mercredi 11 février 2009 - par Bernard Dugué

Baisse de la production industrielle en France et ailleurs : Il est temps de repenser la société post-industrielle

Les chiffres sont tombés, la production industrielle française a chuté en décembre. Ce qui donne une baisse de 6.7 % sur le dernier semestre de l’année 2008, et de 9.3 % en prenant comme référence le quatrième semestre 2007 (source, Le Monde) Nos homologues européens, Allemagne incluse, ont vu aussi des chutes importantes dans la production industrielle. Même cas de figure aux Etats-Unis et au Japon. Parfois, les chiffres semblent impressionnants. Qu’en penser ?

Il ne faut pas s’affoler sur ces chiffres qui ne représentent pas un indice de l’activité économique mais juste le calcul de ce qui sort des usines de production. Par exemple, des meubles, des automobiles, des câbles, des stylos et même des montres. Une baisse de six points n’a rien d’extraordinaire. Car en fait, l’indice mesurant la production des biens et services dans un pays, c’est le PIB, chiffre intégrant une somme de paramètres sur des activités différentes. Si bien que la production industrielle ne représente environ le cinquième du PIB chez nous en France (et pour les Etats-Unis le chiffre serait d’un dixième) A titre de comparaison, la Bulgarie de 2006 avait une économie industrielle comptant pour un tiers du PIB, soit presque le double de pays comme La Grande-Bretagne ou la France. Ces données chiffrées évoquent le phénomène devenu classique de la désindustrialisation. Prenons l’Irlande du Nord ; la part de la production industrielle a été divisée par deux entre 1970 et 2000. La désindustrialisation est vécue par les pays et surtout les régions comme un drame social. On se souvient de la terrible grève des gueules noires sous le gouvernement Thatcher. Et de ce Nord français ravagé par les vagues successives de transformations économiques, bassin miniers, sidérurgie etc… Un regard aussi chez nos amis américains et la ville de Détroit récemment filmée par les reporters de France 2 présentant le phénomène comme inédit alors que dans les années 80, le délitement de quartiers entiers de ces grandes villes industrielles du Nord américain était avéré. Cleveland notamment. Population divisée par 2 entre 1950 et 2000.

Néanmoins, l’état de la production industrielle n’indique en rien le niveau de développement d’un pays. Une règle fixe à dix % le seuil en deçà duquel un pays est considéré comme parmi les moins avancés (on disait tiers monde avant). Or, au vu des évolutions, certains pays de l’OCDE pourraient bien tomber à ce niveau d’ici 20 ou 30 ans. Allons-nous devenir des pays du tiers monde ? Non, parce que la production industrielle n’est plus la mesure du progrès technique et économique. Pour faire simple, certains pays sont au stade préindustriel, comme l’était la France de 1800. Alors que d’autres pays, ceux de l’OCDE, sont passés au stade post-industriel. Le processus est presque universel. Une nation qui s’industrialise participe au commerce mondial, s’enrichit, et se prépare à passer au stade suivant. Pendant les années 1990, des pays comme Taïwan ou la Corée ont vu leur part industrielle dépasser celle des pays les plus riches. Cette tendance a fait l’objet d’un rapport de l’ONU dont le titre laisse entendre que la décennie 1990 est énigmatique. Maintenant, il semble que les choses soient plus claires.

Le développement de ce qu’on a appelé l’Occident, l’industrie, le progrès, les machines, a constitué une phase très courte dans l’Histoire de l’humanité. Disons de 1800 à 2000. Deux siècles. L’apogée du processus se situe autour des années 1980. Et l’infléchissement s’est produit vers 1990. A l’échelle planétaire, on a vu certains pays entrer dans la phase d’industrialisation et d’autres en sortir progressivement, Etats-Unis les premiers, puis Japon et Europe. La Chine a accomplie en quelques décennies un siècle d’industrialisation. Et elle peut clamer être devenue le premier pays constructeur d’automobile. Enfin pas encore mais elle est le premier marché d’automobile en 2008, autrement dit le pays où sont achetées le plus grand nombre d’automobiles, ce qui montre bien que la Chine est dans une phase industrielle poussée de type fordien, comme les USA de 1960. A côté, une grande majorité de pays n’arrivent pas à entrer dans le processus industriel. Avec une réserve sur ce que désigne ce mot de production industrielle. Quelques arbitraires et biais altèrent l’interprétation des données. Il faudrait être certain que tous les pays calculent de la même manière la part industrielle avec les mêmes critères.

L’humanité a connu plusieurs grandes étapes. Le passage dans la société agraire, puis le long développement de la société artisanale, rendu possible parce qu’une proportion croissante d’hommes furent dispensés de s’occuper à trouver la nourriture, alors que l’animal était dressé pour œuvrer dans les champs et que l’énergie non fossile alimentait les moulins. Ce qui nous amène au grand basculement de 1800. Le monde industriel va produire de plus en plus de choses non nécessaires mais qui le sont devenues pour le confort et le plaisir qu’elles procurent. Mais peu à peu, une autre société, dite tertiaire, se mettait en place. Les uns ont parlé de choc du futur, les autres de société post-industrielle ou alors de société des loisirs. Alain Touraine fut le premier à évoquer cette société post-industrielle, dans les années 1970, mais il n’est pas certain qu’il ait tout envisagé ni analysé en profondeur les ressorts d’un monde à venir.

En 2009, ce que nous pouvons dire, c’est que les biens industriels (au sens moderne) sont produits avec moins de travailleurs dans les pays avancées, tandis que les pays nouvellement industrialisés (Chine, Inde, Brésil…) subviennent pour fournir aux consommateurs des pays avancés des biens industriels. Et ce qui se passe ressemble à la transition avec l’agriculture. Qu’est-ce le système industriel sinon une culture artificielle effectuée dans les usines dont on récolte des fruits. Peu à peu, les citoyens des pays avancés sont dispensés de produire des biens industriels, comme ceux des époques anciennes l’ont été de produire de la nourriture (pensons à la fin du monde paysan) La vrai question, qui se pose à l’occasion de cette récession, c’est de se demander comment on passe de la société industrielle à la société suivante. L’étape précédente a attiré les paysans vers les villes (la Chine le vit en temps réel), parmi les fils et filles, l’un reprenait l’exploitation et les autres allaient travailler comme ouvrier. Les machines industrielles ont envahi les champs. Et donc, quelle est la place et le devenir pour tous ceux qui sont éjecté du système industriel ou ne peuvent y entrer parce que les emplois y sont trop peu nombreux ? Quels seront la forme et l’esprit de ce monde nouveau ? Comment gérer la transition humainement ? Comment relier ces faits avec la crise ? Avons-nous un Président à la hauteur, bien conseillé ?



8 réactions


  • Bernard Dugué Bernard Dugué 11 février 2009 11:21

    Bonjour,

    serait-il possible d’ajouter cette précision (à mettre en caractères standard mais explicité en gras cis-dessous) dans le troisième paragraphe


    La Chine a accomplie en quelques décennies un siècle d’industrialisation. Et elle peut clamer être devenue le premier pays constructeur d’automobile. Enfin pas encore mais elle est le premier marché d’automobile en 2008, autrement dit le pays où sont achetées le plus grand nombre d’automobiles, ce qui montre bien que la Chine est dans une phase industrielle poussée de type fordien, comme les USA de 1960

    Pour info, Lien vers le rapport de l’ONU sur l’étrange décennie


  • Robert Branche Robert Branche 11 février 2009 11:28

    Et donc, quelle est la place et le devenir pour tous ceux qui sont éjecté du système industriel ou ne peuvent y entrer parce que les emplois y sont trop peu nombreux ? Quels seront la forme et l’esprit de ce monde nouveau ? Comment gérer la transition humainement ? Comment relier ces faits avec la crise ? Avons-nous un Président à la hauteur, bien conseillé ?

    Enfin un article sur la situation actuelle et qui pose les bonnes questions !
    Ceci rejoint mes interrogations sur la transformation que nous vivons actuellement et la nécissté d’y faire face (voir notamment mon dernier article sur le sujet : "Arrêtons de faire un déni ded grossesse et faisons face à la crise")


  • plancherDesVaches 11 février 2009 15:45

    Cela fait 25 ans que je travaille dans l’industrie. Dans différents secteurs et j’ai un métier qui fait appel à quasiment tous les corps de métiers industriels, type grandes séries, comme à l’artisanat.
    Je pense que vous avez oublié une donnée importante, qui fait la différence parmi tout ce que j’ai pu acheter de par le monde, aussi bien en services qu’en matériel.
    Cette donnée, fondamentale pour qui veut pérenniser son activité propre, ou la fidélité de ses clients, ou ses achats personnels, est la notion de qualité.
    Et, tout ce que j’ai retenu de mes différentes expériences est que les pays asiatiques n’ont pas cette notion de qualité. Un peu au Japon, dans le haut de gamme. Et, comme toujours, on en a pour son argent.
    Je ne parle pas uniquement des scandales qui apparaissent au niveau du grand public, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Mais d’un point de vue général et industriel.
    Repenser une société afin qu’elle ne soit plus industrielle, pourquoi pas. Mais gâcher des savoir-faire, des implications dans le travail bien fait, sorte de fierté que certains jaloux qualifieraient de mal-placée, c’est une erreur grave.
    Alors, bien sûr, pourquoi faire de la qualité alors que nous sommes dans une société de consommation où cela fait bien de changer de voiture tous les 3 ans.. ?
    Invoquer l’aspect coût, allons-y. Surtout pour les voitures tiens. Ce sont les coûts exorbitants des pièces (marché verrouillé) ainsi que de main d’oeuvre qui vont vous pousser à changer plus vite.
    Et bien je préfère quelque chose de qualité et qui soit un investissement.
    D’ailleurs, la qualité industrielle allemande est bien connue... la France aurait pu garder une industrie tout aussi reconnue.
    Devenir une société de services, de tourisme ou de ... penseurs.
    En tant qu’ingénieur, je peux le faire. Mais regardez ne serait-ce que les transferts de technologie. Ca n’a qu’un temps. Le tourisme, c’est lorsque les autres pays ont du pouvoir d’achat. Penseur ou philosophe, ça se vend...pour l’instant.
    La seule vraie création de richesse durable est l’industrie, vous le savez.


  • Tzecoatl Tzecoatl 11 février 2009 17:03

    C’est bien joli de désindustrialiser, d’ailleurs, cela s’est fait à coup de dumping.

    Et pour reprendre l’univers pink-floydien de l’image de l’article, "qu’utiliserons-nous pour remplir les espaces vides" ("What shall we use to feel the empty spaces") ?

    Bon, une bonne réglementation inutile pour créer des emplois nouveaux, et surtout propres, et youp la boom, on peut caser le petit-fiston du gendre de la belle-mère.

    Il n’empêche que l’industrie n’a pas détruit l’agriculture, les services ne détruiront pas toute industrie. Et ce n’est pas la pléthore médiatique, informatique ou de services à la personne qui a résolu moultes crises existentielles d’individus qui satisferont les emplois du temps sous-chargés des quelques millions d’inactifs actuels, ni de ceux à venir.



  • JONAS JONAS 11 février 2009 22:34

    @ L’Auteur et à tous :

    C’est beau les délires !

    Cette crise qui met en péril toutes les industries et tous les commerces, est un gigantesque coup de frein, voulu par les pays Occidentaux, car nous sommes au bord d’une catastrophe globale planétaire.

    Ces Messieurs en sont à calculer, combien de kilos de fer, de cuivre, de plomb, etc. . Pour faire vivre un homme dans un confort relatif…. !

    Combien de kilos de blé, de riz, etc. Pour qu’il ne meure pas de faim et ne se révolte pas.

    Vous êtes complètement à côté de la plaque…. !

    L’équation est impossible, nous sommes trop nombreux !  smiley

    Alors, la baisse de production c’est malheureusement l’avenir avec tous ses corollaires, chômage pauvreté, etc.  smiley

    Notre avenir, c’est le partage de la pauvreté et la rançon de l’humanisme qui devient mondial, avec la mondialisation.

    C’est bien ce que veulent certains depuis des décennies, nous y sommes… ! smiley

    Ce n’est pas pour autant que d’autres ne resteront pas riches, car dans le commerce des échanges et des transactions pour assister les pauvres, nombreux sont ceux qui feront " leurs beurres ".  smiley

    Bonne nuit….

     

     

     


  • John McLane John McLane 11 février 2009 23:30

    Je "plusse" cet article car il m’a donné envie de réécouter Animals de Pink Floyd.


  • verbre verbre 12 février 2009 11:28

     Bof, pas très nouveau tout ça.


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