vendredi 14 mars 2008 - par creditgirl

Big Brother et le crédit

Le fichier positif fait débat : avantages et inconvénients.

Le fichier positif encore dénommé « centrale positive » est un fichier central regroupant des informations à la fois « négatives », telles que les incidents de paiement comme les recense déjà le FICP par exemple, mais aussi des informations « positives » comme les caractéristiques de tous les crédits souscrits par une personne et la composition de son patrimoine, entre autres. Les Etats-Unis et huit Etats européens ont mis en place de tels fichiers avec des différences notables de contenu et d’accès sans éteindre la controverse. Les évolutions récentes démontrent toutefois une tendance à l’élargissement des contenus et à l’ouverture à d’autres secteurs d’activité que la sphère financière.

L’idée d’un tel fichier est très loin de faire un consensus en France, que ce soit dans les milieux professionnel, associatif, syndical, politique ou étatique. Même hors des projecteurs de l’actualité, le débat est récurrent depuis de nombreuses années sans aboutir.

Les argument (avoués) des tenants du fichier positif en France sont la lutte en amont contre le surendettement individuel et une démocratisation des conditions d’accès au crédit grâce à une objectivité plus grande que les méthodes alternatives de sélection des risques actuellement employées par les établissements de crédits, autrement dit une remise en cause de la technique du score jugée opaque, inéquitable et trop rigoureuse. Accessoirement, ils invoquent les perspectives d’intégration européenne des services financiers et la « bonne image » d’un tel fichier dans le public. Cet a priori favorable des Français n’est guère étonnant dans un pays culturellement habitué au flicage.

A ceux-ci, je rétorque que :

- La cause principale du surendettement étant les accidents de vie, un tel fichier qui ne permet pas de les prévenir n’y changerait rien. Par ailleurs, les acheteurs compulsifs représentent une infime minorité des endettés. Sur ce terrain, les expériences étrangères ne sont d’ailleurs pas concluantes ou leur efficacité n’est pas encore avérée.

- Les crédits sont loin d’être la seule source de dettes des ménages français.

- La finalité du fichier positif ne pourrait être atteinte qu’à la condition d’établir une norme d’endettement, car il serait désastreux économiquement parlant et socialement injuste de laisser les tribunaux, dont ce n’est pas la vocation, la fixer comme cela est le cas actuellement. Qui la fixera et comment sera-t-elle fixée ? Quelles en seront les conséquences sur l’accès au crédit ?

- Un surcroît de prudence dans l’attribution des crédits nuirait à la consommation et donc à la croissance alors que le niveau d’endettement des Français est l’un des plus bas des pays de l’OCDE et que la tendance actuelle est au désendettement (le surendettement reculant même un peu depuis deux ans ).

- La connaissance des capacités de remboursement d’un consommateur à un instant T ne présume en rien de sa solvabilité qui dépend de ses habitudes de consommation et de son rapport à l’argent. Des situations jumelles à un moment donné peuvent évoluer très différemment, l’une vers l’équilibre et l’autre vers le déséquilibre budgétaire.

- Le fichier positif risque d’être détourné de sa vocation en facilitant le démarchage des sociétés de crédits qui identifieraient ainsi aisément à la fois les consommateurs peu endettés pour les inciter à souscrire d’autres crédits et, dans un premier temps, les consommateurs trop endettés pour les inciter à souscrire un rachat de crédits. Bref, ce fichier permettrait un profilage économique.

- Le fichier positif risque de favoriser la pénétration du marché français par les établissements de crédits européens.

- Le fichier pourrait voir ses informations s’étendre à des données financières, patrimoniales et personnelles excédant les seuls crédits souscrits et s’ouvrir à d’autres utilisations attentatoires aux libertés individuelles.

- Le fichier positif renforce la société de surveillance vers un contrôle absolu des faits et gestes de la population où technicité et statistiques primeront sur les valeurs humaines.

- Le fichier positif porte ainsi gravement atteinte à la vie privée.

Sur ce dernier point très sensible qui est sa raison d’être, la CNIL qui a déjà refusé la création d’une base de données centralisée sur les crédits aux particuliers, estime que les exemples étrangers montrent la difficulté à contenir les centrales positives dans des limites garantissant les droits des personnes et la nécessaire protection de la vie privée.

Il est clair qu’une fois cette centrale positive mise en place, il sera très difficile de revenir en arrière. Personne n’est aujourd’hui en mesure de prédire les usages qui seront faits des données collectées. Il m’apparaît prudent, face à un processus irréversible empiétant sur nos libertés individuelles, d’appliquer notre fameux « principe de précaution ».

J’ajoute que, même en supposant que l’on puisse régler les problèmes techniques liés à son extrême lourdeur et trouver le financement d’un tel projet dont le coût est astronomique, le fichier positif est disproportionné aux finalités avancées. Les risques sont bien plus grands que les bénéfices escomptés. Pour moi, le fichier positif est un dynamitage de notre sphère personnelle. Le fichier négatif qui existe déjà porte moins atteinte à la vie privée tout en alertant les établissements de crédits dès le deuxième incident de paiement survenu sur un crédit. Je pense également que la déresponsabilisation des acteurs du crédit serait contre-productive. Les consommateurs ont un devoir de sincérité dans leurs déclarations et les établissements de crédits ont le double devoir d’étudier exhaustivement les situations individuelles de ceux qui les sollicitent pour obtenir un crédit ou un rachat de crédits, et de mise en garde. La notion européenne de « crédit responsable » me semble infiniment plus porteuse que le « credit history » américain et plus conforme à notre culture.

Le rachat de crédits qui, soit dit en passant, est beaucoup plus développé dans les pays anglo-saxons où il existe des centrales positives qu’en France où il n’en est quasiment qu’à ses débuts, est un outil efficace de correction du malendettement. Son succès récent chez nous et les premiers résultats enregistrés à ce niveau sont encourageants et, par une meilleure information du public, l’avenir du rachat de crédits est assuré sans qu’il y ait besoin du coup de pouce du fichier positif.

Je terminerai sur ces paroles d’Emile Chartier dit Alain (1868-1951) : « Il est remarquable que l’amour de la liberté suppose une haute idée de l’homme, et, en effet, l’argument le plus fort du despote est que les hommes font les fous dès qu’ils se sentent libres. C’est donc une chance rare pour vous, leur dit-on, d’être bien bâtonnés. Ce que j’admire, c’est qu’ils semblent quelquefois le croire. »



17 réactions


  • tvargentine.com lerma 14 mars 2008 11:46

    Permettez moi aussi ici d’affirmer que j’ai voté pour la publication de cet article en tant que rédacteur d’Agoravox.

    Cet article apportera beaucoup d’information aux lecteurs et c’est un +

     


    • Djanel 14 mars 2008 12:56

       

      Lerma

       

      .

       

      Vous ne ratez aucune occasion de vous taire. Vous vous êtes toujours plaint de la censure des autres rédacteurs et aujourd’hui vous vous vantez d’être censeur en chef. Mais quelle promotion. Quelle fierté ! Quel pouvoir vous avez acquis ! Vous allez bientôt pouvoir interdire Morice de publier. Je suis certain que vous justifierez ces interdictions comme vous venez de le faire en autorisant cet article. Pauvre de nous d’être désormais obligé de faire sa cour à lermaphrodite.

       

      Lerma vous êtes le pus beau, le meilleurs censeur censé d’AVox. Voilà qui est fait.


  • Ceri Ceri 14 mars 2008 12:49

    c’est sur qu’un tel fichier relève de la technique du peid dans la porte : on va nous dire que c’est pour les crédits, puis ce sera tout le comportement bancaire de tout le monde qui sera relevé et analysé. Et qui aura accès à ce fichier ? Est-ce que ca sera centralisé etc ?

    En cemoment il y a des fichiers pour tout : même les enfants de maternelle sont fichés, et le mieux c’est qu’on sait qu’il y a une large part d’erreur dans les données consignées (cf. fiches des RG avec environ 30% d’infos erronées).

    "Un surcroît de prudence dans l’attribution des crédits nuirait à la consommation et donc à la croissance alors que le niveau d’endettement des français est l’un des plus bas des pays de l’OCDE et que la tendance actuelle est au désendettement ( le surendettement reculant même un peu depuis deux ans )."

    Par contre là je suis sceptique, est-ce qu’on peut faire tenir la consommation artificiellement en poussant les gens à s’endetter comme aux Etats Unis (130% d’endettement des ménages) ? Si les salaires n’augmentent pas c’est criminel de pousser lesménages (et les Etats) à l’endettement (comme le suggèrent les idéologues fous de l’Institut Montaigne), ça profite seulement aux banques.


  • TSS 14 mars 2008 13:12

    on s’en fout Lerma que vous soyez redacteur !!

    c’est toujours les plus lèche c.. ! qui ont les meilleurs postes ...


  • tvargentine.com lerma 14 mars 2008 13:21

    @Djanel @TSS

    On lisant vos "commentaires" nous lisons votre conception réductrice de la démocratie et du débat d’idées

    Vous considérez un antisémite,revisionniste comme MORICE comme digne d’etre publié et vous rejeter des articles comme celui ci

    Cela démontre que nous devons etre vigileant et ne pas tomber dans la démagogie populiste et réactionnaire

    Oui je suis fière d’avoir voté pour le droit à l’information pour tous

     

     


    • nick 14 mars 2008 13:32

      et moi je suis ravi que tes propres articles ne soient pas publiés...vu leur qualité...

      cela reflète t-il ma conception réductrice de la démocratie et du débat d’idées ?


    • Djanel 14 mars 2008 14:49

       

      Lerma

       

      .

       

      Vous diffamez lorsque vous dites que Morice est antisémite. Apportez nous la preuve de ce que vous affirmez. Qu’est-ce que le mot révisionniste veut dire ? Il révise quoi Morice ? Ce que vous dites, n’est qu’un acharnement à nuire à la réputation d’un auteur accablé par une escouade de diffamateur dont vous vous êtes un des chantres. Je demande l’exclusion de Lerma du comité de rédaction pour insuffisance intellectuelle car plus bête que lui vous mourez. Comment se fait-il qu’un imbécile comme lui survive sur AVox s’il n’est pas lui-même un rentier ?

       

      Il faudrait rentrer dans le sujet de cet article fort intéressant qui a été rédigé par une femme ce qui est assez rare sur AVox et en plus, c’est un l’avis d’une professionnelle. La création d’un tel fichier est préjudiciable pour les citoyens parce que les ordinateurs de plus en plus puissant ne perdent rien en mémoire. Ainsi les banquiers en consultant les archives pourront savoir que dans votre passé, vous n’aviez pas honoré une dette sans que les circonstances ne soit décrites puisque ces informations n’ont qu’une valeur de statistique. Vous serez donc jugé et rangé dans la catégorie des mauvais payeurs sans que vous pussiez vous en défendre puisque vous n’êtes pas censé savoir ce que contient cette base de données. Adieu la maison que vous vouliez acheter et bonjours les regrets d’avoir perdu à un moment de votre vie votre solvabilité qui fait de vous un mauvais payeur pour l’éternité. Snif, snif,snif…


  • c.d.g. 14 mars 2008 14:54

    @auteur Article tres bon ! Juste une question : « Les crédits sont loin d’être la seule source de dettes des ménages français » Quelles sont les autres sources de dettes. J avous que j ai du mal a imaginer de faire une dette sans faire un credit ...

    C est sur qu un tel fichier sera utilise a terme pour autre chose. C est trop tentant. Apres tout c est ce qui est arrive a fichage ADN des criminels.

    On commance par les pedophiles et un jour on sera comme en GB avec plus de 25 % de la population dans la base de donnees


  • creditgirl creditgirl 14 mars 2008 16:26

    Vous n’avez pas tout à fait tort, bien que ce n’était l’objectif poursuivi.

    Je tiens simplement à contribuer au débat sur le fichier positif qui transcende tous les clivages, y compris professionnels. En effet, il existe des établissements de crédit et des intermédiaires en opérations de banque qui voient dans ce fichier une formidable opportunité de proposer de manière ciblée des opérations de rachat de crédits aux cinq millions de personnes qui seraient susceptibles d’y recourir en fonction de leur situation d’endettement actuel sans pour autant qu’elle soit insuppportable et évidemment de proposer des crédits à ceux qui n’en aurait "pas assez". Je ne fais partie de ceux là, vous l’aurez compris.

    Cordialement.


  • Charles Bwele Charles Bwele 15 mars 2008 16:49

    @ l’auteure

    Vivant et travaillant dans plusieurs pays anglo-saxons, cette phrase suscite mon interrogation : "Le fichier positif risque de favoriser la pénétration du marché français par les établissements de crédits européens."

    En quoi la concurrence bancaire intra-européenne serait-elle un mal ?

    Merci pour cet article remarquablement et clairement débatteur. Reécrivez souvent dans ces pages.

    Amicalement


    • creditgirl creditgirl 15 mars 2008 17:22

      Merci pour votre appréciation.

      Je n’ai pas voulu sous entendre que la concurrence internationale en matière de crédit serait un mal, loin de moi une telle pensée !

      Simplement, la conjugaison de la mise en place d’un fichier recensant des millions de consommateurs français peu endettés et donc susceptibles de souscrire des crédits, notamment de trésorerie, avec l’ouverture du marché financier européen dont la majorité des états connait un endettement des ménages bien plus élevé risque d’avoir pour effet d’excacerber cette concurrence.


    • Charles Bwele Charles Bwele 15 mars 2008 22:10

      En effet, vous avez tout à fait raison. Je n’avais pas du tout vu les choses sous cet angle. Cette concurrence voire cette dérégulation éventuelle pourrait de surcroît compliquer les choses en amoindrissant la rigueur et les normes dans les critères d’attribution de crédits, et rebooster de facto le cercle vicieux du surendettement...

      Pour ce qui est de l’invasion de la vie privée en général, il vaudrait mieux s’y habituer, car comme je l’ai écrit dans Terminal Staline (publié ici), nous n’y pourrons pas grand-chose... et ça fout les jetons.

      Dans une certaine mesure, les Français vous êtes encore bcp moins technosurveillés que les Britanniques ou les Américains. Aux US, les douanes perquisitionnent de plus en plus les ordinateurs portables et les mobiles des voyageurs... Cf mon article " Passeport, mot de passe et code PIN SVP !".

      Bref, des digues éthiques ont été franchies depuis longtemps, depuis 2001 en fait... l’Europe continentale n’y coupera pas !

      Amicalement et re-merci pour vos éclaircissements.



  • Mr Burns 15 mars 2008 18:44

    En tant que banquier, je pense qu’une telle base de donnée n’a que peu d’intérêt pour lutter contre le surendettement.

    De mon expérience professionnelle, je tire deux principales causes au surendettement :

    - les accidents de la vie dont vous avez parlé (chômage, divorce,...)

    - le manque de professionnalisme et l’irresponsabilité de certaines banques.

    Contre la première cause, on ne peut pas grand chose si ce n’est d’inciter un client à épargner régulièrement pour se forger un matelas de sécurité et de ne pas accorder de crédit quand la situation est trop limite.

    En ce qui concerne la deuxième cause, je pointe la responsabilité des institutions financières qui ne font que du crédit à la consommation tel que SOFINCO et CETELEM par exemple. Ces banques, contrairement aux banques traditionnelles, ont une politiques de volume à tout prix c’est à dire que leur analyse des demandes de crédit,leur réflexion sur le motif de la demande et ses conséquences sont très sommaire.

    En gros, ils se disent que sur le volume de crédit qu’ils traitent, ils peuvent se permettre d’avoir de la casse, ce qui ne les empêche pas d’aller jusque au bout de toutes procédures "amiables" et de procédures judiciaires à l’encontre des personnes qu’ils ont poussées dans le surendettement. 

    Je pense que le banquier qui a dit "oui" à une demande de crédit inopportune est aussi responsable que le débiteur.

    Quant au thême du rachat de crédit, je pense que les sociétés qui s’en font une spécialité n’ont pas de grande plus-value à apporter. Il est possible de trouver des solutions avec son conseiller : allongement de la durée, regroupement de crédits... Toutes les banques traditionnelles ont la possibilité de mettre en plae de telles solutions. J’ai eu l’occasion de le faire moi-même à plusieurs reprises pour des clients en difficulté.

     

     


    • alceste 20 mars 2008 09:14

      à Mr Burns

      Dans un débat précédent sur le surendettement, j’avais émis l’idée que les banques pouvaient conseiller sagement et prudemment leurs clients les plus vulnérables, et j’apprécie votre point de vue sur le sujet.

      Une chose me tracasse, cependant : vous opposez les banques professionnelles et responsables à ces organismes voraces et peu scrupuleux sur le plan moral que sont Cetelem et Sofinco. Ayant peu de connaissances sur ces organismes de prêt, j’ai consulté Wikipédia et j’ai vu que Cetelem était une filiale de la BNP et que Sofinco était une filiale du Crédit Agricole. J’avoue que je ne sais plus trop qu’en penser...


  • Roland Verhille Roland Verhille 15 mars 2008 19:13

    Merci à l’auteur de s’insurger contre la publication par les banquiers des crédits qu’ils ont consentis à un particulier. Autre chose est la publication des crédits obtenus par les entreprises commerciales.

    Les libertés individuelles sont grignotées de tous les côtés et continument.


  • Vincent V. 26 février 2014 18:00

    Bel article sur le fichage des personnes et leurs difficultés pour trouver ensuite un crédit ou un rachat de crédit pour diminuer leur dettes.

    Je ne savais pas que dans les pays anglo-saxons le rachat de crédit était plus répendu qu’en France.



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