samedi 5 mars 2011 - par Michel Koutouzis

Politique : rappel aigre doux d’un citoyen

Au début des années 1980, lorsque l’on demandait pourquoi l’organisation du 17 novembre restait populaire on répondait : par ce qu’ils sont les seuls vrais professionnels en Grèce.. Le groupe avait commencé par exécuter des tortionnaires et autres agents de la CIA, mais, dérapant aussi bien dans ce qu’il faisait que ce qu’il disait, son action devenait incomprise voire tragique. Cependant, leur aura persista assez longtemps, due cette fois aux fait que, dans un pays où rien n’allait, eux au moins étaient « des pros conséquents ».

En regardant en France le tout nouveau ministre des affaires étrangères adulé par ses pairs mais aussi par l’opposition, allez savoir pourquoi, c’est à cette blague tragi comique du 17 Novembre que je pense. Et puis, j’ai vu ce dessin humoristique de Willem dans les pages de Libé : un Jupé, père sérieux et imperturbable, tenant ses deux sales gosses, Sarkozy et Fillon, par la main. Et je me suis dit : voilà pourquoi.

Comme si, le seul fait d’être sérieux et connaître son métier fait de vous une icône, tant tous les autres apparaissent comme des piètres amateurs. 

Si dans un premier temps on sourit, très vite on est pris par un malaise, tant cette parabole devient troublante. Car la pensée voyage (divague même) vers les conséquences d’un tel point de vue, aussi bien sur la gestion politique de notre quotidien que sur nos possibles futurs. Peu importe si ce dessin est juste ou pas. Le fait est qu’il est perçu, compris, comme représentant la situation actuelle avec perspicacité reste l’essentiel. Et c’est finalement son aspect tragique qui l’emporte.

On se demande souvent ces derniers temps pourquoi le FN a le vent en poupe. Et si la réponse (double à mon sens) se nichait là ? On peut en effet, dans une première lecture, penser que les galipettes, les inconséquences, les décisions sanguines et primaires de l’action politique, le sentiment que le gouvernement est une pirouette sensible à la moindre phobie de l’opinion, fusse-t-elle irrationnelle et contradictoire, qu’au lieu de gouverner, le président gesticule et invente des nouveaux moulins à assaillir, bref, que tout cela fait tourner le regard vers un discours constant, immuable, monotone même, celui d’un parti qui, gardant toujours une distance de sécurité de la gestion de l’Etat, paraît aujourd’hui comme « sérieux » et « responsable ».

Mais il existe une autre lecture, plus pernicieuse, plus inquiétante aussi. En choisissant de manière quasi volontariste de « faire simple », de cacher la complexité de la gestion du pouvoir, d’abaisser, chaque jour un peu plus, le contenu du discours politique et d’agir en oubliant les conséquences inhérentes à tout choix (l’exemple du Mexique est à cet égard criant), l’exécutif rabaisse l’entendement général, l’intelligence collective, au point que le discours du FN devient audible non plus uniquement aux milieux les plus simplistes et défavorisés de notre société, rongés par une inquiétude existentielle (ou par des certitudes simplistes paralysant l’esprit), mais à l’ensemble de celle-ci. 

A gauche, il semblerait que le cheminement intellectuel n’est pas si différent. Dominique Strauss-Khan, rassemble une grande majorité d’opinions favorables, est attendu comme un deus ex maquina, par ce que il paraît comme un vrai professionnel. Comme un homme sérieux, loin des aléas et les errances du pouvoir politique, constant et surtout quasiment muet. En effet, ce n’est pas ce qu’il dit qui serait important, mais ce qu’il est ailleurs. Un gestionnaire conséquent, mesurant ses gestes et ses paroles en fonction de la complexité entropique de la situation universelle. Peu importe si cette gestion se fait au sein d’un cadre prédéfini et immuable, malgré ses défaillances criardes. 

La question ainsi se déplace : on ne lui demande pas ce qu’il ferait mais s’il désire le faire. Par ce que, en sous entendu, quoi qu’il fasse, il le fera avec sérieux. 

Voilà la conséquence de quatre années de gestion présidentielle et de l’utilisation abusive d’éléments de langage caricaturaux : un désir de constance (quelle que soit), un souhait d’autorité (quelle que soit), une envie de sérieux, (quel qu’il soit).

Voilà pourquoi Jupé, DSK, Hollande, d’une part, MLP d’autre, ont le vent en poupe. On oublie ce qu’ils ont été, on passe un trait sur ce qu’ils représentent et on se fixe sur la seule chose que l’amateurisme présidentiel fait apparaître comme une alternative : la constance et le sérieux.

 Or, ce tropisme de la simplification comporte pour la démocratie un grand péril. La société peut devenir autiste à toute proposition assumant la complexité. DSK, le jour où il le proposera, devra affronter cette réalité ambiante. Avec le risque de ne pas être entendu.

Quand à l’extrême gauche, bouillonnante et multiple, elle restera le dernier carré (et c’est là sa différence essentielle avec la droite extrême en voie de radicalisation), d’une pensée complexe autonome. Cela ne veut pas dire qu’elle échappe, elle aussi, aux sirènes de la simplification. Qu’elle doit combattre plus que tout.

Les mois qui restent avant l’élection présidentielle seront un défit.

Pour la presse d’une part. Si elle continue à caricaturer tout discours, toute attitude, tout projet avant même de faire l’effort de l’expliquer, si elle ne se met pas au plus vite à hiérarchiser, à faire la part du futile et de l’ayant du sens, si elle continue à transformer la vie politique de ce pays en un grand bazar, à une bouffonnerie légère de la commedia dell’ arte, elle participera à ce qu’elle devrait craindre plus que tout : l’égalisation par le bas du discours politique et des conséquences que cela comporte.

Pour la communauté des internautes d’autre part : il faut que cet outil serve à promouvoir le slogan de mai 68 : attention, vos oreilles ont des murs ! Elle doit impérativement élargir les débats et s’abstenir de constituer à l’infini des groupes d’amis convaincus d’une vérité, ne communiquant plus les uns les autres. Internet devrait être un lieu de promotion du complexe et non pas de la certitude partagée et documentée à l’infini. Un lieu de contre discours, de contre pouvoir et pas de harcèlement amusé.

Pour les intellectuels ensuite. La dérive simplificatrice du pouvoir ne doit pas être la leur. Qu’ils décident enfin à se penser, au lieu d’être les collaborateurs complaisants de l’air du temps et des guignols.

Pour les citoyens enfin, qui sont tout cela à la fois. Tout pouvoir n’est pas à l’image de ce pouvoir. La radicalisation n’est pas synonyme de simplification. Nous ne sommes pas des sujets amusés observant les dérives grotesques du pouvoir. Nous sommes plus royalistes que le roi, nous exigeons certes la rationalité et le sérieux mis toutefois au service d’un projet. Projet radical et imaginatif, loin des faux choix simplistes qu’on nous propose. Et surtout, aucune peur ni « évidence » ne doivent altérer nos désirs.



2 réactions


  •  C BARRATIER C BARRATIER 6 mars 2011 01:58

    Il y a cet aspect là c’est sûr ; c’est bien vu, mais aussi l’effet pervers du dénigrement de l’islam, sous couvert des abus de ses intégristes. Le caractère laïque bien ancré pourtant de la psychologie du Français moyen est corrodé par le catéchisme adverse : la répétition a cette vertu sur le cerveau humain, elle le conditionne.
     SARKOZY est l’instrument de ce conditionnement. Quelque part c’est l’exportation américaine de la haine du musulman et du soutien de ses concurrents juifs et chrétiens, facilitée par le 21 septembre où pourtant on ne massacra pas en quelques heures plus de monde qu’à la St Barthélémy (3500 personnes).
    C’est un des effets de la mondialisation.
    Quant à l’agitation à l’extrême gauche, elle n’est pas le résultat d’une réflexion politique applicable, mais une sorte de rage impuissante de minoritaires coupés de tous les groupes de résistance comme les syndicats de salariés eux mêmes explosés et manipulés.


  • le journal de personne le journal de personne 6 mars 2011 15:27

    S’immoler par le feu

    Je m’appelle Hélène…Je suis grecque… la Grèce… quelle étrange tendresse ?
    Ma ville natale ne s’écrit plus en lettres capitales
    Athènes mère, marraine !
    J’ai décidé sous l’œil de cette caméra
    De mettre fin à mes jours
    De m’arroser d’essence et de m’immoler par le feu
    Parce que je n’ai pas envie de te céder
    Pour une poignée d’euros

    http://www.lejournaldepersonne.com/2011/02/simmoler-par-le-feu/


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