lundi 17 décembre 2007 - par Laurence Bonzani, Serge Guérin, Safia Lebdi et Jean-Marc Pasquet

Après les élections municipales, l’Etat pourrait s’appuyer sur les collectivités locales pour redresser les comptes publics

Pour répondre à l’objectif de déficit fixé par Bruxelles, l’Etat pourrait entamer une véritable révolution des dépenses publiques assise sur une transfomation en profondeur de ses relations avec les collectivités locales.

Dans l’histoire récente des finances publiques, nous avons connu successivement trois périodes :

- une gestion par la gauche marquée, jusqu’en 2001, par la baisse du déficit budgétaire y compris dans sa composante - essentielle - de fonctionnement (1) tout en maintenant à un haut niveau relatif l’effort d’équipement

- une gestion par la droite marquée, jusqu’en 2005, par la hausse des déficits de l’Etat, creusés par les baisses d’impôts dans un contexte de tassement de son effort d’investissement

- depuis 2006, une politique de stabilisation des déficits de l’Etat supportée par la chute spectaculaire de ses investissements (2) et une baisse volontaire des recettes courantes (paquet fiscal).

Le projet de loi de finances 2008 le confirme, nous arrivons au bout de la logique de ce troisième cycle.

POUR L’ETAT, UNE SITUATION DIFFICILE

Comme les marges de manoeuvre en termes de baisses de recettes sont épuisées - sauf à creuser davantage le déficit - et qu’il n’est déjà plus possible de diminuer la frange investissement du budget de l’Etat déjà réduite à sa plus simple expression, nous sommes peut-être à la veille d’une « révolution » des finances publiques.

Tout simplement par la force des choses.

Cela est lié à un objectif essentiel : la volonté de diminuer les prélèvements obligatoires tout en restant sous la barre des 3 % du déficit consolidé sur l’ensemble du périmètre de la dépense publique : Etat, comptes sociaux et collectivités locales.

Cet objectif est placé sous une contrainte qui « écrase tout » : la dette de l’Etat. Et plus particulièrement l’origine de la dette car désormais, le rapport entre les investissements réalisés par l’Etat et son emprunt n’est plus aujourd’hui que de 3 pour 20. En réalité depuis quelques années, environ 100 milliards d’emprunts annuels ne viennent financer qu’une quinzaine de milliards d’investissements et le solde vient en équilibre des comptes de l’Etat.

La « stratégie de redressement » prônée par Bercy est décrite dans les scénarios de prospective des finances publiques pour les autorités de Bruxelles.

Elle part d’un principe simple qui est le déverrouillage du nœud des contraintes en revoyant le rythme des dépenses, du moins, certaines d’entre elles.

L’Etat affiche « prendre sa part à cet effort » en appliquant au périmètre de sa propre dépense, au mieux, le rythme de la croissance et, demain, celui de l’inflation.

On notera au passage que l’année des municipales pourrait apparaître dans la ligne de cet objectif lorsqu’elle fait en réalité exception.

La baisse des concours européens en 2008 a en effet permis au gouvernement Fillion d’afficher une « progression 0 en volume » de ses dépenses courantes et un déficit prévisionnel du budget stabilisé à une quarantaine de milliards d’euros.

Cela ne tient nullement à une restriction du train de vie de l’Etat sur le périmètre qu’il contrôle.

A titre d’exemple, une des mesures phares d’économies mises en avant, c’est-à dire le remplacement partiel des départs à la retraite des fonctionnaires, ne produirait que moins d’un milliard d’euros d’économies en régime de croisière. La moitié serait « reversée » aux fonctionnaires en activité. Sur un total de près de 120 milliards d’euros consacrés aux charges de personnel, le gain est mince et hors de proportion des enjeux.

LA PORTE DE SORTIE : S’APPUYER SUR LES COLLECTIVITES LOCALES

Côté comptes sociaux, la tentative en cours de réforme de certains régimes spéciaux n’aboutirait simplement qu’à atténuer la dégradation d’autres branches dont la santé, peu propice à l’avenir à contribuer à la résorption des déficits publics.

Il ne reste plus à l’Etat qu’à chercher des marges de manœuvre du côté de l’autre grand acteur de la dépense publique pour parvenir aux exigences de Bruxelles : les collectivités locales.

Sa stratégie se reflète dans la progression récente et à venir de ses concours à toutes les strates des collectivités, c’est-à-dire un calage progressif sur l’inflation.

Il ne faut pas être grand clerc pour anticiper que l’indexation à venir de sa principale composante, la dotation globale de fonctionnement (DGF), pourrait être assise après 2008 sur l’inflation sans intégrer la hausse de la croissance comme c’est le cas actuellement.

La conséquence de la raréfaction de cette ressource qui constitue près de la moitié des recettes des collectivités serait de contraindre de facto à la baisse le rythme de la dépense locale. C’est le pari fait par l’Etat.

Ceci étant posé, l’Etat s’inscrirait une fois de plus en rupture du contrat qu’il a passé dès 1996 avec les collectivités en changeant les règles du jeu de leur financement.

L’IMPOSSIBLE REFORME DU SYSTEME POLITICO-ADMINISTRATIF FRANCAIS ?

Sur ce sujet, si tous les observateurs s’entendent sur la complexité du « millefeuille » politico-administratif français et les surcoûts qu’il induit, tous n’ont pas la même conception des réformes à conduire.

Par exemple, faut-il revenir sur la liberté de fixation des taux des collectivités en « dealant » en contrepartie avec les acteurs locaux la pérennité de leurs bases fortement amputées par les réformes récentes ? (3)

Pourrait-on considérer un pouvoir normatif des collectivités sur l’impôt local à l’instar des collectivités allemandes ou italiennes en échange d’une simplification ou d’une réduction de l’empilement des collectivités ?

Quelles marges de manœuvre se donne-t-on sur les compensations accordées aux collectivités en échange des décentralisations pour qu’elles ne donnent pas trop la part belle à la « dépense historique » sur les nouvelles politiques ?

A défaut de trancher ces questions essentielles, la stratégie portée par Bercy risque simplement d’amputer les capacités d’investissement d’un acteur essentiel de la dépense publique. Le secteur public local porte sept fois plus d’investissements que l’Etat pour une contribution au déficit dix fois moindre. Dans cette perspective de « redressement castrateur », la « révolution de la dépense publique » pourrait simplement se traduire par une régression sans la réforme...(4)

Et pour certaines d’entre elles, cet ajustement se ferait plus cruellement sentir que pour d’autres. Dès lors que la contrainte des ressources accordées par l’Etat aux collectivités se trouverait resserrée et que la politique de péréquation serait préservée, les collectivités les plus en ligne par les réformes à venir seraient les plus jeunes d’entre elles. C’est-à-dire celles dont la composante en dépenses nouvelles mais aussi en investissements est la plus forte : les régions et les intercommunalités.

Plus globalement, c’est tout le débat de l’efficience de la dépense publique qui pourrait se retrouver une nouvelle fois occulté par la sempiternelle bataille sur les volumes à porter par l’Etat et les collectivités.

Un jeu de vases communicants et de tuyauteries peu audibles pour les citoyens.


Notes : (1) On peut financer un certain temps ses investissements en ayant recours à du déficit mais on ne peut pas financer durablement ses dépenses de fonctionnement par de l’emprunt... (2) 16 milliards en tout quand les collectivités réalisent en année de croisière environ trois fois plus et moins de 3 milliards seulement en ne tenant pas compte des investissements militaires et des réalisations effectives. (3) La plus récente concerne le « plafonnement de la taxe professionnelle à 3,5% de la valeur ajoutée » des entreprises, dispositif qui consiste à n’appliquer la hausse de la fiscalité locale que sur une frange décroissante de la richesse locale imposable. (4) La baisse des investissements publics locaux fait partie des hypothèses retenues dans le rapport social et financier 2008, tome 1, page 90.



4 réactions


  • tmd 17 décembre 2007 12:20

    La définition des trois périodes, sur lesquelles repose la suite de l’article, ne sont que des considérations partisanes. Le reste de l’article n’est que le développement du programme électoral de l’auteur. Inintéressant au possible.


  • Internaute Internaute 17 décembre 2007 15:27

    La régionalisation est une erreur administrative qui aboutit à l’augmentation sans fin des impôts. La taxe sera prévelée à la fois au niveau central, au niveau régional et au niveau départemental. C’est inéluctable dans une démocratie où pour se faire élire les députés doivent faire des promesses aux électeurs en leur laissant croire que ce sont les électeurs des autres circonscriptions qui vont payer pour eux. Bien entendu le même discours est répété dans la circonscription d’à côté.

    La régionalisation est un anachronisme qui nous ramène au temps des ducs. Au point où l’on en est, dans trés peu de temps la grande réforme fiscale et démocratique sera l’avénement de la Ferme Générale ou quelques banquiers financeront les dépenses de l’Etat en échange du droit de prélever l’impôt comme ils l’entendent et sans contrôles.

    Merci, on a déjà donné sous l’Ancien Régime.


  • Jules Boncors Eric 17 décembre 2007 15:38

    Territoires, impôts, solidarité.

    Vous avez vu juste, cette réforme est effectivement envisageable.

    La question est de savoir si elle est souhaitable et comment elle s’appliquera.

    Il apparaît dans tous les cas salutaire que les collectivités locales soient responsabilisées sur l’argent qu’elles dépensent et que nous options pour l’un des deux systèmes possibles : l’autonomie financière des collectivités locales dans une logique d’équilibre des dépenses et des recettes ou la centralisation de l’impôt dans la main de l’Etat avec établissement d’une règle de répartition entre les collectivités.

    Le système actuel qui marrie un semblant d’autonomie fiscale avec une chasse effrénée aux co-financements et aux subventions me paraît sans avenir, a fortiori s’il s’applique sur un découpage territorial incohérent qui ne correspond pas aux bassins de vie.

    Dans un cas comme dans l’autre il faudra définir ce qu’est une collectivité riche a priori contributrice ou une collectivité relativement plus pauvre a priori bénéficiaire des transferts entre territoires.

    Cela nécessitera sans doute un bon système d’évaluation et un large débat national susceptible de faire émerger le consensus.

    Le cas de Paris me paraît tout à fait symptomatique à cet égard.

    Du temps de Chirac (l’ex maire de Paris...) Paris était riche et les communes de banlieue n’avait de cesse de le faire savoir.

    20 ans plus tard, la sociologie de Paris ne s’est guère modifiée, et la valeur patrimoniale des actifs de la ville de Paris et des parisiens n’a cessé de croître, pour autant la Ville de Paris n’hésite pas à en appeler à la solidarité de la Région et de l’Etat pour aider Paris à résoudre les problèmes sociaux qu’elle concentrerait.

    J’ai même cru comprendre que Paris avait dorénavant besoin de l’Etat, de la Région pour financer son programme de logements sociaux.

    Vu de ma province, ce renversement semble plus relevé d’une évolution des représentations que d’une réalité tangible, un parisien pourrait penser autrement, d’où la nécessité du débat et de l’évaluation.

    Une autre question transparaît sans doute au travers de la juste répartition des recettes et des dépenses entre l’Etat et les collectivités, il s’agit du caractère re-distributif des différentes fiscalités.

    On a l’habitude de dire qu’il existerait deux impôts re-distributifs : l’impôt sur le revenu et l’impôt sur la fortune.

    C’est sur cette base que l’on considère que seul l’Etat peut assurer la péréquation sociale, il ferait en effet plus payer les riches.

    La réalité me semble en fait un peu différente. La plupart des impôts locaux étant largement fondés sur la valeur locative des biens et donc en principe sur une partie de leur valeur de marché, ils constituent en réalité le plus gros prélèvement fiscal sur le capital et me semblent être à ce titre inégalement mais significativement re-distributifs.

    A l’inverse l’Etat, qui se trouve dans la situation d’endettement que Jean Marc Pasquet illustre très bien dans son article, redistribue la fortune hypothétique des enfants de la génération actuelle au profit de la dite génération.

    En conclusion, il me semble plutôt de bons sens de considérer les finances publiques dans leur ensemble (toutes collectivités confondues), et d’établir le meilleur équilobre possible entre recettes structurelles et dépenses et limitant au strict minimum la capacité de prélèvement des collectivités dans les caisses de l’Etat qui constituent à de rares exceptions prés la seule communauté structurellement déficitaire du pays.


    • Rage Rage 17 décembre 2007 23:36

      En voilà un article qui mériterait plus de commentaires !

      Vous avez raison : l’Etat VA se défosser sur les collectivités locales.

      Il le fait déjà via sa DGF en réduisant les marges de ressources propres des collectivités locales. Ces dernières devenant dépendantes, elles se lient à une mécanique qu’elles ne maitrisent plus.

      Mais l’exercice arrive à son terme. Si l’Etat - épuisé et endetté jusqu’au cou- se défausse sur les échelons territoriaux, l’action locale encore correctrice se tarira. Et là, on verra clairement l’effondrement du système.

      En 2007, tous les budgets pour 2008 ont été TRES tendus. Si on tire encore sur la corde, les budgets devront mettre à l’écart des pans entiers de politiques ou de personnels.

      Mais là où l’exercice devient mortel sans réforme sur le fondement même du nombre d’échelons territoriaux, c’est qu’en amenant toutes les structures à « budget 0 », on finance des machines à produire du rien.

      Il y a trop d’échelons, trop de structures, trop de parapublic, trop d’élus, trop de public tout court dans ce pays. Trop là où il en faudrait moins, mais mieux, et trop peu là où il en faudrait.

      On veut tout flinguer d’un coup sans se poser la question fondamentale du sens et des marges de manoeuvre des structures locales.

      Quelle est l’utilité et la légitimité d’un département aujourd’hui ? Des communes de moins de 3000 habitants ?

      Quelles sont leurs marges ? Pour faire quoi ?

      Les Régions et les Intercos sont les échelons d’avenir, les seuls pertinents qui doivent survivre et mutualiser les énergies.

      Fermer les yeux sur cette réalité - parce que la majorité des élus sont ruraux et attachés aux communes/départements - c’est se tirer une balle dans le pied. Agir pour ces échelons, souvent pour exister, c’est finir de se tirer dans l’autre pied.

      Enfin, du point de vue de la fiscalité locale, du mode de financement et passant par les financements croisés de projet et la lourdeur de toute action, on se tire dans les 2 bras.

      Pas étonnant qu’on soit scotché sur place à attendre la sacro-sainte vision qui change tout.

      Fiscalité locale, suppression d’échelons territoriaux... je l’ai toujours dit.


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