Dans la vie de tous les jours, la simplicité est méprisée. Si les textes que vous écrivez sont courts, c’est sans doute que vous maîtrisez mal votre sujet. Le style « roman fleuve » est contre-productif mais il est apprécié. La sacro-sainte exhaustivité noie le lecteur, mais elle est recherchée. Un rapport d’une centaine de pages séduit davantage vos interlocuteurs qu’une synthèse de quelques feuillets. Quelle énergie gaspillée à écrire ces rapports encyclopédiques qui finiront au fond d’un placard ou... d’une poubelle ?

Chacun s’enferme dans le jargonnage, qui permet d’être reconnu des siens et d’éliminer les autres. On se plaint beaucoup du langage SMS des jeunes mais que dire du dialecte des informaticiens, des sigles utilisés dans le domaine social, des discours choisis de nos littéraires. Il y a une forme de rite d’initiation dans cette façon d’écrire et de s’exprimer. Si vous me comprenez, alors vous méritez de faire partie de mon clan. Nos sociétés sont devenues complexes et le vocabulaire est resté un moyen de se distinguer socialement.

Les modes d’emploi non traduits ont disparu, mais la plupart des fonctions des appareils que nous achetons ne sont pas correctement expliquées. A-t-on fait le calcul du gaspillage que cela génère : pannes consécutives à une mauvaise manipulation, matériel impossible à utiliser, temps perdu par le public et par les techniciens des SAV...

Pourquoi les fabricants ne s’emparent-ils pas de cette question ? Parce que la simplicité ne fait pas vendre ! Ce qui est mis en avant, c’est le prix et faire simple coûte de l’argent.

On peut se demander pourquoi le support vidéo est aussi peu utilisé !

Le lieu de l’effort a été déplacé : ce n’est plus le concepteur d’un produit qui en fournit l’essentiel, mais de plus en plus l’utilisateur. On demande en fait à l’usager de finir le travail (logiciels en bêta, traductions approximatives des notices, explications non présentes à découvrir).

Sur les sites Internet, la même philosophie règne, y compris dans les sites du service public où le "service minimum" est trop souvent la règle. Il y a un vrai risque de « rejet contestataire » de la technologie. Certes, le nombre d’internautes va croissant, mais l’insatisfaction progresse aussi. Si l’on veut s’adresser au plus grand nombre, et pas seulement aux fanatiques de l’Internet, il faudra faire des efforts et pas seulement... des économies. Est-ce un hasard si la demande de simplification des démarches administratives ne cesse d’augmenter depuis quelques années dans certaines enquêtes d’opinion ? Aucune raison ne justifie que le service public soit moins bien rendu sur Internet que dans les espaces d’accueil, puisque la finalité est la même.

Fred Cavazza dit que les futurs services sur Internet devront être puissants, simples et sexy. Lors de la dernière « journée mondiale de l’utilisabilité » qu’il animait, on pouvait se rendre compte du chemin qu’il restait à parcourir pour que cette exigence se concrétise un jour.

Il y aurait un réel intérêt à créer,, à l’usage de tous les rédacteurs d’articles ou de fiches d’information, un traitement de texte dont le dictionnaire serait appauvri. Ce dernier indiquerait, par un soulignement en couleur, les mots s’adressant à des spécialistes ou trop complexes pour des niveaux d’études modestes. Pour ces mots, par le biais des liens hypertextes, on pourrait fournir des définitions simples (simplistes, diraient certains).

Dans une société du zapping, il faut multiplier les résumés de textes où on peut lire vite l’essentiel. De manière générale, nos textes sont trop longs, trop redondants, chargés d’un vocabulaire incompréhensible pour les non-spécialistes.

Les tests-utilisateurs lors du lancement d’un site Internet sont absolument indispensables. Je ne détaillerai pas ici les aspects techniques : nombre de clics pour atteindre le niveau le plus profond dans un site, qualité des formats d’impression, utilisation des mots-clés (tags) comme outil de navigation, usage des menus, raccourcis claviers.

Ces questions sont d’autant plus déterminantes que l’internaute entre de plus en plus par une page au sein du site et de moins en moins par la page d’accueil. La logique de navigation ne peut donc se limiter à gérer la première page. Combien de non-lectures sont liées à la peur de perdre du temps ou à la crainte de trouver des contenus trop complexes ?

Le minitel était d’une austérité épouvantable, mais son usage était élémentaire. Pourquoi les blogs connaissent un tel succès auprès de ceux qui veulent diffuser de l’information ? Principalement parce que leur mise en œuvre est considérablement facilitée.

Donner tous les éléments d’un sujet à un lecteur, sans lui donner l’envie d’en savoir davantage, c’est une erreur. Il faut au contraire faire, pour lui, une première sélection, un tri qualifié dans la masse d’informations disponibles. Le lecteur pourra toujours approfondir, mais la première information, celle qui donne envie d’aller plus loin, aura été délivrée.

Avec l’arrivée massive de services sur Internet, les usages vont être de plus en plus complexes pour l’utilisateur. Il reste beaucoup de travail pour rendre totalement accessible le Web.

Simplifier, c’est faciliter le débat et la réflexion pour tous. Laisser la complexité s’installer partout, c’est éliminer, par indifférence, une partie de la population.