samedi 25 février 2012 - par Caleb Irri

Le vote utile est une arnaque

Pour définir une dictature, il existe un critère « objectif » qui n’est contesté par (presque) personne : celui du parti unique. La démocratie étant elle-même (et à tort, dirons certains) définie par le pluralisme des opinions qu’elle est censée garantir, elle permet au peuple, par le biais d’élections libres et non truquées, de se choisir des représentants ayant différentes opinions mais qui fonctionnent ensemble à travers un dialogue constructif dans l’intérêt général. Des contre-pouvoirs sont également institutionnalisés pour éviter les abus de pouvoir, qui sont de nature législative, exécutive ou judiciaire, et auxquels s’ajoute la presse.

Même si la confiscation de ces quatre pouvoirs par le gouvernement actuel fait dire à certains, en référence à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (article 16 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de Constitution »), que la démocratie n’existe pas en France, ce pays dispose pourtant de nombreux partis, et la campagne électorale qui a commencé compte une multitude de candidats. Comment pourrait-on alors douter du caractère démocratique de notre pays puisque, à chaque élection présidentielle et même aux législatives, le peuple peut se choisir d’autres représentants lors de ces scrutins ?

Tout d’abord il convient de rappeler que le président de la République française est désormais élu pour cinq ans, tout comme les députés. La récente modification de la Constitution qui a remplacé le septennat par le quinquennat interdit de fait les cohabitations, car les élections législatives interviennent quelques semaines seulement après les élections présidentielles, ce qui accorde presque automatiquement au nouveau gouvernement la majorité à l’Assemblée Nationale, c’est-à dire quasiment les pleins pouvoirs, pour peu que le sénat ne change pas de camp.

Ensuite, l’élection présidentielle accorde à tous les partis la possibilité de présenter un candidat, pour peu qu’il ait les quelques qualités indispensables pour y prétendre, plus quelques 500 signatures de soutien de la part des maires de France (sur 37 000 communes) : cela laisse théoriquement de la marge pour de nombreux prétendants, mais la concomitance et la proximité des deux scrutins (de nombreux maires sont députés et la plupart sont « encartés » dans un parti) met une pression supplémentaire sur les stratégies électorales : certains candidats affirment que les appareils de parti les empêchent d’obtenir les signatures nécessaires à leur validation.

Et puis il y a le financement des partis, dont seuls ceux qui font plus de 5% aux élections sont remboursés de leurs frais de campagne, ce qui avec l’impossibilité de recourir à des investisseurs privés limite le nombre des petits candidats. Si on ajoute à cela les fraudes « légalisées » qui autorisent la création d’une multitude de petits partis capables de servir les finances des grands partis, le champ des possibilités se restreint encore un peu plus pour assurer le multipartisme.

Et enfin le mode de scrutin à deux tours, qui met les deux plus grands partis toujours en tête au deuxième tour (sauf cas exceptionnel), crée un précédent psychologique qui conduit les citoyens à laisser de côté leur « premier choix » pour se rabattre sur une sorte de « tactique » mathématique qui, par auto-réalisation, anticipe la présence des deux favoris au deuxième tour. C’est là qu’intervient la notion de « vote utile ». Partant du principe que de toutes les manières seuls les deux plus « gros » candidats arriveront à se qualifier au deuxième tour, on s’aperçoit qu’en guise de pluralisme le dialogue politique s’organise en réalité autour d’un bipartisme qui, si l’on y regarde de près, ressemble fort aux deux faces d’une même médaille, et ce à tel point que l’on emploie désormais le terme « UMPS » pour les désigner tous deux ensemble.

En définitive, la seule opposition qu’on peut trouver entre l’UMP et le PS n’est pas une différence idéologique (tous deux sont des libéraux) mais une différence d’intensité (le PS est moins « à droite » que l’UMP). Et la confusion qui règne chez les électeurs réside non pas dans les programmes des candidats (lorsque monsieur Sarkozy aura un programme, on s’apercevra qu’il est assez semblable à celui de monsieur Hollande), mais dans l’inconscient collectif qui se fait abuser par l’appellation historique du parti (anciennement) à tendance socialiste.

Pour le reste, les deux grands partis qui exercent ENSEMBLE le pouvoir depuis plus de trente ans défendent ENSEMBLE les mêmes intérêts, ceux de la classe sociale qui les nourrit, à savoir les 1% capables d’imposer leur volonté et qui leur permettent de continuer à toucher leurs émoluments sans trop de peine, pour peu qu’ils fassent ce qu’on leur demande : c’est un peu « arrangez-vous comme vous voulez entre vous, tant que vous votez ce qu’on vous dit de voter, personne ne viendra vous embêter ».

Après ça qu’on vienne encore me dire qu’il faut aller voter, ou pire encore qu’il faut voter « utile »… Mais c’est quoi le vote utile, et utile pour qui d’ailleurs ? A tous ceux qui se donnent une bonne conscience de citoyen en se soumettant au « non-choix » de l’UMPS je voudrais leur dire qu’ils se trompent, car la démocratie n’existe déjà plus : le pouvoir n’appartient pas au peuple mais à un seul et même parti unique divisé en deux, qui s’arrangent entre eux pour s’arroger des privilèges éhontés, et qui font semblant de se battre pour donner le change à ceux qui croient remplir leur devoir en allant voter pour l’un ou l’autre des deux candidats d’un même parti. Comme cette histoire qu’on raconte à propos de la guerre de sécession durant laquelle un des frères Rothschild finançait le nord pendant qu’un autre finançait le sud : le résultat était que l’argent, comme chez nous les bulletins de vote, allait dans les mêmes poches. Le vote utile n’est qu’un leurre offert en pâture aux citoyens pour les empêcher de choisir tout en leur donnant l’illusion de le faire.

Le vote utile est le mépris du citoyen, en même temps que la preuve flagrante du caractère anti-démocratique de notre système électoral. Il n’y a pas d’alternance possible, pas de renouveau idéologique envisageable, pas de pluralisme réel, pas d’opinions divergentes audibles. Le bipartisme c’est le parti unique ; et le vote utile une arnaque.

 

Caleb Irri

http://calebirri.unblog.fr



8 réactions


  • frugeky 25 février 2012 09:54

    Déjà rien qu’avec « élections non truquées » on n’est pas dans une démocratie. Entre les bulletins bourrés dans les chaussettes ou le non respect du code électoral (par exemple l’intégralité du nom du candidat) ou le non respect des limites du financement...


  • Fergus Fergus 25 février 2012 11:56

    Bonjour, Caleb Irri.

    En réalité, ce n’est pas le vote utile qui est un arnaque, mais le système présidentiel à la française qui l’induit très largement.

    Dans un système primo-ministériel parlementaire à la britannique, chacun peut voter pour ses idées sans arrière-pensée car, au final, le scrutin débouche soit sur une majorité claire soit sur une coalition.

    En France, rien de tel dans la mesure où c’est la personnalité du président qui détermine la politique à venir, les législatives étant toujours légitimistes et par conséquent au service du président élu.

    C’est pourquoi, dans l’esprit de très nombreux électeurs, ne pas voter utile est porteur du risque de faire gagner l’adversaire. Et ce n’est pas faux, évidemment. C’est sans aucun doute ce à quoi nous assistons en 2012 alors que les votes auraient sans aucun doute été beaucoup plus dispersés dans un système primo-ministériel.

    D’où l’intérêt de combattre le sytème présidentiel français pour aller vers une VIe République parlementaire.


  • Ptetmai 25 février 2012 15:49

    Est-il vraiment difficile à des gens supposés politiquement cultivés de comprendre qu’on peut, à tort ou à raison , admirer Eva Joly, Jean-Luc Mélenchon, voire François Bayrou , et pour autant ne pas voter pour un candidat - en fait aux tribunes précédant, voire préparant le premier tour, mais pas candidat à la présidence - , qui ,mathématiquement, réduira sensiblement le score (au premier tour) de Hollande ? Puisqu’il est, sauf erreur, le moins pire .

    Certains ne voulant pas de Sarkozy ont compris que ce choix d’Hollande s’imposait rationnellement. Mais l’admiration plus ou moins fondée et/ou l’intention ferme exprimée par beaucoup d’autres de voter pour un candidat qui n’a aucune chance d’être au second tour, est attristante et nuisible à l’intérêt général . Et surtout à l’intérêt des plus pauvres, soit bientôt dix millions d’habitants de la France.

    Notre mode constitutionnel actuel de choix d’un président étant insensé, il est rationnel de voter dès le premier tour pour celui qui peut réellement battre celui dont on ne veut absolument pas.

    Et ça peut même généralement s’imposait pour les législatives classiques ; alors que la proportionnelles est une fausse panacée.

    A propos quel « candidat » réellement éligible propose de changer radicalement le mode de choix du président ?



  •  C BARRATIER C BARRATIER 25 février 2012 16:33

    Pas du tout d’accord avec l’auteur : Il n’y a que des votes utiles. Chaque citoyen dans l’isoloir vote en conscience, là est la seule utilité, l’expression de la liberté de participer au choix comme on l’entend.

    A moins de considérer que des citoyens auraient des leçons à recevoir !Ce que tente de faire cet article de donneur de leçons. Une stupide tentative de manipulation, comme si des citoyens se laissaient facilement manipuler.

    Voir dans la table des news :

    « Manipulations de l’opinion publique échec et tournant ? »

     http://chessy2008.free.fr/news/news.php?id=126


  • xray 25 février 2012 17:22


    Quelle démocratie ? 

    Les européens sont soumis à un régime Oligarchique 
    (Wikipédia)  : 
    L’oligarchie est un régime politique dans lequel la plupart des pouvoirs sont entre les mains d’un petit nombre d’individus, de quelques familles ou d’une petite partie de la population, généralement une classe sociale ou une caste. 
    La source de leur pouvoir peut être la richesse, la tradition, la force militaire, la cruauté... 
    (Sic.) 

    L’énigme du vol AF 447 ? (La disparition de l’Airbus RIO-PARIS) 
    http://n-importelequelqu-onenfinisse.hautetfort.com/archive/2011/10/24/l-enigme-du-vol-af-447-la-disparition-de-l-airbus-rio-paris.html 



  • anny paule 25 février 2012 18:14

    Le vote dit utile est effectivement une arnaque comme le dit l’auteur...

    Personnellement, j’aimerais que l’on m’explique ce que signifie être « un petit candidat », sinon ne pas être sponsorisé par le MEDEF, les Financiers, les oligarques qui se font la part belle ! En ce moment préélectoral, il ne se passe pas un instant sans que l’on tente de nous « vendre » du Sarko ou du Hollande, ou même du Le Pen... comme si, seuls, ils avaient les clefs de nos problèmes !

    Nous savons très bien que l’un comme les autres ont des intérêts communs qui ne sont pas ceux de la large majorité de nos concitoyens (mais qui sont ceux du MEDEF, des financiers, des oligarques de tout poil). Nous savons très bien qu’ils feront la même politique... avec quelques nuances de manières, plus mou pour l’Hollande, plus brutal pour le Sarko... épouvantable pour Le Pen !

    Réfléchissons à ce qui peut être utile pour nous, (les 99% qui vivent des revenus de leur travail, à condition qu’ils en aient un !) et pour l’intérêt général de notre pays (ou ce qu’il en reste !) : respecter notre refus du TCE, par exemple, respecter les acquis de CNR, donner toute sa place à la laïcité et à l’école publique (de la maternelle à l’Université), donner à chacun les moyens de vivre dignement (avec un salaire décent, un toit, un droit à la santé publique)...

    Du coup, certains « petits candidats » prennent un autre relief. Ils sont la saveur du peuple, son essence-même ! Si nous avons lu « L’humain d’abord », ou « Nous on peut », nous nous sentons plus forts... et si nous votons pour nos convictions, nous votons utile... utile pour nous (la méprisée « France d’en bas » !) , utile pour l’intérêt général ! C’est une question de conscience ! Mais les médias achetés ne donnent que peu la parole à ceux qui parlent juste !


    • plouf 27 février 2012 08:49

      Je suis de tout cœur avec vous .... ces privilégiés ont perdu tout sens des réalités.

      Les petits candidats au contraire semblent plus sincères dans leurs convictions... et sûrement plus intègres.


  • epapel epapel 26 février 2012 22:53

    Et si vous regroupiez ces votes sur un des « petits candidats », peut-être que vous feriez 3-4%.


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