Ce que le Japon dit de notre « impasse budgétaire »
Lundi, la Cour des comptes a publié une note sur « la situation et les perspectives des finances publiques ». Par-delà les questions que pose la date de publication de cette note, qui n’a pas pu embarrasser l’équipe sortante avant les élections, c’est un condensé de la pensée molle et conformiste qui échoue depuis des décennies en France. Pourtant, un pays a montré qu’il était parfaitement possible d’échapper à l’austérité, à condition de maîtriser sa politique monétaire : le Japon.
Un faux problème rendu réel par l’euro
A tous les perroquets austéritaires qui veulent poursuivre l’appauvrissement des services publics et le recul de la solidarité nationale, beaucoup d’arguments pourraient être opposés, si tant est qu’on donnait la parole à des penseurs non conformistes. D’abord, on pourrait opposer que cela fait des décennies que nos dirigeants veulent atteindre un déficit de 3% du PIB, que cette quête semble sans fin, et que l’augmentation du niveau de la dette publique se poursuit. On pourrait en tirer deux conclusions. D’abord, que les effets pervers de l’austérité contribuent, relativement paradoxalement, à creuser les déficits et la dette, en asphyxiant nos économies et en paupérisant les Français, ce qui pourrait pousser à changer de logiciel. De plus, cela relativise grandement les cris d’alarme de l’Ifrap et compagnie, qui n’étaient pas moins alarmistes en 2013 et nous annonçaient la quasi faillite sans changement de cap.
Le niveau des déficits et de notre dette ne semble guère impressionner les marchés, qui continuent de prêter largement à la France, sans sembler véritablement se soucier d’un quelconque risque. La hausse des taux des deux dernières années a surtout à voir avec le rebond inflationniste temporaire orchestré par le mécanisme fou de fixation du prix de l’électricité dans l’UE. L’explosion des factures de cette ressource si fondamentale pour nos économies a été aggravée par l’effet d’aubaine que cela a créé pour des multinationales en position de force sur leurs marchés, qui en ont profité pour augmenter les prix au-delà de leurs coûts, et gonfler plus encore leurs profits. La BCE, avec son mandat à courte vue, a remonté plus que de raison et brutalement les taux, créant un renchérissement préoccupant du coût de la dette publique dans toute l’Europe, refusant de voir que la hausse de l’inflation n’était que conjoncturelle…
Normalement, nos pays ne devraient pas s’inquiéter de la situation. En effet, la décennie 2010 nous a permis d’expérimenter une monétisation des dettes publiques raisonnable mais décisive, y compris dans la zone euro. Début 2022, plus du quart de notre dette publique, à l’époque 741 milliards sur 2813, était détenue par la Banque de France (671) et la BCE (70). Ce faisant, cette dette est parfaitement virtuelle puisqu’elle revient à détenir une créance sur nous-même et les intérêts que nous payons sont payés à nous-même… En clair, la situation n’est pas aussi inquiétante qu’elle n’en a l’air sur le front de la dette publique. Plutôt que parler des plus de 3000 milliards de dettes publique, nous devrions parler d’environ 2400 milliards de dette publique nette, sensiblement sous les 100% du PIB. Tout le problème est qu’aujourd’hui, la monétisation des dettes publiques de la zone euro a été stoppée et que certains poussaient même à une revente de ces titres par les banques centrales, sans que rien ne justifie cela pourtant.
En outre, un cas montre qu’il est possible de mener des opérations de monétisation encore plus importantes : le Japon de Shinzo Abe. En 2012, ce pays affronte une dette de plus de 200% du PIB et un déficit budgétaire bien plus important que le nôtre (9,8% du PIB sur cette année). Le pays cherche également à lutter contre la déflation produite par une demande intérieure trop faible. Le Premier ministre décide alors de mener une politique massive de rachat de la dette publique par la Banque du Japon, à hauteur de plus de 10% du PIB tous les ans depuis. Même si cela est ignoré par les grands médias, aujourd’hui, largement plus de la moitié de la dette publique du pays (250% du PIB) est détenue par la banque centrale, ce qui signifie que la dette nette du pays est finalement proche de celle des pays européens. C’est une voie originale de désendettement, qui n’a pas produit de dérapage inflationniste, ce qui a probablement décidé les pays européens à pratiquer ce type de politique il y a quelques années, à moindre échelle.
Par-delà la révoltante absence de débat sur cette question économique fondamentale, même si nous avons vu qu’il était possible de mener une telle politique dans la zone euro, bien des questions se posent. En effet, si le Japon a pu mener cette politique, c’est aussi parce qu’il a sa monnaie, et une banque centrale qui suit les décisions du gouvernement. Dans la zone euro, mener une telle poltique suppose non seulement l’accord des autres pays, mais aussi des technocrates de la BCE… En outre, il est absurde de vouloir mener la même politique monétaire dans un ensemble aussi hétéroclite. Si les Allemands ne voulaient pas monétiser, cela devrait être leur seul choix. Mais si les Italiens et les Français le souhaitaient, alors, nous devrions pouvoir mener cette politique de désendettement à bon compte, quand elle est bien mesurée. Il est évident que les besoins de Berlin ne sont pas ceux de Rome et de Paris.
Revoilà les vices de forme de cette monnaie unique. Le plus petit dénominateur commun est une politique bien trop austéritaire et sortie du cadre démocratique. Plutôt que répéter les politiques qui ont échoué depuis 40 ans, nous pourrions suivre l’exemple du Japon, nous désendetter, tout en relançant les investissements publics. Mais pour cela, il faudrait non seulement quitter la monnaie unique européenne, mais aussi rompre avec la prétendue indépendance des banques centrales