vendredi 7 octobre 2005 - par Michel Monette

Ricardo Petrella : empêcher la rencontre de l’OMC à Hong Kong

Ricardo Petrella aime bien le Québec. Il s’y sent chez lui pour y être venu à plusieurs reprises participer à des débats. Pour lui, c’est chaque fois une opportunité unique de confronter les idées progressistes telles qu’elles s’expriment des deux côtés de l’Atlantique.

Le lieu où il a livré son message n’a pas tellement d’importance. Petrella va sans doute redire la même chose partout où il s’arrêtera, au cours de ce voyage en terre québécoise.

Et quel message ! Nous sommes passés, nous dit Petrella, d’une société où les services publics développés à l’échelle territoriale étaient intimement liés à la notion de bien public et au domaine des droits citoyens, à une société où ils sont liés au domaine de l’échange.

Ce fait pose un défi à tous ceux qui militent pour un monde meilleur : celui de sortir du piège d’une stratégie de riposte - axée sur la qualité et l’accessibilité plutôt que sur le droit - qui fait le jeu des partisans de la privatisation.

Conscient qu’il est impossible de renverser la tendance à l’universalisme, Petrella appelle à reconquérir ce qu’il appelle « l’agenda culturel » du domaine public : se réapproprier le service public comme droit pour définir une autre manière d’être des services public, mais cette fois-ci à l’échelle mondiale plutôt que territoriale.

Il faut faire vite, avant que la fidélisation à une culture territoriale des services publics, en voie de disparition, ne soit remplacée par la fidélisation à une culture d’adhésion à des « marques » mondiales de services publics détenues par des multinationales.

Le passage du droit à l’échange

Désormais, les services publics répondent aux besoins d’individus qui font des transactions avec l’État. Celui-ci ne s’adresse plus au citoyen, mais au client, à l’utilisateur.

En parallèle, la gestion a remplacé la politique. On ne fait plus de politique de la santé, de politique de l’éducation, pour prendre ces deux exemples, on gère la santé, on gère l’éducation.

Qualité, juste prix, accessibilité sont devenus les maîtres mots, ce qui fait qu’on ne distingue plus très bien la sphère marchande de la sphère non marchande.

Avez-vous remarqué d’ailleurs à quel point la fiscalité elle-même est en mutation ? De plus en plus, la tarification, qui est au fond une offre de services publics à prix abordables à des citoyens devenus consommateurs, alors même que l’on prétend vouloir par cela maintenir leur accessiblilité, devient un instrument privilégié pour financer ceux-ci.

Résultat : l’universalité de l’accès aux services publics est sérieusement rognée. On se met à fermer les services publics « non rentables » : un bureau de poste ici, une petite école de village là, un hôpital de quartier ailleurs.

L’universel remplace le territorial

Ce ne sont plus les besoins territoriaux, mais le « flux » marchand des services publics qui prime. Il n’y a plus cette richesse collective de services publics profondément ancrés dans un territoire donné, mais une mobilité de l’offre à tel point, pourquoi pas, qu’un soin de santé pourrait très bien être offert à un « utilisateur » installé dans une salle d’hôpital de Montréal géré en partenariat avec le privé, par un médecin se trouvant lui dans un hôpital privé de Philadelphie, voire dans un hôpital public de Paris tarifant les demandes étrangères pour financer une partie de son budget. Science-fiction que tout cela ?

Les nouvelles technologies le permettent tout à fait. Un médecin n’a plus besoin d’être physiquement sur les lieux pour ausculter ou opérer un patient. Même l’enseignement peut se faire à distance par vidéo-conférence.

Pourquoi pas - tant qu’à imaginer ce que serait le monde où les services publics n’auront plus de limites territoriales - la perception des impôts impartie à un pays qui aura obtenu le droit d’offrir ses services grâce à la libéralisation des services ?

On comprend que Petrella appelle à intervenir auprès de nos élus, allant même à la blague, jusqu’à demander qu’on les retienne physiquement, pour que ceux-ci ne soient pas présents à la prochaine rencontre de l’OMC à Hong-Kong en décembre prochain.

L’accord général sur les services, qui est inscrit sur l’agenda de cette rencontre de l’OMC, pourrait bien en effet pousser jusqu’au bout cette logique de l’échange qui pervertit le champ des services publics, au point où plus aucune digue ne résisterait au privé.

J’espère ne pas avoir trop trahi la pensée de Petrella, un être fascinant, à qui j’ai pu parler brièvement, assez longtemps tout de même pour lui signaler l’existence d’Agoravox, et mon intention d’y écrire un billet sur sa conférence.




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