Sites porno : une très bonne nouvelle !
« Dès 12 ans, plus de la moitié des garçons se rendent sur des sites adultes en moyenne chaque mois. » (Extrait d'un rapport de l'Arcom de mars 2023 pour des chiffres de 2022).
S'il y a bien deux mots qui sont très opposés, c'est pornographie et enfance, et pourtant, jamais les enfants, les adolescents, n'ont autant fréquenté des sites pornographiques sur Internet qu'aujourd'hui. Des études sont alarmistes. La moitié des préadolescents de 12-13 ans fréquenteraient ces sites régulièrement (au moins une fois par mois) et un tiers des préadolescentes du même âge. Et c'est deux tiers des garçons de 16-17 ans ! Forte croissance : en 2023, il y a eu 2,3 millions de mineurs qui ont fréquenté chaque mois des sites pour adultes. Plusieurs rapports ont alarmé les pouvoirs publics, dont celui de l'Arcom et celui du Sénat. Les mineurs représentent 12% du marché de ces sites, c'est une part non négligeable.
Depuis la loi n°2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, c'est l'Arcom (ex-CSA) qui est chargée de veiller à la protection des enfants de contenus en ligne pour adultes.
Inutile de dire que si ces sites sont réservés pour les adultes, c'est bien parce qu'il faut avoir déjà une petite expérience de la sexualité qui ne soit pas la dégradante exhibition qu'on peut montrer en captant une part non négligeable de l'argent des internautes. Quand on sait qu'en plus, le support le plus utilisé pour la consultation, c'est le smartphone, autant dire que pour les parents, c'est mission quasi-impossible.
C'est vrai que de mon temps, lorsque j'étais collégien, des revues porno se promenaient sous le manteau, discrètement, pas moins dégradantes que les sites sur Internet, sous une motivation plus de curiosité que de perversion, mais c'était de l'artisanat par rapport aux grosses centrales industrielles que sont les sites sur Internet.
La France, très engagée pour protéger ses enfants, s'est donc dotée d'une législation relativement contraignante : les sites pour adultes doivent vérifier que leurs utilisateurs sont bien des adultes. Et la simple déclaration de majorité en un seul clic ne suffit plus. Cette obligation est en vigueur depuis le 11 janvier 2025.
Techniquement, il y a plusieurs pistes : pas envoyer une carte d'identité au site lui-même (ce serait la disparition assurée des clients !), mais au moyen d'un tiers qui vérifie l'âge, l'utilisation d'un code d'entrée, par exemple, ou encore, plus sophistiquée, l'analyse de son visage par un logiciel qui réussirait à associer un âge au visage (attention aux désillusions !). On peut convenir que ce n'est pas le métier a priori d'un fournisseur de contenus pornographiques (je reste dans ce que la loi autorise, car dès lors que le site diffuse du contenu illégal, il se moque bien de l'âge de ses clients, autre aspect de la loi).
C'est là qu'est venue la riposte des éditeurs de sites pornographiques. Eux, leur objectif, c'est que la loi les déresponsabilise et renvoie l'obligation aux fournisseurs d'accès internet et autres opérateurs de téléphonie mobile, ce qui serait, selon eux, plus efficace. Ainsi, pour protester, l'éditeur Aylo, qui produit YouPorn, PornHub et RedTube, a annoncé ce mardi 3 juin 2025 qu'il arrêterait la diffusion de ses sites en France à partir du lendemain, 4 juin 2025, laissant juste un message de protestation sur l'écran.
Bien sûr, un blocage sur le territoire français n'est jamais parfait, il est parfois facile de contourner certains blocages. Néanmoins, comme cela s'adresse à des mineurs, ces derniers sont moins enclins à trouver des astuces de navigation pour contourner ces blocages.
La réaction de la classe politique fut alors unanime, et c'était prévisible (et un bon coup d'épée dans l'eau de cet éditeur) : Tant mieux ! Bon débarras ! Au revoir ! Ont dit en chœur nos ministres et parlementaires sensibles à la protection de l'enfance.
La ministre en charge de la question, la très politique Aurore Bergé, a ainsi tweeté comme en signe de victoire : « Protéger les mineurs, c'est notre engagement, notre responsabilité. Pornhub, YouPorn et Redtube refusent de se conformer à notre cadre légal et décident de partir. Tant mieux ! Il y aura moins de contenus violents, dégradants, humiliants accessibles aux mineurs en France. Au revoir ! ».
L'ancienne ministre et actuelle sénatrice socialiste Laurence Rossignol n'a pas dit autre chose sur Public Sénat : « Enfin une bonne nouvelle ! Ces sites le font d’eux-mêmes, on ne l’aurait pas mieux fait ! (…) Qu’ils se rebellent sur le fait de couper l’accès aux mineurs, cela montre leur absence d’éthique et d’intérêt pour la santé mentale des plus jeunes. (…) Ils s’imaginent qu’il y aura des manifestations dans les rues contre leur fermeture, mais cela n’aura pas lieu. ».
De toute façon, par la loi, l'Arcom aura le pouvoir de bloquer en France, à parti du 6 juin 2025, les sites pour adultes qui ne vérifient pas réellement l'âge majeur de ses visiteurs. Et cela sans une décision de justice, juste après une simple mise en demeure.
Dans un arrêt du 5 janvier 2023, la Cour de Cassation a considéré que la vérification efficace de l'âge de leurs visiteurs était « nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif de protection des mineurs » et a balayé les deux arguments des sites pornographiques, la violation de la vie privée et la liberté d'expression. On peut imaginer un cadre européen de vérification de l'âge, dans la mesure où l'Union Européenne a été très sensibilisée notamment par la France sur cette question.
Par un effet très contre-productif, l'initiative de cet éditeur a mis en lumière l'amoralité et surtout, l'irresponsabilité des sites à contenus pornographiques sur la question de la protection de l'enfance. Les responsables politiques sont heureux de l'auto-blocage des trois sites qui empêchera des enfants d'aller les visiter.
Je ne peux m'empêcher de rappeler une déclaration malheureuse d'un, à l'époque, simple député et ancien ministre. Invité de l'émission "Salut les Terriens" animée par Thierry Ardisson le 7 décembre 2013 sur Canal Plus, l'homme politique, à la question (idiote) : "Vous regardez bien YouPorn quand même ?", a répondu fort démagogiquement : « Comme tout le monde ! ».
Cet homme assez décevant, c'était Laurent Wauquiez qui a vite rétropédalé le 9 décembre 2013 en tweetant un semblant d'excuse : « Leçon du week-end : quand on fait de l'humour, il faut être certain d'être compris. J'ai voulu traiter par la dérision une question déplacée. Erreur. Sujet clos. Retour aux vrais sujets. ».
La fin du tweet donnait d'ailleurs l'étendue du problème : si, monsieur Wauquiez, la protection de l'enfance est un vrai sujet, qui, par le choix du gouvernement, sera loin d'être clos. Pour une fois, le retrait d'acteurs économiques de la France est une très bonne nouvelle pour nos familles, pour nos enfants et pour nos futurs adultes !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (03 juin 2025)
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Pour aller plus loin :
Sites porno : une très bonne nouvelle !