lundi 13 mars 2006 - par Philippe

Changeons de regard, et la prospective nous sourit

Nous sommes enfermés dans un regard du passé qui nous aveugle sur le présent et sur l’avenir. Cette réflexion propose de changer notre regard sur les Français consommateurs et acteurs, pour enfin changer de notre logique qui nous enferme.

Nous autres, Français, avons bien ri lorsque les Anglais, à la création de l’automobile, faisaient courir un homme agitant une cloche devant un véhicule automobile pour prévenir poules et passants. C’était le principe de précaution avant la lettre ...

Aujourd’hui, il n’y a plus de précaution qui tienne[1] si l’on veut rester dans la course. Le monde est bipolaire : d’une part les Etats-Unis et le monde occidental, d’autre part la Chine et le monde asiatique. Les « non-alignés » de 2006 (Russie, Brésil, Iran...) tentent bien d’exister. Ce monde bipolaire se caractérise par une souplesse d’adaptation et une force de frappe impitoyable. Qui aurait cru, en 2000, que IBM ne fabriquerait plus d’ordinateur, que Dell serait le n°1 mondial, que Apple serait un industriel de la musique, et son créateur et patron principal actionnaire de Disney[2] ?

« La logique du chauffeur de taxi »

Dans ce monde bipolaire, nous devons si possible développer une logique adaptée, l’inverse de ce que j’appelle « la logique du chauffeur de taxi », caricature des erreurs françaises qui s’applique très bien au commerce français. Il y a aujourd’hui 10% de taxis en plus à Paris qu’en 1960, c’est la loi qui protège cette profession. Lorsque le pouvoir d’achat stagne, la profession réclame une hausse de ses tarifs car ils sont régulés. Lorsque la hausse est acceptée, le chiffre d’affaires monte un temps, puis le nombre de clients baisse. Et ainsi de suite. Et chaque utilisateur potentiel de taxi de se plaindre de ne jamais trouver de taxi... Il ne vient à personne l’idée de multiplier les taxis par deux et de diviser d’autant le prix de la course, pour que prendre un taxi relève d’un réflexe naturel en multipliant l’offre et la demande et occuper ainsi de larges couloirs déserts !

C’est pourtant ce qu’a fait le commerce alimentaire français dans les années 1950 et 1960 en vendant plus et moins cher, développant ainsi un modèle français gagnant, jusqu’à ce que des lois successives limitent puis cassent l’élan, et enfin le fragilisent. Notre cartésianisme est aujourd’hui à rude épreuve, aussi bien dans les lois qui régissent le commerce et l’industrie que dans la compréhension du consommateur.

« La consommatrice n’est plus celle que vous croyez »

Appliquons l’inverse de « la loi du chauffeur de taxi » à la compréhension du consommateur.

  1. Le consommateur ne court pas après le prix le plus bas, mais après le rapport temps d’achat/choix/prix le plus efficace. Il n’est pas plus bête que nous  ! Pour un produit banal, il va au plus court et au moins cher.
  2. Le consommateur ne court pas après l’hyperchoix mais après le choix intelligent. En fonction du lieu où il se rend, il attend le choix adapté[3]. Pour caricaturer : à une heure de voiture il accepte de choisir pendant une heure, à cinq minutes il choisira pendant cinq minutes. L’hyperchoix stress fait craindre pour l’avenir, est une perte de temps.
  3. Le consommateur ne dé-consomme pas, il veut mieux consommer. C’est tout simplement la recherche du rapport temps d’achat/qualité/prix/image. Pourquoi payer plus cher ce qui est moins cher et absolument comparable ?
  4. Le consommateur n’est pas alter-consommateur, mais consommateur de produits alternatifs. Le produit qui présente un authentique choix envers le référent satisfera son besoin d’individualisme.
  5. Le consommateur n’est pas infidèle ou versatile, il est exigeant. Il reste fidèle à la marque mais peut ne pas l’acheter si son différentiel qualité/prix/image n’est pas perceptible. Il peut n’être fidèle à aucune marque. Et pourquoi devrait-il l’être, lorsque chaque marque veut le séduire avec surenchères d’arguments et de produits très proches ?
  6. Le consommateur ne comprend pas mal le produit ou l’entreprise mais il décode sa communication. La publicité et le marketing font partie des rubriques « décryptage » des médias. Il faut approcher et parler différemment au consommateur.

Le consommateur - comme vous ou moi qui voulons prendre un taxi - est intelligent, réfléchi, calculateur et s’autorise des pulsions, des coups de cœur, des folies ... et il n’est pas facile à suivre !

Le commerce : de la bobine au sablier

En face de ce consommateur « difficile à suivre » - en fait simplement logique- le commerce symbolise la rigidité même due à des investissements lourds et par nature figés[4], une législation contraignante[5], des certitudes mal placées, alors que toute l’économie se dirige vers la souplesse d’adaptation. Bien que le commerce soit par nature en perpétuelle évolution, si le commerce français devait se créer aujourd’hui, sans aucun doute, ni par sa taille ni par ses implantations il ne serait ce qu’il est. Voici trois premiers thèmes de réflexion pour analyser le commerce et le reconstruire :

  1. la surface : plus une surface est grande (au-delà de 10 000 m² que ce soit en alimentaire, bricolage, meuble, textile...), plus elle est fragile car le consommateur est rassasié et la largeur ou la profondeur du choix n’y fera rien. Il faut la réorganiser, sans scrupule.
  2. la segmentation : le consommateur segmente ses achats selon qu’ils sont fonctionnels, personnels ou familiaux/amicaux et fréquente les commerces en conséquence. L’achat fonctionnel sera avant tout rapide, l’achat personnel sera à ses heures libres, l’achat familial/amical sera aux heures conventionnelles dans un lieu adapté.
  3. le temps : une grande surface de vente n’est acceptée que si elle est un authentique capteur de temps, que si elle justifie le temps que l’on y passe. A l’inverse, les hard-discounters ont comme principe de base la rapidité du temps d’achat. En principe, les villes sont de bien meilleurs capteurs de temps que les centres commerciaux.

Le commerce est passé de la bobine (haut de gamme, milieu et bas de gamme) au sablier. Le sablier s’appuie sur 2 critères, le temps et le nombre de références, offre et temps réduit, face à offre et temps large :

  1. le temps : c’est temps d’accès au point de vente, temps d’achat et/ou de détente et temps d’encaissement. Pour un hard-discounter, le temps d’accès entre la route et la surface de vente est souvent inférieur à 2 minutes, plus de 10 minutes en super ou hypermarché.
  2. l’offre : une référence par m² en hard-discounter, 15 chez Monoprix. L’hypermarché en a 10/m². Le temps d’achat moyen est d’une référence par minute en hard-discount, 2 minutes en hyper. Par ailleurs, plus un commerce a de références, plus sa gestion du stock et de l’aménagement coûte.

La même approche est valable en textile, bricolage, électroménager, etc. Ces deux critères expliquent sans doute en partie le succès d’Internet (9 Md€ en 2005) dont 1 Md€ pour la seule vente de billets SNCF - ce qui relativise le succès du e-commerce, certainement pour le seul critère temps...

Changer de logique

Face à un consommateur insaisissable et à un commerce rigide, les marques s’inquiètent. Le jeu de la prospective est de changer le regard des choses. Voici trois propositions de regards différents, de logiques différentes :

  1. Comment va le consommateur ?

D’après une étude Challenges/CSA (Challenges du 12 janvier 2006) 61% des Français sont plutôt heureux[6] et 72% pensent que les Français sont plutôt pas heureux, donc trivialement « moi ça va, merci. La France ? Pas fort ». Or, c’est le chômage qui est « plus que jamais en tête des préoccupations »[7] faisant que les deux phases de tension, « le référendum sur la constitution européenne et les violences urbaines de novembre ont laissé peu de places apparentes dans la hiérarchie des préoccupations »[8]. Donc globalement, les consommateurs vont bien, merci !

  1. Comment approcher le consommateur 2006 ?

C’est une banalité de dire que le consommateur a changé[9] et vit différemment, c’est donc une évidence qu’il doit être étudié différemment. A famille recomposée correspond consommateur recomposé, car si on refait sa vie, on refait souvent sa consommation, et l’âge n’est plus un critère déterminant.

Pour étudier le consommateur d’aujourd’hui, il faut séparer les solos (vivent seuls absolument) des monos (vivent seuls parfois, soit avec un compagnon, soit avec le ou les enfant(s) ou petit(s)-enfant(s) et des duos (couples vivant seuls ou avec des enfants - soit en deçà soit au-delà de 2 enfants. Outre le nombre de personnes vivant dans l’unité familiale, il faut ajouter la barre inférieure ou supérieure à 50 ans, le fait d’être avec ou sans travail, d’être étudiant ou retraité et - suprême outrage à la République - connaître l’appartenance à une identité ou ethnie. CSP et âge sont des critères d’étude dépassés.

  1. Quelles marques pour dans dix ans ?

La « logique du chauffeur de taxi » a construit et protégé dans notre beau pays un commerce surabondant et figé qui se reflète sur une industrie meurtrie et tétanisée ne pouvant se donner les moyens de comprendre authentiquement ses consommateurs. Monde à part dans un monde déjà parti, la France va développer dans la grande consommation des marques locales très distinctes des marques internationales, les premières occupant nos rayons, les secondes présentes ailleurs. Les plus grandes sociétés de produits de grande consommation ont entamé depuis quelques mois ce virage.

Se déplacer à Londres est plutôt cher, mais cela fonctionne bien, notamment en taxi. A Paris, c’est plutôt moins cher, mais cela ne fonctionne pas. La « logique du chauffeur de taxi » a vécu. Et pour prolonger la métaphore entre les taxis et le commerce, il ne sert à rien d’avoir des grandes surfaces ou de larges couloirs si ce n’est pas pour leur donner toute leur puissance. Sinon, pourquoi les conserver ?



[1] Par ce raccourci de l’écriture nous ne voulons surtout pas dire qu’il n’y a pas de précaution à prendre avec l’Homme ou avec la Nature. La Chine va l’apprendre à ses dépens, sans doute avec les Jeux olympiques de Pékin de 2008 !

[2] Ceci rappellera à certains que Carrefour a racheté Continent (Promodès) mais que c’est Continent qui est devenu principal actionnaire puis décisionnaire de Carrefour.

[3] Sur le site d’un supermarché en ligne, la promotion 3 bidons de 3 litres d’Ariel pour le prix de 2 bidons de 3 litres est plutôt étonnante, voire déroutante, lorsque la cible principale est le célibataire ou le couple urbain !

[4] Il est plus facile de déplacer une usine qu’un hypermarché.

[5] La liberté des prix n’a connu en 60 ans qu’une fenêtre de 10 ans ...

[6] en 2005 son taux de fécondité serait toujours aussi élevé -1,94- et le nombre de naissances avoisinerait celui du record de 2000, 808 000 naissances, expliqué en partie par la baisse significative du chômage.

[7] Etude Casino/L’Hémicycle/TNS bilan 2005.

[8] Même source.

[9] Pour simplifier, son pouvoir d’achat a doublé entre 1945 et 1975, puis à nouveau entre 1975 et 2005, le foyer a de moins en moins de personnes et le nombre de ménages augmente rapidement, dans un logement de plus en plus grand (1er poste des dépenses, l’alimentation étant le 3e après les transports), il sort des villes et se « rurbanise », va vivre au sud de la Seine et il vit de plus en plus vieux.



2 réactions


  • yaarg (---.---.28.167) 14 mars 2006 19:48

    Tant qu’à changer de regard, pourquoi ne pas aussi changer sa façon de vivre ? Votre article très tendancieux laisse croire que tout va bien dans le meilleur des monde, en france. Le pouvoir d’achat a augmenté dites-vous, mais combien de fois a augmenté le coût de la vie, notamment avec le passage à l’euro où, en à peine 5 ans, les prix ont augmenté réellement de plus de 40%. Je ne connais aucun salaire qui a suivi une telle croissance !

    Et que faites-vous des chômeurs, des SDF et des RMIstes ?

    Aujourd’hui, pour vivre bien (en france), il faut un revenu minimum de 2500 euros par mois. Je ne connais pas beaucoup de gens autour de moi qui y arrivent.

    la seule prospective logique avecla saturation des marchés c’est la décroissance, et elle viendra, de gré ou de force.


    • Philippe Philippe 15 mars 2006 10:20

      Merci de votre remarque que j’approuve.

      le but de ma réflexion n’était pas dans l’optimisme forcé mais dans le regard différent ... pour ne pas dire ce que vous avez dit.

      Car vous avez raison : 12% de pauvres, 1.2 millions eremistes, etc.

      Il faut agir ... mais pas trop pleurer sinon il ne restera qu’à quitter la France avec comme affichette à Roissy :

      le dernier qui sort, éteint la lumière ...


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