jeudi 27 mars 2014 - par Automates Intelligents (JP Baquiast)

Abenomics : où va le Japon ?

Dans le jargon américano-japonais, on nomme abenomics les politiques économiques mises en place par l'actuel Premier ministre Abe Sinzo- dès son retour au pouvoir le 26 décembre 2012.

Qu'en est-il aujourd'hui ? Les européens pourraient-ils s'en inspirer ?

Abe Sinzo avait pris pour slogan « Remettre sur pied le Japon » et mené campagne essentiellement sur les questions de sécurité et de politique étrangère. Aujourd'hui, il place la relation nippo-américaine au centre de son projet de politique étrangère, principalement dans le but de contrer l'influence chinoise dans la région. Sur ce plan il encourage très vivement les choix de Barack Obama visant à se réinvestir militairement et économiquement en Asie plutôt qu'en Europe. Le retour en force des Etats-Unis dans l'Otan destiné à contrer la Russie en Ukraine ne modifiera pas sensiblement cette politique étrangère, la Chine restant présentée en Amérique et chez ses alliées asiatiques comme un ennemi potentiel.

Sur le plan économique, Abe Sinzo- a placé sa priorité dans la lutte contre la déflation. La déflation actuelle résulte de nombreux facteurs : la crise de Fukushima qui a semé le doute sur les équipements nucléaires et découragé de nombreux investisseurs, mais surtout un recul dans la politique traditionnelle d'innovation dans les technologies émergentes. Cette innovation technologique avait fait du Japon dans les années 1980 la 2e puissance économique mondiale. Les produits high-tech ou l'automobile s'exportaient dans le monde entier. Mais les autres pays ont fini par réagir. Le Japan bashing qui s'est développé notamment aux Etats-Unis a encouragé ces derniers, sinon à investir eux-mêmes, du moins à acheter chinois plutôt que japonais. Aujourd'hui le Japon demeure sans doute premier dans l'innovation en matière de robotique, mais cela ne suffira pas à recréer de l'emploi.

Au plan social, la déflation résulte aussi de la baisse de la consommation intérieure, due au vieillissement marqué de la population et au refus de toute immigration. Enfin, la quasi neutralité imposée au Japon depuis la 2e guerre mondiale n'y encourage pas les investissements militaires, principaux facteurs de croissance dans les pays concurrents.

Pour réagir le Premier ministre a présenté en novembre 2012 un plan de relance monétaire très inspiré de la politique menée sous l'égide de la Banque fédérale aux Etats-Unis depuis la crise historique de 2008. Il a fermement poussé la Banque du Japon à se donner un objectif d'inflation en hausse de 2 à 3%, l'inflation en ce cas étant définie comme un excédent des dépenses sur les recettes, et n'ayant pas le caractère négatif qu'elle a conservé en Europe, notamment en Allemagne.

Il a donc demandé à la Banque du Japon de conduire un assouplissement quantitatif (quantitative easing ou création monétaire) illimité. La Banque devait par ailleurs fixer des taux d'intérêts à court terme négatifs et acheter directement des obligations gouvernementale, autrement dit de la dette publique, sans faire appel aux marchés financiers internationaux. Les emprunts publics devaient permettre de financer, à hauteur de 200 milliards de yens sur 10 ans, une politique de grands travaux destinés à rendre le pays mieux armé face aux catastrophes naturelles toujours menaçantes en cette région. Le nucléaire par ailleurs serait relancé. Précisons cependant qu'1 euro équivaut approximativement à 140 yens, conversion que rend la prévision de 200 milliards de yens moins impressionnante.

On a généralement présenté cette politique du Premier ministre et de son parti le PLD comme d'inspiration libérale, s'inspirant des choix prônés aux Etats-Unis par les néo-conservateurs. Or elle ressemble fort au contraire à ce que les gauches européennes voudraient imposer à l'Union et à la banque centrale européenne, sans succès à ce jour. Japon et Europe constituant les 2e et 3e puissances économiques mondiales, sous réserve cependant de profondes différences, il est intéressant de voir ce qu'il advient aujourd'hui des « abenomics » et de la référence qu'elles pourraient constituer pour une relance européenne.

Résultats en demi-teinte

Les décisions gouvernementales ont d'abord entraîne une vive résistance du gouverneur de la Banque du Japon, défenseur de l'indépendance de celle-ci et hostile à tout retour à une politique chiffrée présentée comme dangereuse pour la discipline budgétaire. Elle causerait des effets secondaires tels que des hausses des taux d'intérêts à long-terme et une inflation qui ne serait pas accompagnée par des activités économiques stimulées par l'Etat

Mais Abe Sinzo- n'a pas reculé jusqu'à ce jour, fort du succès de cette politique auprès des entreprises, des investisseurs (en fait banquiers à risques et traders) comme dans un premier temps de la population japonaise en général. Passons sur les péripéties politiques internes qui ont plutôt affaibli le Premier ministre et son parti durant ces derniers mois, comme sur le débat concernant le nucléaire, et demandons-nous si la politique de relance par une inflation d'ailleurs très prudente, a réussi.

Or, si le PIB nippon a progressé de 1,6 % en 2013, beaucoup d'observateurs pensent qu'il pourrait s'agir d'une croissance en trompe-l'œil. Trimestre après trimestre, l'économie japonaise n'a en fait pas cessé de ralentir pour finalement présenter un taux de croissance de 0,3 % au dernier trimestre. Malgré la dépréciation organisée du yen, le commerce extérieur japonais n'a pas retrouvé son dynamisme d'antan. Or un déficit extérieur record de 11 475 milliards de yens (soit environ 82 milliards d'euros), révélé récemment, est un premier signal d'alerte. Certes ce déficit s'explique du fait de la nécessité d'importer du pétrole à la suite de la défaillance du nucléaire, et de la tension sur les matières premières et produits agricoles résultant principalement de la croissance chinoise. Mais dans ces conditions, la politique affichée reste-t-elle suffisante ?

Il y a plus inquiétant. D'une part les investissements industriels et de recherche n'ont guère repris, au contraire, ce qui fragilise à terme l'avenir de l'économie. Mais surtout, la consommation des ménages, conditionnant largement la demande intérieure, puisque constituant environ 50% de l'économie, reste stable, au lieu de s'accroître. Récemment les ménages se sont vu signifier que la taxe sur la consommation augmenterait en 2014, passant de 5 % à 8 %. De plus, inévitablement, le retour à l'inflation, même faible, ne peut que diminuer leur épargne et augmenter les prix à la consommation, autrement dit à comprimer leur pouvoir d'achat. Un certain mécontentement, pour ne pas dire un vif mécontentement, surprenant de la part de citoyens si disciplinés, commence à se répandre.

Les traditionnelles négociations salariales du printemps qui se sont ouvertes le 5 février dernier apparaissent donc décisives. Une issue positive permettrait en effet à l'économie japonaise d'éviter le scénario noir. Les syndicats demandent donc une hausse significative des rémunérations après des années de stagnation, voire même de baisse. Même Shinzo Abe fait pression sur les patrons pour qu'ils acceptent des hausses de salaire pour soutenir la consommation. Mais cela ne sera pas suffisant, non plus que les injections de liquidité de la Banque du Japon, pour rendre optimistes les anticipations des Japonais. De plus, rien ne permet d'avancer que le patronat acceptera des hausses de salaires. Arguant, comme en Europe, de la concurrence internationale, les patrons seraient plutôt portés à les réduire, voire à envisager un recours accru discret à l'immigration.

Il est à craindre dans ces conditions que Shinzo Abe, en difficulté sur le plan économique interne, ne renforce ses attitudes nationalistes pour faire diversion. En tous cas, il ne devrait guère pouvoir attendre un soutien des Etats-Unis, sauf en paroles. Ceux-ci sont trop occupés par leurs propres difficultés pour le faire. Par ailleurs, outre-atlantique, la peur de la concurrence japonaise, autrement dit le Japan bashing, n'a pas disparu. Même dans l'automobile, où les constructeurs américains semblaient avoir pratiquement renoncé à disputer le marché aux Japonais, un certain mouvement de réindustrialisation se fait sentir.

Nous ne conclurons pas ici, pour ne pas allonger indument l'article, relativement aux enseignements que les partis politiques européens, qu'ils soient de gauche ou de droite, devraient tirer de l'exemple japonais dans leurs efforts pour infléchir la politique économique de l'Union, autrement dit les Uenomics. Laissons le lecteur y réfléchir. Ceux d'Agoravox ne manqueront pas d'idées.

NB. : on pourra lire, sur ce sujet, un article intitulé « Economic suicide » du journal américain de gauche Counterpunch



6 réactions


  • Pyrathome Pyrathome 27 mars 2014 12:25

    Le nucléaire par ailleurs serait relancé......
    .
    Ils en ont pas eu assez, les imbéciles criminels veulent encore recommencer !
    Euthanabé est à l’œuvre....smiley
    Il ne doit pas savoir que son pays est une mine géothermique, le crétin....


  • jullien 27 mars 2014 16:33

    Article intéressant sur un pays dont on parle peu alors que ce qu’il fait conditionne le destin du monde entier pour la seconde moitié de la décennie.

    Seul bémol : l’auteur n’insiste pas assez sur la démographie alors que c’est ce qui fait de la situation économique japonaise une situation désespérée. Si les « Abenomics » réussissent, il aura montré la solution aux problèmes européens ; si elles échouent, le Japon n’aura plus qu’une option et une seule (l’hyperinflation) pour éviter la faillite. Or, avec quelques années de décalage cela vaut aussi dans les grandes lignes pour l’Europe.


  • robert 27 mars 2014 17:18

    artice sandwich ou on traite un sujet en glissant dedant des arguments anti gauche et communiste,


  • lionel 28 mars 2014 09:23

    Abe, le système qu’il représente, est tyrannique et belliqueux. Les lois de l’information votés au Japon sont une abomination, destiné à couvrir l’horreur en cour à Fukushima (je suppose que les gens d’AI ont les bonnes informations à ce sujet : http://enenews.com/). La gestion calamiteuse de cette catastrophe est rendue possible grâce à la mafia Japonaise, puissant alliée de l’état profond né de l’après 2e guerre mondiale, qui gère les morts vivants qui gesticulent alors que le combustible doucement, s’enfonce dans le sol...

    Quel exemple pourrait-il y avoir au Japon pour les Français ?...

    Le traité Trans-pacifique est une forfaiture dictatoriale où les peuple de la zone seront sacrifiés aux lobby biocides étasuniens...


  • Stof Stof 28 mars 2014 14:05

    La déflation salariale mondiale amène à la déflation. Ce qui est très bon pour les rentiers dans un premier temps.
    Bon, évidemment, ensuite celà amène tout le monde à la ruine et à la guerre. Mais gageons que nos milliardaires s’en tireront bien, comme toujours.


  • Peretz1 Peretz1 30 mars 2014 16:32

    C’est une politique économique quasi keynésienne. Malheureusement, la dépense qui en est le dogme doit venir également de achats des la population et non pas uniquement de l’Etat. Sans augmentation du pouvoir d’achat de la population la reprise sera insuffisante. Abenomics n’a pas été jusqu’au bout.


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