mardi 3 juin 2008 - par anna

Révision de la Constitution : le Sénat et le non-cumul des mandats oubliés


On peut regretter dans le projet de loi l’absence de nombreuses propositions. Ainsi, rien n’est prévu concernant les ordonnances. La France produit aujourd’hui plus d’ordonnances, dépendant de l’exécutif, que de lois. C’est intolérable du point de vue des droits du Parlement d’autant plus que des pans entiers de matières relevant de la loi sont concernés. Par ailleurs, de très nombreuses dispositions de ce projet laissent planer la plus grande incertitude en renvoyant à une future loi organique ou aux règlements des assemblées. On demande donc aux membres du Congrès de voter les yeux fermés. Concrètement, cela signifie que la majorité UMP tranchera ces questions dans quelques mois. Même dans l’hypothèse où, dans un premier temps, on adopterait par exemple une loi organique relativement acceptable, six mois après la majorité peut défaire ce qu’elle a fait. Quid des autres partis ?

La revendication des socialistes, mais aussi d’autres groupes politiques, concernant le scrutin sénatorial est aussi légitime. Il est dommage que l’UMP s’accroche à ce « privilège », alors qu’il demande la tolérance, en d’autres matières, à ses opposants politiques. En effet, le mode d’élection des sénateurs est aujourd’hui tellement injuste au profit des habitants de la France profonde qu’il porte atteinte au principe fondateur de la démocratie : un homme, une voix. Il existe actuellement l’unanimité pour reconnaître qu’il est inadmissible, en un demi-siècle, de n’avoir jamais eu d’alternance au Sénat. Cela n’est pas anodin, le président du Sénat participe à la nomination d’un grand nombre d’autorités et pas des moindres. (Conseil constitutionnel, CSA). De plus, il a la possibilité de bloquer toute réforme constitutionnelle. Il faut donc changer le mode d’élection des sénateurs. Dans ce projet de réforme, il n’y a rien de concret : il est simplement dit que les sénateurs seront élus « en tenant compte de la population ». Cette disposition a l’avantage de s’opposer à une jurisprudence contestable du Conseil constitutionnel. Cependant cette vague promesse est évidemment manifestement insuffisante.

On entend régulièrement un seul argument pour justifier ce flou et ce renvoi à des textes ultérieurs : ces dispositions-là ne seraient pas de « nature constitutionnelle ». C’est radicalement faux, il n’existe pas un seul argument juridique allant dans ce sens. Cette « nature constitutionnelle » est une pure invention. On peut tout mettre dans une Constitution, à condition que le souverain, c’est-à-dire le peuple, le souhaite. On peut insérer dans le texte constitutionnel tout ce que l’on estime fondamental, constitutif de notre société. Le mode d’élection des sénateurs et même la garantie du pluralisme des médias peuvent donc en faire partie. De nombreux pays étrangers ont d’ailleurs de telles dispositions dans leur Constitution. Cet argument est complètement infondé et les parlementaires vont devoir se prononcer sans garanties sur ces éléments.

La réforme du Sénat est d’autant plus importante qu’elle conditionne le caractère pluraliste de divers organes et donc le caractère démocratique d’autres réformes. Par exemple, le contrôle de constitutionnalité des lois après leur adoption est un progrès, à condition que son objectif majeur ne soit pas de concentrer ce pouvoir dans les mains de quelques hommes dont on est pratiquement certain qu’ils appartiennent toujours à la même tendance politique. Actuellement, ce sont tous les juges ordinaires qui écartent les lois contestables en se fondant non pas sur la Constitution, mais sur les conventions internationales. Notons d’ailleurs qu’il serait injustifiable et impraticable d’exclure de ce contrôle les lois antérieures à 1958, comme c’est prévu dans le projet. La Déclaration des droits de l’homme, avec une telle vue, ne pourrait pas être évoquée par les citoyens, pas plus que leurs droits reconnus par le préambule de 46 ! Sans parler de la loi de 1905, par exemple. Le Parlement, depuis le début de son existence (1789), débat toujours à partir de texte existant. Une loi votée en 1999 pourrait donc être reliée à une obscure loi de 1944, ou encore des principes datant de la IIIe République, à commencer par la laïcité ! D’où la nécessité de permettre un contrôle de constitutionnalité sur toutes les lois… antérieures ou non à 1958… Ne serait-ce que parce que la Constitution s’impose à tous… Et est au sommet de l’ordre juridique.

Je terminerai sur le Parlement, en interrogeant sur le non-cumul des mandats. Je comprends bien que la plupart des élus jouent les frileux sur cette « réforme », mais, comme on dit, « on ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière ».

Au sein du comité de réflexion sur la Constitution, le comité Balladur avait retenu les réformes sur le cumul des mandats, le RIC, une dose de proportionnelle, et tout cela a disparu. En particulier la réforme sur le non-cumul des mandats, indispensable pour revitaliser le Parlement.

C’est d’ailleurs une « réforme » si importante que le comité Balladur en fait LA réforme essentielle de la « modernisation » de nos institutions.

« Le renforcement du Parlement par le biais d’attributions nouvelles et de méthodes de travail mieux adaptées aux exigences de la démocratie n’a de sens que si les membres du Parlement sont mis en mesure d’exercer pleinement la mission que le peuple leur a confiée. Mais il ne se portera à la hauteur de cette tâche que s’il est réellement représentatif de la diversité de l’opinion publique et si l’opposition trouve, au sein des deux assemblées qui le composent, une place à sa mesure.

L’activité parlementaire de législation et de contrôle constitue, par elle-même, une activité à temps plein. Aussi le Comité est-il d’avis que l’interdiction du cumul des mandats et des fonctions est la seule mesure qui corresponde vraiment aux exigences d’une démocratie parlementaire moderne.

Seule parmi les grandes démocraties occidentales, la France connaît une situation de cumul important des mandats. En dépit des législations en vigueur depuis que des limitations ont été, en 1985 puis en 2000, édictées, le cumul des mandats, même limité, demeure la règle et le non-cumul l’exception. A cette situation, s’ajoute le fait que les établissements publics de coopération intercommunale ne sont pas dans le champ des interdictions de cumul.

Dans ces conditions, il est apparu au Comité qu’afin de donner aux parlementaires la possibilité d’exercer la plénitude des fonctions que leur mandat leur confère l’on devait s’acheminer vers l’interdiction du cumul des mandats et des fonctions.

Je comprends qu’il soit difficile pour nos élus de « sauter le pas ». Néanmoins, il serait peut-être envisageable, dans un premier temps, de ne permettre le cumul d’une fonction de parlementaire et de maire, que pour le deuxième ou troisième mandat, le premier mandat de parlementaire devant obligatoirement être « unique ». De la même façon, les parlementaires pourraient inviter leurs homologues étrangers, et leur demander quels sont les atouts de leur système de représentation, et tenter de « dupliquer » ces méthodes pour la France.

Il ne s’agit pas de « brutaliser » les parlementaires, mais il faut bien être conscient que, sans la mise en œuvre d’une réforme du « cumul des mandats », le Parlement ne regagnera jamais son « pouvoir ».



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