que servir la soupe, ils la rendent amère aux plus humbles en poussant toujours plus l’adoration pour leurs maîtres. C’est ainsi que tout naturellement nait l’ivresse du pouvoir, ce curieux sentiment d’être au-dessus de la plèbe, d’avoir tous les droits et le plus souvent guère de devoirs. Les privilèges qu’ils s’octroient indûment ne sont que le fruit de cette vénération sans limite que leur accorde ce premier cordon sanitaire qui constitue un solide rempart contre le peuple des mécontents, ce peuple en jaune si méprisé des maîtres et de leurs valets.
Serviteurs zélés, ils sont sans arrêt à quérir un regard, à quémander un sourire, à poser sur la photographie avec leur idoles, à s’extasier de tous les faits et gestes du grand homme, de la merveilleuse femme. Ils leur font tourner la tête, provoquantes griserie et ivresse à force de courbettes d’ancien régime, de révérences et de grimaces. Eux aussi sont les acteurs incontournables de la rupture entre décideurs et pays réel.
Le pouvoir d’irrespect pourtant s’impose d’autant plus que tout le décorum républicain a emboîté les pas de l’ancien régime. Il convient pour ne pas sombrer dans le grand guignol que quelques voix s’élèvent pour moquer les grands, pour se gausser de leurs travers, pour caricaturer leurs défauts, pour transformer leurs frasques en épisodes guignolesques. Ce n’est qu’à ce prix que nos chers représentants finiront peut-être un jour par revenir sur terre.
Il est évident que cette posture n’est pas aisée. Le courbé est de très loin préféré au bouffon. On lui accorde des passe-droits, on l'encense, le rembourse en avantages conséquents. Il est le faire-valoir pour lequel la reconnaissance porte le nom de complaisance. C’est la juste récompense des courtisans.
À l’opposé, l’irrespectueux personnage qui fait son miel des travers et des bourdes des puissants est à rejeter sans vergogne. Faire rire aux dépens des puissants est crime plus grave encore que les critiquer frontalement, les mettre en cause publiquement, les dénoncer ou les pourfendre. L’humour est la pire des choses, d’autant plus que ceux qui en sont les premières victimes sont le plus souvent totalement dépourvus de cette qualité.
Ne leur jetons pas la pierre. Ce sont bien entendu les éternels passeurs de pommade dans leur dos qui les ont petit à petit privés de cette douce auto-dérision si nécessaire pourtant à la bonne gouvernance tout autant que les inévitables cireurs de pompes qui à force de les faire briller leur ont fait oublier qu’être pompeux c’est justement un terrible défaut.
Retrouvez le devoir d’irrespect. Ne vous précipitez pas devant l’important qui passe et réclame sa dose de flatterie et de caresses dans le sens du poil. Ne le gratifiez pas au contraire d’insultes et de quolibets. Ce dont il a besoin c’est de saillies drolatiques, de railleries moqueuses, de pics acérés ou de répliques acerbes. L’ironie, la dérision, la galéjade sont autant d’ingrédients qui aident à la bonne démocratie. Soyez urticants, osez le poil à gratter, risquez-vous à la farce et à la gaudriole. Seul le rire fera éclater ces baudruches infatuées. C’est une nécessité absolue …
Irrespectueusement leur.