samedi 8 février 2020 - par Paul Jael

Faut-il croire en la théorie autrichienne du capital ?

IIe partie : les controverses

L’article précédent exposait la théorie du capital de Böm Bawerk. Celle-ci sera attaquée par les tenants d’une conception néoclassique plus orthodoxe, d’abord par Clark, créateur du concept de productivité marginale, ensuite par Knight, leader de l’école de Chicago entre les deux guerres.

Les protagonistes :

Clark John Bates

Etats-Unis

1847-1938

Böhm Bawerk (von) Eugen

Autriche

1851-1914

Knight Frank

Etats-Unis

1885-1972

Hayek (von) Friedrich

Autriche/ G-B

1899-1992

Machlup Fritz

Autriche

1902-1983

Kaldor Nicholas

Grande Bretagne

1908-1986

 

 

Clark contre Böhm Bawerk

Clark ne dut pas apprécier une théorie qui nie que le capital est un facteur de production et que l’intérêt est sa rémunération. En 1895, il prend l’initiative d’une controverse qui l’oppose à Böhm Bawerk par articles de presse.

 

Clark reconnaît que la création de capital implique une attente. Si je démarre une exploitation forestière, il me faudra effectivement attendre les fruits de l’investissement et plus les arbres plantés sont d’une variété lente à croître, plus j’attendrai. Mais une théorie de l’intérêt doit rester valable dans le cadre de l’analyse statique, dont nous savons qu’elle servait de perspective à Clark. Une fois que l’attente initiale arrive à terme, chaque année, je coupe une rangée d’arbres et je la replante. Peu importe alors que la durée de croissance d’un arbre soit de vingt ou de quarante ans. Dans le cadre de l’analyse stationnaire, la notion de période de production ne correspond à rien. Il n’y a pas d’attente : à chaque moment, simultanément nous mangeons des fruits et entretenons des arbres fruitiers. Comment Böhm Bawerk expliquerait-il l’intérêt quand l’attente ne joue pas ? C'est la conception synchrone de la production qui s'oppose à celle de l'attente.

 

Le capital, rappelle Clark, en même temps qu’il crée un revenu qui s’appelle l’intérêt, se renouvelle lui-même automatiquement. Le prix de vente des produits couvre leur prix de revient, dont fait partie l’amortissement des équipements. Le renouvellement d’un matériel arrivant en fin de vie se fait donc naturellement, sans épargne, financé par les seules transactions commerciales de l’entreprise. On chercherait en vain la nécessité d’une épargne dans une économie stationnaire, ce qui disqualifie totalement l’attente de Böhm Bawerk.

 

Clark a dans son viseur notamment la période de production. Selon lui, elle tendrait couramment vers l’infini. Il écrit : « If we are to trace the origins of any goods to the earliest labour that has contributed to making them, we shall follow the series of instruments backward to a point at which no capital existed »[1]. Et il voit en Adam et Eve des producteurs d’une part infime de tous les biens capitaux existants. Clark oublie que pour Böhm Bawerk, ce n’est pas la période absolue qui compte, mais la période moyenne.

 

Clark conteste également que le taux d’intérêt soit fonction de la période de production. Prenons un capital A se montant à 1000 et ayant une période de production de deux ans et un capital B, également de 1000, ayant une période de production de quatre ans. S’ils ont la même productivité marginale, ils rapporteront nécessairement un intérêt identique et leurs périodes de production divergentes seront sans effet ; celle-ci n’est donc pas le déterminant du taux d’intérêt. Clark oublie que Böhm Bawerk se plaçait au niveau macroéconomique. La population active et le stock de capital étant donnés, la période de production et le taux d’intérêt sont tous deux des variables endogènes. Dans cette optique, comparer des capitaux identiques avec des périodes de production différentes n’a pas de sens.

 

Autre point de friction : l’abstinence du capitaliste. Clark, qui reprend l’idée de Senior et Mill, en fait l’origine du capital. Böhm Bawerk le conteste et précise que ce qu’il appelle attente n’a rien à voir avec le concept d’abstinence. Rappelons-nous qu’il prête la préférence pour les biens présents sur les biens futurs non pas aux capitalistes mais aux salariés. D’ailleurs, l’abstinence des capitalistes est une fausse piste : « saving can involve sacrifice and meritorious action, but it doesn’t necessarily do so. The man who has only a small income will concededly not be able to lay aside something of the little he has without appreciable deprivation and the display of vigorous self-control. But the man with an annual income of one million, who is content to live on only a half million while he lays aside the other half million, need perform no heroic act of renunciation. The formation of capital requires only that the saving be a factual reality and any moral admixture of sacrifice or merit is a matter of complete indifference so far as the result is concerned »[2]. Clark maintient qu’il y a abstinence : « By extending the lines of railroad that he owns, the multi-millionaire denies himself the enlarging of his palatial residences »[3].

 

Cette controverse rebondira dans les années trente, avec Frank Knight reprenant le flambeau de Clark et Hayek celui de Böhm Bawerk. Nous rendrons compte de cet épisode dans le chapitre 9.2 « Faut-il croire en la théorie autrichienne ? ».

 

 

Knight contre Hayek

Comme Clark trois décennies plus tôt, Knight monte à l’assaut de ce qu’il qualifie d’ “incubus”, désignant la “‘wage fund theory’ of the early classical writers as modified by Jevons, Böhm Bawerk and Wicksell”, à propos de laquelle il prétend qu’on ne peut rendre un plus grand service à la science économique que de l’en libérer. Il publie plusieurs articles en 1933, 1934 et 1935 auxquels répondront des articles de Machlup en 1935 et de Hayek en 1936. Kaldor tentera une synthèse du débat en 1937.

 

La période de production

Inévitablement lorsqu’il est question de la théorie autrichienne, la période de production est une des premières cibles. C’est assez paradoxal car Hayek et Machlup se distancient tous deux de ce concept. Mais tous deux le défendent contre les attaques, car, comme l’écrit Hayek, “Professor Knight, instead of directing his attack against what is undoubtedly wrong and misleading in the traditional statement of this theory (…) seems to me to fall back on the much more serious and dangerous error of his opponents of forty years ago”[4]. Les détours de la production restent à leurs yeux un concept essentiel ; la période de production le sert imparfaitement mais il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain.

 

Comme le montrera Wicksell, la formule de Böhm Bawerk fait l'impasse sur l'intégration des intérêts passés dans le capital. Comme le montrera la controverse des deux Cambridges au début des années soixante, une mesure unidimensionnelle du capital ne peut suffire à établir une relation avec le taux d'intérêt. La forme de la distribution dans le temps importe autant que la durée moyenne. Machlup et Hayek concevaient ces difficultés comme en atteste cet extrait ; partant d’un réarrangement des inputs qui en déplace symétriquement certains vers l’arrière et d’autres vers l’avant sans altérer la moyenne, Machlup écrit : “This shows that not only the average of all time dimensions but also their dispersion may be significant. The ‘shape of the investment function’ would tell us what the simplest ‘average investment period’ conceals”[5].

 

Knight émet à l’encontre de la période de production la critique qu’on ne peut en déterminer concomitamment le début et la fin : si on connaît le début, la fin est indéterminée et vice versa. « If we take a certain small increment of consumption, say, drinking a glass of milk, it would never be possible to give any sensible answer to the question when that glass of milk was produced or when its production began. Or conversely, we may take a definite increment of productive activity, such as feeding the cow ; then, it would never be possible to say when the result of that increment of activity would be consumed or when the process of consuming them would end »[6].

 

Hayek considère que l’approche par la ligne de départ et l’approche par la ligne d’arrivée constituent une alternative : l’analyste choisit entre ces deux options. Il est sous-entendu que les deux approches donnent le même résultat. Mais dans l’une comme l’autre options, il faut se préoccuper non du temps effectivement consacré à produire tel ou tel biens dans le passé, mais des « future time intervals between the moments when the factors are or will be invested and the moment when the product will mature (…) The theory looks forward, not back »[7]. A mon avis, la question centrale n’est pas « forward » ou « backward » mais simulation ou réalité. Machlup le pressent, car commentant l’option « forward », il écrit : « That it is by its nature hypothetical, representing an average of anticipations which may not be realized is not in contradiction with the fact that it is very real in its effects … »[8].

 

Tous les professionnels qui pratiquent la comptabilité analytique et estiment des prix de revient savent que leurs calculs sont désincarnés par rapport à la réalité et nécessitent des hypothèses relatives à la durée de vie des machines, à la fraction de leur temps absorbée par tel ou tel produits… Des difficultés surviennent comme le produit A qui sert d’input dans la fabrication du produit B qui est également un input de la production A. La période de production n’y échappe pas. On doit se contenter d’estimations. Dans ces conditions, il serait erroné de penser que la période de production absolue (si elle est déterminable) est nécessairement plus longue que la période moyenne, car celle-ci additionne les durées pondérées de multiples processus pratiqués simultanément dans la réalité.

 

Je me rallie à la conclusion de Kaldor : « we hope that we have succeeded in demonstrating that the real objections against the Austrian capital theory relate to the measurement of the investment period rather than to its relevance »[9]. Ceci, moyennant les restrictions mentionnées ci-avant.

 

L’attente, le capital permanent

La théorie autrichienne fait de l’attente l’indice du niveau capitalistique de la production, donc indirectement une mesure du capital lui-même. Knight conteste ce rapprochement : « But additional investment may have the purpose and the result of shortening this waiting period ». L’attente et la valeur du capital évoluent indépendamment l’une de l’autre : « Increased capital investment may either increase or decrease the length of time required for processing of any particular material, from beginning to end or between any two physically definable stages »[10].

 

Hayek répond en premier lieu par une mise au point. Dans l’histoire économique, l’accroissement du capital s’est généralement accompagné du progrès technique. Au point qu’on aurait tendance à les confondre. Pourtant, le capital peut être accumulé sans amélioration de la connaissance technique, simplement pour généraliser les outils les plus productifs lorsqu’ils ne sont utilisés que par les entreprises de pointe. C’est à cette accumulation du capital pure que la théorie autrichienne rattache l’attente, non au progrès technique. Mais seul le progrès technique est susceptible d’éventuellement réduire la période de production. Machlup, quant à lui, estime que le progrès technique n’influence pas le niveau de détour de la production ; tout dépend de la façon dont l’économie absorbe les facteurs libérés par l’innovation.

 

Puis, allant au-delà de cette mise au point, Hayek pose la question : si l’attente diminuait, pourquoi augmenterait-on le capital par tête ? On chercherait en vain la réponse chez Knight. Hayek peut donc réitérer la conclusion de Böhm Bawerk : l’accumulation du capital a pour vocation fondamentale d’allonger l’attente. Comme le précise Machlup, c’est le capital par tête qui importe. On retrouve la distinction entre l’élargissement du capital et son approfondissement déjà évoquée à plusieurs reprises. L’élargissement est extérieur à la présente discussion.

 

Un des arguments autrichiens pour justifier l’existence de l’intérêt dans une économie stationnaire est qu’il est nécessaire pour dissuader les détenteurs du capital de désépargner ; sans l’intérêt, ceux-ci seraient tentés de remplacer leur capital par un revenu consommable. Il n’est donc pas étonnant que Knight et Hayek se soient affrontés sur la permanence du capital. Knight soutient que « all capital is inherently perpetual », une thèse déjà présente chez Clark. Le capital perdure et reste égal à lui-même (quantitativement) alors que passent les générations d’équipement qui se succèdent (dans la stationnarité). Sa permanence n’est pas affectée par la décision individuelle d’un capitaliste de consommer son capital. Le capital de l’individu peut diminuer mais pas le capital social : il y aura simplement transfert de propriété de l’équipement concerné. Les individus qui désépargnent ne peuvent pas consommer le capital tel quel, mais seulement la recette de sa revente.

 

Hayek rétorque que le capital maintenu quantitativement constant est un concept qui n’a de sens que dans l’hypothèse de la stationnarité la plus absolue, en rupture complète avec la vie économique réelle et qu’il est incompatible avec les comportements rationnels dans une économie en changement.

 

Sans doute une société stationnaire se caractérise-t-elle par un capital perpétuel automatiquement maintenu. Knight semble en outre croire à une dissymétrie entre l’accroissement du capital et sa diminution. Il ne conteste apparemment pas que le capital total diminuera si la société s’abstient de remplacer les biens capitaux usés, mais tout en restant vague sur le sujet, il considère cette éventualité comme propre à des conditions exceptionnelles ; il évoque les crises dont la cause selon lui est totalement indépendante des questions de capital.

 

Le non-remplacement des équipements ne signifie pas encore que la société a consommé une part de son capital, Le capital comme tel n’est pas consommable. Le non-remplacement signifie alors la régression économique par la décapitalisation. A terme, la consommation devra d’ailleurs diminuer puisque les moyens de l’alimenter régressent. Mais Machlup semble penser que pendant une phase intermédiaire, il serait possible de consommer plus alors que décline le capital.

 

Ni Knight ni Hayek ne commettent l’erreur de penser que le taux d’intérêt serait nul dans une économie stationnaire, une idée présente chez d’autres économistes comme Schumpeter. Selon Knight, le taux d’intérêt ne peut s’annuler qu’à la condition que tous les biens réels et potentiels dans la production desquels intervient le capital soient des biens libres. Autant dire que l’intérêt nul est impossible. Hayek répond qu’il suffit que l’économie atteigne une position où il devient impossible d’accroître la production en allongeant l’attente[11]. Cette condition est moins exigeante, tout en restant peu probable.

 

« The Pure Theory of Capital »

Sans doute en partie à cause de la controverse, Hayek ressent le besoin de réexprimer la théorie autrichienne en abandonnant les éléments les plus critiqués. Ce projet aboutit à un ouvrage intitulé « The pure Theory of Capital » publié en 1941. Le but est de sauvegarder l’essentiel. Malheureusement, ce sont les simplifications qui sont sacrifiées ; les idées qui les remplacent sont beaucoup plus complexes. Il en résulte un ouvrage plutôt indigeste.

 

La première victime de ce réexamen est la période de production, à laquelle Hayek n’était déjà plus attaché dans la controverse. La « Pure Theory » présente ses héritiers : la fonction d’input et la fonction d’output.

 

 

Voyons d’abord la fonction d’input, sur la figure 9.1-A. Elle est inspirée par le graphique 3.13 de Wicksell. L’ordonnée représente le temps restant avant la disponibilité des biens produits pour la consommation. Le temps zéro correspond donc à la consommation présente. L’abscisse donne la quantité d’input[12] actuellement en maturation dans un produit qui sera rendu consommable au temps t. Dans l’exemple présent, on peut donc dire que le produit qui sera commercialisé dans cinq ans est déjà constitué dans une proportion a et que dans les cinq ans à venir, il reste à produire une proportion 1 ‑ a. La fonction est dessinée convexe par rapport à l’origine. Cela correspond à un flux de services qui s’accroît au fur et à mesure qu’on se rapproche du produit final, l’hypothèse la plus plausible selon Hayek. Si le flux était constant de période en période, la fonction serait rectiligne. Le principe de cette figure est évidemment le même que celui des triangles du graphique 8.17. Mais le point de vue est différent : ici, on observe l’encours de la production à un moment donné ; là, on visualisait l’évolution d’une production.

 

La fonction d’output ressemble très fort à sa sœur. Elle intègre la problématique de l’intérêt composé. L’intérêt du passé fait partie du produit, donc du capital. L’intérêt composé agit un peu comme un agent dilateur de chaque atome d’input et le niveau de grossissement dépend évidemment de la durée de dilatation. C’est ce processus de dilatation qui transforme la fonction d’input de la figure 9.1-B en fonction d’output. Mais Hayek utilise peu cette fonction d’output. Il lui préfère une version en trois dimensions fort complexe que je ne reproduis pas.

 

Il y a plusieurs types de travail et de matières : comment rendre compte de cette hétérogénéité ? De deux choses, l’une : soit les inputs sont exprimés en valeurs : on peut les additionner, ce qui permet d’illustrer la production par un graphique unique. Soit les inputs sont exprimés en unités physiques, mais alors le processus de production ne peut être illustré que par autant de graphiques qu’il n’y a de facteurs homogènes.

 

Dans la conception autrichienne primitive, la période de production mesurait la quantité de capital univoquement. Une telle simplicité est maintenant exclue. Voyons comment Hayek met en graphique la valeur du capital intégrant l’intérêt composé. Le plan horizontal représente la fonction d’input de la figure 9.1, mais il le surmonte d’une troisième dimension verticale (v). L’altitude indique la valeur que l’intérêt composé fait prendre à chaque unité d’input composant la fonction d’input (figure 9.2). Les unités qui sont investies plus longtemps montent plus. L’altitude et l’inclinaison de la surface courbe supérieure dépendent du taux d’intérêt, qui est sous-jacent dans le graphique. La valeur du capital est donnée par le volume du solide.

 

L’aire de la fonction d’input a plus ou moins la même signification que la traditionnelle période de production. Mais deux fonctions d’input de formes différentes et d’aire identique ne serviront pas nécessairement de base à un volume égal. Le rapport du capital avec le temps s’est complexifié.

 

 

Qu’est-ce qui détermine la forme de la fonction d’input ? Elle dépend de choix technologiques que la firme est appelée à opérer, plus précisément de l’optimisation de ces choix. Hayek explique le principe de cette optimisation de façon très analytique ; j’espère qu’on me pardonnera d’extrêmement simplifier. Dans un premier temps, Hayek met de côté la problématique de la préférence temporelle, de l’épargne et de la valeur du capital disponible. Le choix porte sur des arrangements qui produisent un flux de revenu constant, insensibles aux préférences des agents. Chaque unité de chaque input est investie pour un certaine durée qu’Hayek suppose être variable. En augmentant la durée d’investissement d’un input, on peut augmenter le produit. L’exercice vise à répartir le capital donné de la façon qui maximise le produit, autrement dit à choisir la durée d’investissement idéale de chaque unité d’input. La règle d’optimisation consiste à égaliser les productivités marginales de tous les investissements d’inputs. Et cette productivité marginale commune, plus exactement le taux d’accroissement du produit résultant des variations marginales de l’input, devient le taux d’intérêt.

 

Cette analyse suppose que l’on puisse modifier la durée d’investissement de tout input en laissant les autres durées constantes, ce qui est assez douteux. Il y a en outre la difficulté que, même si l’hypothèse est vérifiée, “this functional dependence of the size of the product on the investment period of the unit of input concerned is only true for a particular arrangement of all other input and will be different for any other arrangement”[13].

 

Hayek reconstruit ensuite son modèle en endogénéisant le capital à l’aide de l’épargne[14], dans une analyse d’inspiration fishérienne. Ici de nouvelles simplifications sont posées, notamment qu’un investissement a toujours une période unitaire. Il n’y a donc pas de place ici pour une fonction d’input ou d’output, ce qui déconnecte cet exposé du reste de l’ouvrage.

 

3

 

Le graphique 9.3 comporte deux familles de courbes :

  • les courbes de transformation qui sont concaves et indiquent le taux auquel du revenu peut être transféré du présent vers le futur. C’est grosso modo la courbe 3.21 de Fisher. Sa pente reflète la productivité de l’investissement[15][16].
  • les courbes d’indifférence qui sont convexes et indiquent les préférences de l’agent entre la consommation future et la consommation présente. Le taux d’impatience s’inscrit dans la pente de la tangente.

La droite à 45° est le lieu des distributions égales du revenu entre le présent et le futur. A sa droite, on épargne, à sa gauche, on désépargne.

 

En fait, l’équilibre advient à chaque période et le déroulement diachronique des équilibres successifs a été concaténé sur une figure unique[17]. En période 1, la capacité productive est exprimée par la courbe T1. L’équilibre résulte évidemment de la tangence entre T1et une courbe d’indifférence, soit le point E1. Le taux d’intérêt est donné par la pente (identique) des deux courbes en E1[18]. En période 2, grâce à l’investissement précédent, la capacité productive a augmenté, ce qui se marque par le déplacement de la courbe de transformation vers le nord-est[19]. Un nouvel équilibre s’établira de façon identique en E2. Et ainsi de suite…

 

Quelles sont les évolutions probables sur ce sentier d’équilibre ? Avec le revenu croissant, le taux d’intérêt et le taux d’impatience diminuent, ce qui réduit l’incitation à épargner. L’économie s’oriente vers une situation stationnaire, sans épargne, donc située sur la droite à 45°. La vitesse d’accession à cet équilibre final dépend de la forme des courbes d’indifférences ; dans un cas extrême, on peut ne jamais y arriver lorsqu’il y a une préférence récurrente pour le futur.

 

Hayek pèse les rôles respectifs de la préférence temporelle et des détours de la production :

  • en chemin vers l’équilibre, il y aura toujours un taux d’intérêt positif, quel que soit le taux d’impatience
  • le taux d’épargne dépend uniquement des opportunités d’investir et non de l’inclination à épargner
  • la longueur du chemin vers l’équilibre découle de la forme des courbes d’indifférence. Au stade final, le taux d’intérêt sera nul ou positif se calquant sur le taux d’impatience

 

Bibliographie

 

[52]

Clark John Bates (1895) « Real Issues concerning Interest » in The Quarterly Journal of Economics, vol 10 n°1, pp. 98-102.

[53]

Clark John Bates (1895) « The Origin of Interest » in The Quarterly Journal of Economics, vol 9 n°3, pp. 257-278.

[138]

Hayek (von) Friedrich A. (1936) « The Mythology of Capital » in The Quarterly Journal of Economics, vol 50 n°2, pp. 199-228.

[147]

Hayek (von) Friedrich A. (2009) The Pure Theory of Capital, The Ludwig von Mises Institute, Auburn Alabama

[170]

Kaldor Nicholas (1937) « Annual Survey of Economic Theory : The Recent Controversy on the Theory of Capital » in Econometrica, vol 5 n°3, pp. 201-233.

[191]

Knight Frank H. (1934) « Capital ; Time and the Interest Rate » in Economica, vol 1 n°3, pp. 257-286.

[241]

Machlup Fritz (1935) « Professor Knight and the Period of Production » in Journal of Political Economy, vol 43 n°5, pp. 577-624.

[374]

von Böhm Bawerk Eugen (1959) Positive Theory of Capital, Libertarian Press, South Holland Illinois

 

[1] Clark [53] p. 270.

[2] Böhm Bawerk [374] p. 115. Menger avait déjà exprimé le même avis.

[3] Clark [52] p.98.

[4] Hayek [138] p. 200

[5] Machlup [241] p. 588.

[6] Knight [191] p. 275

[7] Hayek [138] p. 208.

[8] Machlup [241] p. 597

[9] Kaldor [170] p. 233

[10] Knight [191] pp. 278-279

[11] Cette règle découle logiquement de la formule autrichienne du taux d’intérêt f’(t)/f(t).

[12] Le terme facteurs primaires, très décrié lors de la controverse, ne se retrouve plus dans la « Pure Theory ». Hayek opère une distinction peu éclairante entre ressources permanentes et ressources non permanentes. En fait, c’est le terme input qui revient le plus fréquemment et je me limiterai à lui dans ce résumé.

[13] Hayek [147] p. 152

[14] L’épargne de précaution est exclue. On épargne pour transférer du revenu.

[15] Selon Hayek, la concavité de ces courbes remet dans le jeu la variabilité du temps d’investissement, qui serait l’explication essentielle de la productivité marginale décroissante.

[16] Plus exactement, la pente égale l’inverse du facteur d’accroissement.

[17] La constance des goûts est posée, ce qui permet la conservation d’un même champ d’indifférence.

[18] Plus exactement, la pente égale 1/(1+i).

[19] Il s’agit d’investissements nets, s’ajoutant à la reproduction du capital investi précédemment, qui est entièrement assurée.




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