samedi 13 janvier 2018 - par Sylvain Rakotoarison

Vives inquiétudes pour Mary Jane Veloso

« Ce que nous demandons à l’avenir, ce que nous voulons de lui, c’est la justice, ce n’est pas la vengeance. » (Victor Hugo, le 20 avril 1853).

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Ce mercredi 10 janvier 2018, ce fut son anniversaire et elle a adressé à cette occasion un message au Président de son pays pour qu'il la sauve du "couloir de la mort"... Je voudrais revenir sur le destin tragique de Mary Jane Veloso. J’avais déjà évoqué sa terrible situation en septembre 2016. Elle est une jeune employée de maison venue des Philippines et cherchant du travail en Indonésie. Elle fut inscrite, comme le Français Serge Atlaoui, sur la liste des exécutions des personnes condamnées à mort planifiées pour le 29 avril 2015. Deux jours avant ces exécutions (qui ont hélas bien eu lieu pour les huit autres condamnés de la liste), deux noms furent retirés, celui de Serge Atlaoui et le sien. Elle a été condamnée à mort en octobre 2010 parce qu’elle a été arrêtée en avril 2010 dans un aéroport de Jakarta en possession de 2,6 kilogrammes d’héroïne dans ses bagages.

Comme d’autres immigrés pauvres, Mary Jane Veloso, qui vient d'avoir 33 ans, a été piégée en Malaisie par des recruteurs sans scrupule. Elle ne savait pas qu’elle transportait de la drogue dans une valise qu’ils l’avaient chargée de transporter et elle fut cueillie par la police. En Indonésie, la drogue est un véritable fléau social (4,5 millions de personnes sont touchées par la toxicomanie qui tue entre 40 à 50 personnes par jour), et sa lutte est l’une des priorités du gouvernement actuel, au point d’avoir rompu le moratoire du gouvernement précédent et d’avoir repris les exécutions pour montrer sa fermeté en la matière.

Dans cette histoire, comme dans celle de Serge Atlaoui, il y a deux scandales : celui de la peine de mort en elle-même, et celui de l’innocence de ces personnes condamnées à mort. Le moins qu’on puisse dire, pour eux deux notamment, c’est qu’ils ont été coupables d’une grande négligence et, par besoin d’argent, d’une acceptation d’un travail illégal. C’est répréhensible par la loi, évidemment, mais c’est très différent d’un trafic de drogues et d’une volonté de se faire de l’argent sur le dos de toxicomanes.

Si Mary Jane Veloso a eu la vie sauve au dernier moment, il y a deux ans et demi, c’était parce que le gouvernement philippin avait déclaré au gouvernement indonésien que son témoignage serait essentiel dans l’instruction des accusations de trafic d’êtres humains contre ses deux recruteurs présumés (qui ont été arrêtés et inculpés aux Philippines).



Pour être bien clair, il y a donc deux affaires judiciaires : une première en Indonésie qui a jugé coupable Mary Jane Veloso de détention de 2,6 kilogrammes de drogue et qui l’a condamnée à mort, sans autre nouveau recours possible, mais elle affirme qu’elle n’est pas coupable car ce sont ses recruteurs qui lui ont donné cette drogue à transporter, et une seconde affaire, encore en cours d’instruction, où ce sont ses deux recruteurs présumés (Maria Cristina P. Sergio et Julius L. Lacanilao) qui sont les prévenus, accusés de travail illégal et de trafic d’êtres humains. On voit bien que si ces deux derniers étaient condamnés aux Philippines, c’est-à-dire reconnus coupables d’avoir recruté Mary Jane Veloso (notamment), cette dernière serait ainsi reconnue innocente aux Philippines et aurait des chances de voir accepter la demande de révision de sa condamnation à mort en Indonésie.

Mary Jane Veloso, détenue à Yogtakarta, en Indonésie, est cependant dans l’impossibilité de venir témoigner personnellement devant une cour aux Philippines. Dans son ordonnance du 16 août 2016, la juge philippine Anarica J. Castillo-Reyes de la 88e section de la cour régionale de première instance de Nueva Ecija, aux Philippines, avait alors ordonné la déposition de Mary Jane Veloso dans cette affaire de recrutement présumé illégal. L’idée était que la juge philippine se déplacât elle-même auprès de Mary Jane Veloso dans sa prison indonésienne pour aller recueillir sa déposition, accompagnée des représentants de la défense.

Or, ce témoignage si crucial ne pourra pas être examiné aux Philippines. En effet, dans sa décision rendue ce jeudi 4 janvier 2018, la cour d’appel (des Philippines), saisie par ses deux anciens recruteurs (présumés), a refusé que cette juge aille recueillir la déposition écrite de Mary Jane Veloso. Cette décision a été prise pour des raisons de procédure pénale et pas sur le fond, mais pour Mary Jane, cela revient au même car cela signifie que depuis le 4 janvier 2018, il n’y a plus rien qui pourrait éviter son exécution. Le lendemain, le Syndicat national des avocats du peuple (NUPL) des Philippines, qui est l’avocat de Mary Jane Veloso, a exprimé sa consternation contre cette décision.


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Précisons la situation assez compliquée sur le plan judiciaire. La cour d’appel a rappelé la règle 119 de la procédure pénale qui « déclare catégoriquement que la déposition d’un témoin à charge doit être faite devant le tribunal où l’affaire est traitée ». Cette obligation est pour permettre aux prévenus (les deux recruteurs de Mary Jane Veloso) de pouvoir se défendre (droit constitutionnel), avec une possible confrontation avec le témoin et un contre-interrogatoire.

Expliquant la décision du 4 janvier 2018, le juge adjoint Ramon M. Bato Jr. a déclaré : « La juge [de Nueva Ecija] a fait une grave erreur [abus de pouvoir] en faisant la requête pour s’autoriser de prendre en compte le témoignage de la plaignante Mary Jane Veloso par une déposition sur la base de déclarations écrites. ». Pourtant, elle ne pouvait témoigner que par écrit, vu sa détention en Indonésie.

La cour d’appel n’a pourtant pas omis la situation personnelle de Mary Jane Veloso : « Nous ne sommes pas indifférents à la gravité des infractions reprochées aux prévenus (les recruteurs). De même, nous ne sommes pas inconscients du destin triste et malheureux qui a frappé Mary Jane Veloso. ». Cette cour a pourtant fait preuve d’une inflexibilité que les textes lui ont peut-être imposée mais dans une situation totalement inédite et exceptionnelle (probablement pas imaginée par le législateur).

L’avocat Edre U. Olalia, qui est le président du Syndicat national des avocats du peuple (NUPL), est effectivement consterné par cette décision : « Nous sommes déçus que l’audience de son témoignage soit empêchée par nos propres tribunaux, la cour d’appel en particulier. ». Par "propres", il faut comprendre par des tribunaux philippins et pas indonésiens.

Selon cet avocat, « aucun droit fondamental n’aurait été violé » (droit fondamental pour la défense) en cas de témoignage écrit de Mary Jane Veloso : « L’avocat serait présent lorsque la décision serait prise en Indonésie en présence non seulement du même juge philippin saisi de l’affaire [des faux recruteurs] mais aussi d’autres fonctionnaires judiciaires et consulaires philippins et indonésiens. ». Et de conclure : « Compte tenu de la nouveauté de la situation juridique qui implique deux juridictions et des circonstances d’être détenue dans un pays étranger, incapable ou non autorisée à rentrer chez elle pour témoigner, sa déposition écrite ferait la lumière sur la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. ».

Edre Olalia a exprimé sa profonde inquiétude ce lundi 8 janvier 2018 car avec cette récusation d’une cour philippine, l’Indonésie pourrait révoquer le sursit d’exécution dont elle bénéficiait depuis le 27 avril 2015 : « Iyun ang masaklap : ang dulo niya, maaaring matyloy [ang bitay]. » ce qui signifie en gros : « Ce qui est malheureux, c’est qu’à la fin, son exécution pourra quand même avoir lieu. ». Edre Olalia a précisé que l’Indonésie n’autorisait pas les condamnés à partir temporairement pour témoigner hors de son territoire et interdisait également les dépositions par Skype.

La situation n’est pas encore totalement bloquée : le NUPL va déposer une requête en réexamen visant à renverser la décision de la cour d’appel. Et si sa demande est rejetée, il pourra porter la question devant la Cour suprême des Philippines.

Pour se défendre, les deux prévenus ont affirmé qu’ils n’étaient pas des recruteurs car ils n’avaient accepté aucuns frais de la part de Mary Jane Veloso et qu’ils n’avaient fait que l’aider à trouver du travail à l’étranger. La juge Persida Rueda-Acosta, procureure générale, qui défendait les deux recruteurs, a préconisé la clémence en Indonésie pour Mary Jane Veloso : « Nous recommandons que le gouvernement [philippin] demande à l’Indonésie d’accorder la grâce ou la clémence à Mary Jane Veloso parce que sinon, combien de temps prévoient-ils de prendre en otage [les deux présumés faux recruteurs] juste pour que Mary Jane ne soit pas exécutée ? ».

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Interviewé par la journaliste Karen Davila à une chaîne de télévision philippine le 27 avril 2017, le Président indonésien Joko Widodo avait voulu tempérer son extrême fermeté face aux condamnés pour trafic de drogue : « L’Indonésie respecte les droits de Mary Jane Veloso et je sais que Mary Jane Veloso est également confrontée à une situation particulière aux Philippines, et que la coopération entre les gouvernements indonésien et philippin est très importante pour résoudre ce problème. ». Ainsi, Joko Widodo n’a pas exclu la clémence pour Mary Jane Veloso, mais toujours dans le respect des lois en vigueur en Indonésie et selon les décisions des tribunaux philippins. Le 26 avril 2017, Celia Veloso, la mère de Mary Jane, avait demandé au Président philippin Rodrigo Duterte et à son homologue Joko Widodo d’épargner sa fille.

Joko Widodo a été élu en Indonésie, le 9 juillet 2014, à l’issue d’une campagne présidentielle où il a prôné les valeurs d’humanisme, de modernité et d’ouverture de son pays au monde pour faire de son pays une puissance économique (aux côtés du Japon, de la Corée du Sud, de l’Inde, de la Chine, de Taïwan et de l’Australie). Sa lutte contre les trafiquants de drogue était justement l’une des déclinaisons de cet "humanisme" selon lequel la drogue retire toute humanité aux humains. Mais en remettant en œuvre les nombreuses d’exécutions depuis son arrivée au pouvoir le 20 octobre 2014, l’image de ce Président d’ouverture et d’humanisme pourrait se transformer en maître des horreurs, surtout s’il laisse exécuter des condamnés qui seraient innocents de trafic de drogue et ne seraient coupables que d’un manque de discernement voire d’intelligence…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (08 janvier 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Vives inquiétudes pour Mary Jane Veloso.
Sauvons la vie de Mary Jane !
Le cauchemar de Serge Atlaoui.

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2 réactions


  • Montdragon Montdragon 13 janvier 2018 14:03

    Sylvain !
    Paris est blindé de nounous philippines payées au lance-pierre par des bobo sans scrupules, et souvent dépossédées du passeport.
    Ça, ça serait de l’ article coco.


  •  C BARRATIER C BARRATIER 13 janvier 2018 22:09

    Il est réconfortant de s’intéresser à des cas étrangers au pays. Le maintien de la peine de mort est dommageable à l’exercice de la,justice jusqu’au bout. Notre ambassadeur pourrait énorme toute courtoisie essayer de prolonger la détention et de faire évoluer à la recherche de la vérité 


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