Adieu Alstom, adieu la nouvelle France industrielle ?
C’est le feuilleton économique du mois voire de l’année, Alstom va-t-il être démantelé ? Et si oui, par qui ? L’Américain General Electric a lancé les hostilités la semaine dernière, rejoint ce week-end par l’Allemand Siemens. Pendant ce temps, le gouvernement, Arnaud Montebourg en tête, essaie de faire monter les enchères, sans qu’une véritable stratégie pour la France ne se dégage.
Connue pour ses TGV, la principale activité d’Alstom est en réalité l’énergie (73% du chiffre d’affaires). Spécialiste des turbines utilisées dans les centrales thermiques et les barrages hydroélectriques, Alstom s’est aussi lancée dans les éoliennes offshores et les réseaux électriques intelligents. Ce sont ces derniers qui attisent la convoitise de Jeffrey Immelt, le patron de General Electric, pleinement conscient du potentiel des smart grids comme nouvel eldorado industriel. Ces nouveaux types de réseaux sont en effet un passage obligé pour le développement des énergies renouvelables et la sécurisation des systèmes électriques.
Les réseaux électriques intelligents, le trésor d’Alstom
Géant mondial dans de nombreux domaines (l’énergie, mais aussi la finance, les moteurs d’avions, les équipements médicaux…), « GE » est un poids plume dans le domaine du transport d’électricité avec 3% des parts de marché mondiales, comparé aux 10% d’Alstom et aux 16% de Siemens. L’acquisition de la branche énergie d’Alstom permettrait donc de mettre la main sur la pépite Alstom Grid (19% du chiffre d’affaires), en pleine ascension : technologies de pointe et positions fortes sur les marchés dynamiques, notamment l’Inde, le Brésil et le Moyen-Orient.
A ce titre, les synergies attendues en cas d’absorption d’Alstom par General Electric sont bien plus évidentes que dans l’hypothèse d’un rachat par Siemens. L’Américain récupérerait des technologies et un outil industriel qui lui font défaut alors que l’Allemand, déjà présent sur les mêmes secteurs, risquerait de multiplier les doublons. Dans ces conditions, il y a bien moins à craindre pour les emplois français à court terme dans le scénario américain qu’allemand.
De Charybde en Scylla
Par contre à plus longue échéance, c’est la question de la pérennité de l’activité industrielle sur le sol français et de la souveraineté économique et technologique qui se pose. De fait, la « Nouvelle France Industrielle » chère à Arnaud Montebourg, repose en grande part sur le leadership français dans le domaine de l’électricité. La perte d’un maillon aussi essentiel qu’un des pionniers mondiaux des smart grids comme Alstom est donc de sinistre augure pour toute l’économie française.
Il faut ainsi méditer sur l’exemple d’Alcatel, l’entreprise-sœur d’Alstom spécialisée dans les télécoms qui a fusionné avec l’Américain Lucent en 2006. Bien que le siège social soit toujours en France, la fusion s’est accompagnée par une domination marquée des Américains, au sein de l’entreprise, mais aussi par l’ascendant politique de Washington. Aujourd’hui, cela se traduit par la fermeture des usines et centres R&D de ce côté-ci de l’Atlantique, alors que l’activité est maintenue aux Etats-Unis.
Le rachat par Siemens n’est guère plus engageant. Bien que la classe politique française, de droite comme de gauche, en appelle à un « Airbus de l’énergie », la situation est fort différente : Siemens et Berlin n’ont rien à retirer d’un partage du pouvoir. Au contraire, l’intérêt allemand est seulement d’empêcher General Electric de devenir encore plus puissant, et pour cela il faut faire disparaître le concurrent français.
L’abattement semble dominer les milieux politiques et économiques, il ne s’agit pas de « sauver » Alstom, mais seulement de limiter la casse. Cette ambiance est d’autant plus inquiétante qu’une question centrale pour l’avenir d’Alstom reste pour l’heure sans réponse : quelle est la situation économique réelle de l’entreprise ? Si le problème se limite à un problème de trésorerie, il faudrait peut-être réfléchir à d’autres alternatives que de brader le savoir-faire français…