mardi 17 avril 2012 - par Lucadeparis

Pour une démocratie réelle (II : qu’est-ce que notre régime ?)

Ici vient la suite de Pour une démocratie réelle (I : qu’est-ce que la démocratie ?), où il s'agit maintenant de caractériser notre système réelle, aristocratique électif de constitution, établissant une oligarchie (gouvernement d'un petit nombre) soutenu par une ploutocratie (gouvernement des plus riches).

Dans la troisième et dernière partie à venir, j'aborderai ce que nous pourrions faire pour établir la démocratie.

Avant lecture : le texte étant ici figé et réparti sur trois pages, les versions corrigées de l’intégralité de ce texte sont publiées .

2. La constitution d'une aristocratie de fait par l'élection

Le mot « démocratie » s’est mis, dès le début du dix-neuvième siècle, à qualifier par démagogie un régime qui la méprisait pourtant explicitement dès l'origine. D’ailleurs, la démagogie au sens de manipulation flatteuse du peuple par les politiciens pour leur intérêt n’est guère possible dans une démocratie réelle, où les politiciens n’existent plus (il est aussi remarquable qu’un démagogue soit étymologiquement un éducateur, un meneur du peuple ; et ce n’est qu’après que le mot est devenu péjoratif, comme beaucoup de ceux qui concernent le peuple).

Ce qu'est la démocratie a tellement été dévoyé que des contemporains inventent de nouveaux mots afin de signifier la part qui en a été occultée : « stochocratie » (gouvernement aléatoire) en 1998 par Roger de Sizif, « lotocratie », « clérocratie » par François Amanrich (qui propose un mélange entre élection et tirage au sort, et ne veut donc qu’une démocratie partielle). Il y a là une polarisation sur la technique du tirage au sort qui, tant exclu, fascine maintenant par son étrangeté ; et une erreur, car ce n'est pas le hasard (le moyen) qui gouverne dans la démocratie, mais le peuple (le but), comme ce n'est pas l'élection qui gouverne dans l'aristocratie (ainsi, c’est comme si nous parlions d’« électocratie » pour caractériser la fascination pour le spectacle électoral).

La première grande utilisation dévoyée du mot « démocratie » semble électoraliste, démagogique : il s’agit du Parti Démocrate aux États-Unis. Il s’appelait d’abord « Parti Républicain », créé par James Madison avec Thomas Jefferson vers 1792, en opposition au Parti Fédéraliste centralisateur d’Alexander Hamilton, et fut appelé après le « Parti Démocrate-Républicain » (comme les sociétés démocrates ou républicaines créées à partir de 1793, et dont le but démocrate de celles qui se nommaient ainsi reste à examiner) : en partie rétrospectivement par les historiens afin de le distinguer du nouveau Parti Républicain fondé en 1854 et opposé au dorénavant officiellement nommé « Parti Démocrate » ; en partie par les opposants fédéralistes afin de les dénigrer en les confondant avec des excès de la révolution française et l’ochlocratie (gouvernement par la foule) ; et occasionnellement par eux-mêmes à partir de 1802, avant d’être uniquement appelé « Parti Démocrate », abandonnant donc progressivement le nom de son opposant actuel, indiquant ainsi que la démagogie des étiquettes.

L'élection est un acte pseudo-démocratique de dépossession démocratique, lorsque le mandat n’est pas impératif. C'est en fait un acte de constitution d'une aristocratie (gouvernement des meilleurs), où on élit comme à un concours de beauté les supposés meilleurs, meilleurs à se faire élire en fait. Un exemple aristocratique est la compétition proposée par Pénélope afin de déterminer quel sera son époux et nouveau roi d'Ithaque : celui qui réussira à bander l’arc d’Ulysse disparu et à envoyer comme lui une flèche traverser douze fers de haches alignées. L'intronisation d'Œdipe comme roi de Thèbes est aussi aristocratique, car il y est parvenu en résolvant l'énigme du monstre qui menace la cité et a tué les précédents candidats. Il y a d’ailleurs un attrait aristocratique à notre époque dans le développement du sport et autres concours et compétitions et de leur spectacle, y compris dans le très populaire football, moins aristocratique car plus hasardeux avec son jeu de pieds, exceptionnel pour un jeu de balles, qui permet plus souvent aux équipes d’en bas de battre les meilleurs que dans les autres sports de balles. Simone Weil dit radicalement le lien entre sport et aristocratie dans sa Note sur la suppression générale des partis politiques  : « Il y a dans les partis anglo-saxons un élément de jeu, de sport, qui ne peut exister que dans une institution d’origine aristocratique ; tout est sérieux dans une institution qui, au départ, est plébéienne. » (Climats, 2006, p. 23).

Dans ce régime aristocratique, les journalistes politiques ne sont guère éloignés des journalistes sportifs, car tous vivent et se délectent du spectacle renouvelé des combats, et l’information n’est qu’un spectacle où est attendue la surenchère. La compétition pour plus de spectacle dont les journalistes sont les fabricants les plus zélés a eu son symbole le plus spectaculaire et révélateur avec le présentateur vedette depuis plus d’une décennie du journal de France 2 David Pujadas qui s’exclama le 11 septembre 2011 lorsqu’il vit un avion percuter une tour new-yorkaise : « Wouahhh ! Géniaaal ! […] Ça, c’est mieux que le Concorde, quand même. On est battus, là ! Peuttt ! Moi j’trouve. » (Canal Plus, Plus clair, 14 septembre 2001).

L’aristocratie, gouvernement des meilleurs, implique la comparaison, la rivalité, l’exacerbation des conflits, de l’envie, de la jalousie, de la violence au moins verbale, de la partialité, avec des partis comme équipes de conquête du pouvoir avec leurs partisans.

La plupart de nos votes sont des élections, c'est-à-dire des choix de personnes, le choix parmi nos maîtres (à tel point que l'on confond hélas souvent l’élection avec le vote et la démocratie). En plus d’un demi-siècle de Cinquième République française, l’unique référendum pour réviser la Constitution advint le 24 septembre 2000 pour que le peuple décide s'il choisit son monarque pour sept ou cinq ans !

Et comment choisir le meilleur parmi les candidats qui nous sont imposés ? La plupart des candidats n'ont jamais exercé le mandat, souvent un seul l'a exercé, parfois aucun, rarement deux ou plus. Dans un système électoral, le « meilleur » est le meilleur séducteur, bonimenteur (« Supermenteur » Jacques Chirac, comme le surnommaient les Guignols de l'Info), celui qui a le plus d’audace, de culot, et qui applique ce précepte du politicien corrézien Henri Queuille : « Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. » (repris par Charles Pasqua dans un discours en 1988 ; et Jacques Chirac, selon Le Monde du 22 février 1998). Ainsi, Jacques Chirac, lors de sa campagne électorale victorieuse (alors qu’il était pronostiqué défait) de 1995 pour la présidence de la France, avait confié à des collaborateurs : « Pendant ma campagne présidentielle je vous étonnerai par ma démagogie. » (Un Secret d’État, Odile Jacob, 1997, p. 18, par Denis Jeambar qui commente lui-même juste après fort pertinemment : « Un tel cynisme peut indigner, mais, après tout, l’article 27 de la Constitution dit, formellement, que « tout mandat impératif est nul ». En clair, les promesses électorales n’engagent en rien ceux qui les font. »). Enfin, l’élection est proche du concours de beauté puisque un candidat grand ou extraverti a plus de probabilité d’être élu (« Le Profil psychologique des Hommes politiques », France Inter, La Tête au Carré, 13 mars 2012).

La plus fondamentale compétence utile d'un politicien, ce en quoi il faut qu’il soit meilleur pour être politicien, est celle de se faire élire (ou nommer par ses pairs), et non sa capacité à bien exercer son mandat qui est secondaire, conditionnée par la réalisation de la première. On aboutit donc à une situation proche du syndrome de la promotion Focus (ou principe de Peter) selon lequel « tout employé tend à s'élever à son niveau d'incompétence ». Cornelius Castoriadis remarquait que malgré la prédominance des dossiers économiques que doivent gérer les politiciens, 60 % des députés français affirmaient ne rien comprendre à l’économie (Alain Renaud, « Élection, tirage au sort & démocratie. À propos des Principes du gouvernement représentatif, de Bernard Manin », dans Agone, N° 22, 1999, p. 117).

Mais même la préférence des électeurs ne peut pas être respectée dans les systèmes électoraux uninominaux actuellement institués. Le paradoxe de Condorcet a démontré l’intransitivité de la majorité, et que dès qu’il y a trois candidats, le système électoral fait que même le candidat préféré n’est pas nécessairement élu. Ainsi, avec la présence de plus d’une douzaine de candidats, un système électoral à deux tours est très loin d’être suffisant pour représenter ou extraire la préférence des électeurs. Il y a l’exemple de l’élection présidentielle française de 2007 avec François Bayrou qui, plus centriste, pouvait être préféré par plus d’électeurs que Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal, et aurait fait un score supérieur au second tour contre chacun d’eux que les 53 % de Sarkozy ; il y aussi l’exemple de Jean-Marie Le Pen, parvenant au second tour de l’élection présidentielle française de 2002 en étant un des candidats les moins préférés et y faisant donc un score à peine supérieur à celui du premier tour, ce qui n’aurait pas été le cas de candidats le suivant au premier tour (Lionel Jospin et François Bayrou). Une solution plus représentative des préférences des électeurs mais complexe serait pour chaque électeur de noter chacun des candidats (de 0 à 10 par exemple) et d’additionner les points obtenus par chaque candidats (c’est le vote de valeur ; voir aussi le vote par approbation, plus simple).

L'absence de mandat impératif et l'irrévocabilité des mandatés ne contraignent pas les politiciens à réaliser ce pour quoi ils ont été élus, et sélectionne donc les meilleurs séducteurs trompeurs. Comme disait Coluche, « Homme politique est un métier où il vaut mieux avoir des relations que des remords et le plus dur pour eux, ce doit être de dormir les yeux ouverts car il paraît qu'il y en a qui ont une conscience ! ».

Alexis de Tocqueville, aristocrate et eugénocrate mais en tout cas antidémocrate ayant diffusé en Europe le dévoiement aux États-Unis du concept de démocratie dans son livre De la Démocratie en Amérique en 1835 (en faisant un concept sociologique plutôt que politique), lucide sur l'importance de l'imitation (René Girard l'invoque souvent dans Mensonge romantique et vérité romanesque), aurait affirmé : « Je ne crains pas le suffrage universel : les gens voteront comme on leur dira. ».

Le régime des partis politiques, en particulier du bipartisme qui permet à l’oligarchie et à la ploutocratie de contrôler un cadre restreint faiblement alternatif, assure le spectacle d’une pseudo-démocratie (des jeux du cirque pour le peuple), et d’une oligarchie plus subtile et efficace dans l’asservissement (la servitude volontaire utilisée par les psychologues sociaux qui nous gouvernent) que dans des monarchies autocratiques comme celles de Mussolini (officiellement dyarchique avec un roi fantoche), Staline, Hitler, Mao, Pol-Pot, etc. (d’ailleurs le régime le plus opposé au démocratique et aussi le pire, c'est le régime autocratique, car il ne s'agit pas uniquement d'une monarchie, mais d'une monarchie qui ne vient pas de règles collectives, d'autrui, mais d'une plus grande violence : coups d’État afin d’y parvenir et autres crimes afin de s’y maintenir). Humoristiquement, Jean-Claude Michéa constate l’« élégance » et l’ « efficacité » du capitalisme, qui plutôt que de s’en tenir au « principe simpliste du parti unique » des « sociétés totalitaires », a inventé « l’alternance unique » (L'Empire du moindre mal. Essai sur la civilisation libérale, Climats, 2007, p. 125). En France, c’est l’Union des Maîtres pour la Perpétuation du Système (UMPS).

Comme l'a dit Coluche à propos de la pseudo-démocratie dégénérée en spectacle compétitif de courses de petits chevaux de chaque écurie électorale, « La droite a gagné les élections. La gauche a gagné les élections. Quand est-ce que ce sera la France qui gagnera les élections ? ».

L’anthropologue George Peter Murdock avait compris dès 1949 l’organisation d’un spectacle cathartique :

« Il est possible que l’organisation dualiste d'une communauté ou d'un groupe social plus étendu constitue une sorte de soupape de sûreté permettant à l'agressivité engendrée par les contraintes intrinsèques de la vie en groupe de s'épancher de façon inoffensive à l'intérieur des limites de celui-ci, par l'intermédiaire d'un biais socialement codifié, au lieu de déferler à l’extérieur sous la forme d'attitudes hostiles et belliqueuses. Si cette théorie hautement hypothétique est exacte, les factions opposées doivent être plus particulièrement la marque des communautés pacifiques que guerrières. Peut-être est-ce là la véritable raison d'être du système du bipartisme propre aux sociétés modernes. » (De la Structure sociale, Payot, 1972, p. 101).

Il s’agit d’un bac à sable où on fait jouer le peuple et où s’amortissent cathartiquement les énergies et les revendications dans des sables mouvants de fait paralysants.

Un régime de partis politiques (par exemple celui établi dans l’article 4 de la Constitution de la Cinquième République française, dans sa partie I trop pertinemment intitulée « De la souveraineté », et contrairement à ce qu’on dit habituellement de la volonté de Charles de Gaulle) n’a rien à faire dans un régime démocratique, mais tout dans un régime oligarchique qui pousse ses champions en avant dans un cadre aristocratique pour la diversion et le divertissement.

En plus, les deux plus grands partis français pratiquent la fraude électorale en interne, leurs dirigeants étant comme une clique d’autocrates ne respectant donc même pas le vote de leurs militants : l'UMP (Hervé Liffran, « Les exploits des serial voteurs à l'UMP », Le Canard Enchaîné n°4604, 21 janvier 2009) et le PS (Antonin André et Karim Rissouli, Hold-ups, arnaques et trahisons, éditions du Moment, 2009).

La démocratie a tellement été édulcorée que l'on parle maintenant de "démocratie participative", comme si le fait de participer était un progrès ajouté à la démocratie alors qu'elle consiste fondamentalement pour le peuple à rien moins que gouverner !

J’avais déjà publié sur Agoravox un article « Tartufferie : cachez ce « politicien » que je ne saurais voir » afin de dénoncer la tartufferie pour les politiciens de ne plus se faire appeler ainsi mais de s’appeler dans la novlangue des « politiques » afin d'occulter qu'ils font de la politique une profession.

Comme disait Coluche, « Le gouvernement s'occupe de l'emploi. Le Premier ministre s'occupe personnellement de l'emploi. Surtout du sien. ». 

Comme Montesquieu écrivait que « c'est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites. » (De l'Esprit des lois, livre XI), l'empêcher est d'instaurer le plus d'isonomie (égalité des droits) possible. Ceci est exprimé par la métaphore du proverbe vietnamien : « Le poisson pourrit par la tête. » ; or il s’agit de pacifier une société où, disait Coluche, « Si on écoutait ce qui se dit, les riches seraient les méchants et les pauvres seraient les gentils. Alors pourquoi tout le monde veut devenir méchant ? ».

 

3. Une classe ou caste oligarchique

Cette élection aristocratique a aussi pour but de maintenir une oligarchie, car comme dans un concours de beauté où le vote de l’électeur ne compterait que d’autant plus qu’il voterait pour les candidats qui ont le plus de probabilité d’être élus, elle maintient et renforce un statu quo, déjà renforcé par la fabrication de l’opinion publique par des sondages manipulant le vote par la tendance au conformisme, vers plus de votes vers les favoris. Dans ses articles Sondages Opinionway : 100% inexacts ! et Sondages : Opinionway et TNS Sofres se contredisent, Pascal Cuxat a démontré que les instituts de sondage mercenaires exagéraient les intentions de vote envers les candidats qu’ils voulaient favoriser pour leurs commanditaires.

Un autre biais (biaisement) anti-démocratique, et de fait oligarchique, de l'élection, est le "vote utile" : dans un système très peu représentatif, très peu proportionnel imposé par ses bénéficiaires, plutôt que de choisir le candidat qui nous correspond le plus, on nous conseille de voter pour un candidat moins proche, moins désirable, mais qui nous est présenté par les sondages comme un candidat qui a plus de probabilité d'avoir un meilleur score. Il s'agit d'un vote de fait utile pour la conservation de l'oligarchie en place : il est anti-démocratique, et même anti-aristocratique. C'est un peu comme ces concours (de beauté ou autres) où on est récompensé si l'on vote pour le candidat qui gagne : on ne vote plus sincèrement, mais selon l'anticipation de l’opinion des autres sociétaires, avec une forte tendance au conformisme conservateur. Comme disait Lénine, la plus grande force, c'est la force d'inertie. Par ailleurs, s'il y a "vote utile", c'est qu'il y a aussi "vote inutile", et donc un vote sans voix pour les minoritaires, et donc encore moins de démocratie réelle.

Le bicamérisme (sénateurs en plus des députés en France par exemple), avec une seconde assemblée législative qui n'est pas élue par les citoyens est un moyen pour amoindrir encore plus la démocratie au profit d'une oligarchie conservatrice de ses privilèges : c'est la "chambre haute", plus "modérée", plus "réfléchie" que le peuple d’en bas…). L'exemple au nom le plus justement approprié fut le Sénat Conservateur dont les séances, selon la Constitution de l'an VIII de la République Française (9 novembre 1799), n'étaient même pas publiques !

Raymond Aron, que son condisciple Paul Nizan aurait pu classer parmi ses philosophes idéalistes Chiens de garde de la bourgeoisie, écrit en défense de l'oligarchie : « On ne peut pas concevoir de régime qui, en un sens, ne soit oligarchique », « L'essence même de la politique est que des décisions soient prises pour, non par, la collectivité ». Ainsi, Aron guillotine sémantiquement la tête de la démocratie et minimise, l'oligarchie des minorités qui détiennent le contrôle de l'économie car « Elles n'ont pu empêcher la nationalisation d'une partie des industries en France ou en Grande-Bretagne. » (Démocratie et totalitarisme 1965 Gallimard, « Du caractère oligarchique des régimes constitutionnels pluralistes », p. 131-150). L'argument apparaît bien faible maintenant, car Aron se situe à une époque où le bloc capitaliste privé avait encore comme ennemi le bloc capitaliste d'État, et où le Conseil National de la Résistance s'était imposé victorieusement avec son programme intitulé Les Jours heureux.

Mais maintenant, parmi les députés français, il n’y en a aucun qui fut ouvrier (Monique Pinçon-Charlot dans « 6 mai 2012, le printemps français ! (4) », Là-bas si j’y suis, France Inter, 13 février 2012), mais beaucoup qui sont avocats, donc viennent du pouvoir judiciaire dont ils vivent pour faire les lois complexes dont vit leur profession. Qui plus est, nous avons vu en France avec l’élection de Nicolas Sarkozy un régime d’avocats d’affaires (Sarkozy lui-même, Jean-François Copé, Jean-Louis Borloo, Françoise Lagarde, Frédéric Lefèvre, etc.), et donc d’avocats des ploutocrates.

Dans l'oligarchie, il faut ajouter aux politiciens et aux financiers les journalistes vedettes (d'ailleurs souvent en couple avec des politiciens) qui sont les courroies de transmission médiatiques de l'idéologie, des concepts et de la novlangue de la ploutocratie ; journalistes qu'on appelait publicistes jusqu’il y a un siècle et qui sont en fait si proches de nos contemporains publicitaires, car il s’agit de propager dans le « temps de cerveau humain disponible » (selon l’expression de l’ex directeur de TF1 Patrick Le Lay) les versions des propriétaires des journaux, que sont les banquiers (Édouard de Rothschild devenant le premier actionnaire de Libération, Le Monde à la banque Lazard) et les industriels militaires (Europe 1, Le Journal du Dimanche, Paris Match au Groupe Lagardère). Comme l'a dit Coluche, « Vous savez que les hommes politiques et les journalistes ne sont pas à vendre. D'ailleurs on n'a pas dit combien. » ; et « Les journalistes ne croient pas les mensonges des hommes politiques, mais ils les répètent ! C'est pire ». Ainsi, « Si les journalistes étaient funambules, il y aurait une forte mortalité dans la profession. ».

Même les syndicalistes en chef, censés défendre les travailleurs, font maintenant partie de l’oligarchie. Il y avait déjà après 1945 la fondation de Force Ouvrière, financée par le plan Marshall, la CIA afin de contrer la Confédération Générale des Travailleurs (CGT) (Frédéric Charpier, La C.I.A. en France. 60 ans d’ingérence dans les affaires françaises, Seuil, 2008)

. Maintenant, nous avons l’ex-présidente de la Confédération Française Démocratique du Travail (CFDT), Nicole Notat, qui après avoir été accusée par des manifestants d’avoir trahi les travailleurs en ayant soutenu le plan Juppé en 1995, est devenue le 1er janvier 2011 présidente du club Le Siècle Nicole Notat, devenue présidente du club (la coterie, en français) d’oligarques français Le Siècle. Son article 1er annonce : « L’association « LE SIÈCLE », créée le 2 septembre 1944 et déclarée le 15 février 1946, a pour but d’organiser et de favoriser la rencontre de ceux qui sont particulièrement attentifs à la chose publique ; elle se propose de rapprocher notamment des personnalités politiques, des hauts fonctionnaires, des syndicalistes, des industriels, des financiers, des journalistes, des membres de professions libérales, des personnalités de la vie culturelle et scientifique, pourvu qu’ils portent un vif intérêt aux problèmes généraux que pose l’évolution de la Cité… »

Il s'agit donc de créer des connivences entre des membres de la classe dirigeante (y compris des journalistes, syndicalistes...), ce qu'ils appellent « une grande variété de professions » : « À l’occasion de dîners mensuels, « LE SIECLE » propose à ses membres et invités de discuter de leurs problèmes communs et d’apprendre à se mieux connaître. », ceci discrètement, puisqu’entre 1944 et un article paru en 1977 dans le journal L'Humanité, son existence n'aurait jamais été mentionnée une seule fois dans un article de journal ou un livre.

Et le successeur de Notat à la tête de la CFDT, François Chérèque, eut un discours effarant de connivence avec le patronat et Sarkozy dans une réunion qu’il voulait interdite aux journalistes, mais dont a pu témoigner Jacques Cotta (Riches et presque décomplexés, Fayard, 2008, p. 125). L’humour en moins, on se croirait dans le sketch de Coluche sur Le Délégué syndical.

 

4. L'amont, l'arrière-plan, le fond, le cœur crypto-ploutocratique

Un proverbe anglais dit simplement : « Who pays the piper plays the game. » (« Qui paie le flutiste choisit la musique. ») ce que Montesquieu a ainsi écrit :

« Comme celui qui a l’argent est toujours le maître de l’autre, le traitant se rend des­po­tique sur le prince même : il n’est pas législateur, mais il le force à donner des lois. » (L’Esprit des lois).

Les ploutocrates ont voulu que nous soyons dans ce que maintenant on appelle faussement, comme le révèle la lecture de Rousseau, une « démocratie représentative », mais en fait une représentation démocratique, telle une représentation théâtrale, un spectacle qui voudrait se faire passer pour une réalité. Magritte écrivant justement « Ceci n’est pas une pipe. » sous sa peinture d’une pipe, dans la politique actuelle, le symbole du pouvoir qui nous enfume et trompe est plutôt le cigare à la bouche des ploutocrates qui pompent les richesses en amorçant par le financement des pantins politiciens (et de leurs scènes : journaux, télévisions, radios) qui représentent le pouvoir politique mais n’en sont pas la réalité.

L’individualisme et le libéralisme de la bourgeoisie s’exprimèrent dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui fit de la propriété privée un droit inviolable, le décret d'Allarde du 2 et 17 mars 1791, et surtout la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 qui interdit les corporations, les guildes et les coalitions (et donc les syndicats ouvriers, jusqu’au 21 mars 1884, et permit donc la répression des grèves), et instaura le principe du marché comme moyen de régulation de l'économie. Les douanes intérieures furent supprimées, comme une prémisse de l'Union Européenne avec le libre-échange des marchandises et des personnes pour la mise en concurrence des travailleurs et donc l'abaissement des salaires.

Le révolutionnaire Thomas Paine critiquait cette émergence ploutocratique, où « la protection de la personne est plus sacrée que la protection de la propriété. Si la propriété devient le critère, cela constituera une rupture complète avec tout principe moral de liberté, car cela rattacherait le droit à la matière et transformerait l’homme en agent de la matière » (cité par Regina Ann Markell Morantz, « “Democracy” and “Republic” in American Ideology (1787-1840) », thèse de doctorat non publiée, Columbia University, 1971, p. 89).

Les politiciens, dans leurs luttes contre leurs rivaux, nécessitent un « trésor de guerre », qu’ils trouvent auprès des puissances financières auxquelles ils s’asservissent.

Nathan Rothschild, le fondateur de la branche anglaise de la dynastie fondée par son père banquier à Francfort en envoyant ses fils à travers l’Europe, dit : « Donnez-moi le contrôle de la monnaie, et je me moque de qui fait les lois. », perpétuant le système de création monétaire déconnecté de l’or ou autre étalon initié à Amsterdam au dix-septième siècle et exporté par les orangistes en Angleterre, assurant la domination de celle-ci par le financement de la Marine Royale à crédit, remboursée par la taxation des propriétaires terriens, et instaurant un empire thalassocratique moderne conquérant des colonies pour des marchés devant sans cesse être croissants (afin de rembourser les intérêts de la dette inique) contre une tellurocratie paysanne traditionnelle (la Chine avait les bateaux permettant de conquérir les océans mais ne l’a pas fait).

Les successeurs du fondateur de cette dynastie bancaire pouvaient s'écrire :

« Les rares personnes qui comprendront le système seront soit si intéressées par ses profits, soit si dépendantes de ses largesses qu’il n’y aura pas d’opposition à craindre de cette classe-là ! La grande masse des gens, mentalement incapables de comprendre l’immense avantage retiré du système par le capital, porteront leur fardeau sans se plaindre et peut-être sans même remarquer que le système ne sert aucunement leurs intérêts. » (Rothschild Brothers of London, citant John Sherman, communiqué aux associés, New York, le 25 juin 1863). Deux siècles après, le système se perpétue avec la Banque Centrale Européenne dont le siège est aussi à Francfort.

La Banque Fédérale des États-Unis est autant fédérale que peut l'être la compagnie postale Federal Express (la poste publique y étant USPS : United States Postal Service) : c'est en fait une banque privée dont les actionnaires sont secrets, et qui a le monopole de la création de dollars depuis le 23 décembre (jour de l'année où ça passe plus inaperçu) 1913 (et pour 99 ans, donc jusqu'au 22 décembre 2012...).

Édouard Herriot, qui a dirigé le Cartel des Gauches élu en 1924, se heurta contre ce qu'il appelait le « mur d'argent » : des lois ne pouvaient pas être votées, d'autant plus que la Banque de France était une propriété privée, dominée par les fameuses « 200 familles » (selon l'imprécise expression d'Édouard Daladier qui dénonçait cette ploutocratie en 1934), c’est-à-dire les deux cents plus grands actionnaires (sur 40.000) qui composaient l'assemblée générale, et qui faisaient tout pour paralyser l’action du gouvernement et le faire chuter.

De 1945 à 1973, il y eut un répit relatif : le programme du Conseil National de la Résistance imposa la nationalisation de la Banque de France, mais la ploutocratie agit afin de rogner ses réalisations.

Ainsi, Le 3 janvier 1973 (juste après les fêtes de fin d'année, donc), le président de la République Française de 1969 à 1974 Georges Pompidou, ancien directeur de la banque Rothschild (auparavant choisi par le président Charles de Gaulle comme Premier Ministre afin d'assurer l'indépendance financière de la France face aux États-Unis), avec pour Ministre des Finances Valéry Giscard d'Estaing (dont le petit-cousin Nicolas Giscard d'Estaing deviendra aussi directeur de la banque La Compagnie Financière Edmond de Rothschild), fit voter une loi qui interdit à l'État le recours à l'émission des bons du trésor, c'est-à-dire de faire des emprunts d'État exempts d'intérêt, par l'abscond article 25 : « Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l'escompte de la Banque de France. ». La Banque de France cessa ainsi sa fonction de service public de prêteur monétaire à taux nul, car jusqu'en 1973, l'État français, par le Trésor public, "empruntait" (en fait faisait créer une monnaie gratuite) à la Banque de France, deux services publics. L'application de cette loi contribuera au début et à l'accroissement de l'endettement de l'État français à partir de 1974.

Danielle Mitterrand relata ses conversations avec son époux président "Socialiste" : «  « Pourquoi maintenant que tu en as le pouvoir ne fais-tu pas ce que tu avais promis ? » Il me répondait qu’il n’avait pas le pouvoir d’affronter la Banque mondiale, le capitalisme, le néolibéralisme. Qu’il avait gagné un gouvernement mais non pas le pouvoir. J’appris ainsi qu’être le gouvernement, être président, ne sert pas à grand-chose dans ces sociétés sujettes, soumises au capitalisme. » (Paris Match N° 2441, 7 mars 1996).

Le traité européen de Maastricht, en 1992, par l'article 104, § 1, « interdit en effet à la BCE [Banque Centrale Européenne] et aux banques centrales des États membres, ci après dénommées « banques centrales nationales », d'accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions ou organes de la Communauté, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres ; l'acquisition directe, auprès d'eux, par la BCE, ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite. »

On nous a vanté une banque centrale européenne indépendante, mais indépendante de quoi ? de l'État, et donc du contrôle des élus du peuple : c'est en fait une banque dépendante des banques privées et de l’idéologie qu’elles financent à travers de mercenaires économistes de garde. Elle a comme but, comme le rappelait souvent son directeur Jean-Claude Trichet, de maintenir un taux d’inflation bas, et donc au profit des rentiers plutôt que des travailleurs (qui en plus, en France jusqu’en 1982, bénéficiaient, surtout les plus pauvres, de l’indexation des salaires sur les prix, supprimée par le ministre des Finances "Socialiste" Jacques Delors).

Le 24 janvier 2011, Jacques Attali a confirmé que les rédacteurs du traité européen ont fait en sorte qu’il n’y ait pas d’article permettant la sortie de l’euro : «  Tous ceux qui, dont j'ai le privilège d'avoir fait partie, ont tenu la plume pour écrire les premières versions du Traité de Maastricht, on s'est bien engagé à faire en sorte que sortir, ce n'est pas possible. On a soigneusement oublié d'écrire l'article qui permet de sortir rires de l’auditoire]. C’est peut-être pas très démocratique, évidemment, mais c’était une grande garantie pour rendre les choses plus difficiles, pour nous forcer d'avancer ; parce que si on sort, ce qui naturellement est toujours possible ; c'est impossible, mais naturellement si on veut, on peut ; c'est très compliqué. » (Université Participative organisée par Ségolène Royal sur le thème « La crise de l’euro »). Nous, les peuples européens, assistons en spectateurs à la mise en place d’un plan que l’oligarchie veut irréversible, par l’entremise d’une politique à cliquet.

Le référendum du 29 juin 2005 pour une Constitution européenne n'était qu'un plébiscite pour une politique décidée en amont du peuple. Malgré la médiatisation dominante pour l'acceptation de ce traité, et en partie grâce à l'action sur internet du professeur d’économie Étienne Chouard, qui apparaissait dans les médias comme anecdote distrayante, le refus l'a emporté à 55%. Le Traité de Lisbonne, ratifié en congrès (députés plus sénateurs) à Versailles le 4 février 2008, a montré que ce qu'on ne faisait pas rentrer par la porte sur rue du peuple avec l’appui de la criée médiatique, on le faisait entrer par la fenêtre sur cour des parlementaires Versaillais.

On nous présente l'Union Européenne comme une construction pour la paix et l'union des peuples, ce que la plupart des citoyens veulent, mais les textes qu'on propose au plébiscite sont des chevaux de Troie, des cadeaux empoisonnés pour encore moins de souveraineté des peuples, encore moins d'autonomie, avec des articles absconds pour plus de ploutocratie effective, à travers les lobbyistes installés à côté des institutions européennes.

Le 31 octobre 2011 , le Premier ministre de la Grèce, Geórgios Papandréou, proposa aux Grecs qui manifestaient depuis plusieurs mois contre les différentes réformes « imposées » par des institutions internationales un référendum sur le plan de sortie de crise approuvé cinq jours plus tôt par l'Eurogroupe. Sous la pression des autres gouvernements européens, il y renonça et fut remplacé le 11 novembre par l'ex-gouverneur de la Banque de Grèce et ex-vice-président de la Banque Centrale Européenne, l'économiste Loukás Papadímos, qui avait préparé la rentrée frauduleuse de la Grèce dans l'euro. S'il est "indépendant" quant à son appartenance à quelque parti politique, il l'est de la même façon que l'est la Banque Centrale Européenne…

En Italie, le 16 novembre 2011, après le vote du plan d'austérité, le Président du Conseil Silvio Berlusconi, ultra-riche qui avait abruti le peuple par la télévision avant de se faire élire, fut remplacé par l'économiste Mario Monti, commissaire européen au Marché intérieur puis commissaire européen à la Concurrence, et président de la section Europe à la Commission Trilatérale et membre du comité de direction du groupe Bilderberg.

Les deux nouveaux chefs de gouvernement dans les modernes Athènes et Rome sont des économistes ayant travaillé pour la banque Goldman Sachs (ainsi que Mario Draghi, nommé président de la Banque Centrale Européenne le 24 juin 2011), remplaçant sans élections des chefs qui contrairement à eux avaient obtenu leur poste par une victoire électorale : la technocratie est imposée, ne remettant en question aucun des buts (croissance du produit intérieur brut, désendettement avec une monnaie créée en enrichissant les prêteurs), mais appliquant uniquement des moyens pour perpétuer le même système indiscutable.

Enfin, les peuples découvrent que leurs États se sont soumis à leur insu à des agences privées de notation de leur politique financière, afin que les marchés déterminent à quel taux leur prêter de la monnaie, maintenant que la création monétaire à taux nul a été confisquée aux nations. En plus, un de leurs critères de notation est le taux de privatisation des services publics ! Comme disait Coluche, « jusqu'où s'arrêteront-ils ? », alors qu’ils dédaignent qu’« Un bon gouvernement doit laisser au peuple assez de richesses pour qu'il puisse supporter sa misère. ». C’est peut-être ce qui les perdra.



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