mardi 12 août 2008 - par Michel Santi

Fin de cycle pour les matières premières ? Ne rêvons pas trop...

Les matières premières, denrées et autres investissements énergétiques ont attiré depuis quelques années force investisseurs et spéculateurs à tel point que certains fonds de placement spécialisés en ce domaine en 2003 ont quadruplé de valeur jusqu’à ce que certains qualifient de « bulle spéculative » ne commence par se dégonfler brutalement, il y a de cela quelques semaines. Ainsi, et alors même que quelques matières premières avaient déjà entamé une lente régression, il y a quelques mois, l’indice de référence américain dit "CRB" subissait le mois dernier sa plus forte chute mensuelle depuis 1980 en concédant 10 % et que le pétrole atteignait 115 dollars le baril après avoir touché 147 dollars le mois dernier...

Effectivement, le palier des 150 dollars aurait provoqué des prises de bénéfices substantielles auprès d’investisseurs craignant d’une part un essoufflement de la demande du fait d’une trop forte accélération des prix tout en anticipant d’autre part un renchérissement graduel de la politique monétaire américaine, le niveau des taux d’intérêts américains ayant fortement encouragé les spéculateurs à faire usage de l’effet de levier. Par ailleurs, une raison de plus de se ruer sur ces "commodities" s’éloignerait à présent que le dollar regagne du terrain en repassant sous la barre des 1,50 contre euro et, enfin, les institutions financières sinistrées auraient pris leurs profits sur un de leurs rares positionnements bénéficiaires...

Pour autant, peut-on dire que la bulle a éclaté ? Ces prises de bénéfices signalent-elles un retournement de tendance ?

Dans un rapport rendu public la semaine dernière, Deutsche Bank prédit la fin du marché haussier des matières premières et encourage ses clients à sortir de ces marchés très sensibles à la conjoncture économique. En fait, la première banque allemande voit le pétrole s’effondrer jusque vers une fourchette comprise entre 60 et 80 dollars, l’once d’or régresser vers 650 dollars alors que le cuivre, l’étain et le fer devraient perdre la moitié de leur valeur ! De même, les marchés alimentaires devraient se détendre grâce aux meilleurs récoltes en Australie et dans les steppes eurasiennes. De fait, certains gros fonds de pension se bousculent déjà pour prendre leurs profits craignant un effondrement similaire à celui des valeurs technologiques en 2000-2001 car ils comparent l’escalade des prix des matières premières à la très forte appréciation du Nasdaq de la fin de la décennie précédente. Il est vrai que, tout comme à l’époque, la hausse vertigineuse des titres technologiques avait été justifiée par la conviction que l’arrivée d’internet remettait profondément en question les valorisations traditionnelles des entreprises, la flambée des commodities, elle, avait été perçue comme la conséquence naturelle de la demande asiatique croissante conjuguée avec des taux d’intérêts bas, même si ces taux sont uniquement dus aux désordres financiers aux Etats-Unis... Il n’en reste pas moins que c’est précisément ce crédit facile et peu onéreux qui, par le passé, a encouragé une série de bulles boursières, immobilières avec - dernière en date selon ces analystes - la bulle des matières premières qui, après la bulle immobilière, sera la prochaine à exploser…

Qu’en est-il réellement et, en fait, pourquoi a-t-on eu ces dernières années un boom de ces commodities ?

Le degré d’urbanisation de l’Inde et de la Chine se situe respectivement à 29 % et à 40 % alors que celui des Etats-Unis est de 81 % ! C’est dire que la demande des populations et des infrastructures dans ces pays en est encore à ses balbutiements car elles auront besoin de plus de chemins de fer et de routes, de plus d’habitations et de plus de véhicules... Cette évolution vers plus de confort et de richesse de ces pays est inéluctable et n’est en rien tributaire des aléas des récessions, des crises du crédit et autres bulles spéculatives sévissant dans nos économies développées. Ce cycle de hausse des prix des matières premières n’aura besoin d’aucun combustible pour poursuivre son mouvement ascendant : la tendance à long terme étant clairement établie, des corrections sur le court terme sont inévitables, voire saines.

Ainsi, selon le dernier "World Energy Report", les nations émergentes - et particulièrement la Chine et l’Inde - maintiendront une forte tension sur le marché de l’énergie pendant les vingt prochaines années car leur consommation devrait s’accroître de 55 % à l’horizon 2030 à un rythme d’1,8 % par an ! Le combustible fossile devrait rester la source d’énergie privilégiée représentant environ 84 % de la consommation globale d’énergie en 2030, la consommation de produits dérivés du pétrole devant progresser d’11,4 milliards de tonnes en 2005 à 17,7 milliards en 2030. La consommation de pétrole à proprement parler devrait atteindre 116 millions de barils par jour, soit une progression de 37 % par rapport à 2006. Mais c’est surtout la demande en charbon qui devrait poursuivre son accélération spectaculaire, progressant en valeur absolue de 73 % d’ici 2030, et atteignant 28 % de la consommation globale d’énergie en 2030 contre 25 % aujourd’hui ! Toujours à l’horizon 2030, la construction de tous types d’infrastructures dans les pays émergents nécessitera un investissement global de l’ordre de 22 000 milliards de dollars.

On le constate, ce phénomène à la fois global et profond sera fort peu affecté par les tribulations ou états d’âme de nos pays occidentaux car 80 % de la population mondiale vit hors des pays du G 7... Ainsi, Price Waterhouse Coopers prévoit-elle une croissance soutenue en moyenne de 6,8 % par an en Chine et en dollars réels jusqu’en... 2050 quand celle de l’Inde et du Vietnam devrait se maintenir respectivement autour de 8,5 % et de 9,8 % toujours pour la quarantaine d’années à venir. A ce rythme, l’économie chinoise, qui représente actuellement moins du quart de la taille de l’économie américaine, devrait être 30 % plus riche que l’économie américaine autour de 2050 et l’économie indienne devrait pouvoir concurrencer par la taille l’économie américaine ! Le fameux "gap" de richesse - décalage entre les Occidentaux deux fois plus riches par tête que les Chinois - devrait être totalement nivelé dans quarante ans.

Comment prétendre qu’avec la Chine, l’Inde et l’Afrique qui comptent chacune 1 milliard d’habitants que la demande énergétique, alimentaire et en matières premières pourrait seulement se stabiliser ? L’urbanisation et le changement d’habitudes alimentaires maintiendront une pression haussière sur le prix de ces denrées pendant encore dix à quinze ans et cette tendance sera le thème dominant appelé à bouleverser nos vies et nos habitudes. Certes, les marchés des commodities ont toujours été volatils et ils le resteront. Ceci étant dit, il n’y a aucune raison qui fera que la tendance haussière des dix dernières années de ces denrées ne se poursuive encore les dix années à venir.



12 réactions


  • tvargentine.com lerma 12 août 2008 11:45

    La Deutsche Bank tient de bonne analyse et généralement elle se confirme dans la réalité

    Ici même j’avais dit que le pétrole et les matières premieres baisseraient car il s’agissait avant tout d’une bulle spéculative (comme la net économie)

    Les données communiquées de récoltes excédentaires ont remis tout ce petit monde des manipulations dans le monde réél et la réalité des cours rélles s’imposent

    Ici j’avais dit que la vision des médias occidentaux sur la Chine permettraient de donner une véritable image de la vrai chine qui n’a rien à voir avec "le modele" vendue par cette dictature

    La CHINE reste un peuple à 90% de paysan et les 10% restant passent leur temps à faire des copy de produits qui marchent (vue reportage sur France 2 la veille)


    • anomail 12 août 2008 12:07

      >"10% restant passent leur temps à faire des copy de produits qui marchent"

      Là-bas même les communistes sont contrefaits
      Pourtant on ne peut pas dire que ça soit un produit qui marche.


  • fourminus fourminus 12 août 2008 12:41

    Vous avez certainement raison SI (et seulement si) il est réellement possible de trouver tout le pétrole nécessaire à cette croissance géométrique.
    Dans le cas contraire...
    Voir par exemple : http://www.yvescochet.net/wordpress/ ?p=125
    Où encore : http://www.grappebelgique.be/IMG/pdf/Nous_mangeons_du_petrole_texte_origina l.pdf

    fourminus


  • guad 12 août 2008 13:53

    Bonjour,

    Personellement je ne pense pas que la baisse que l’on vit actuellement va continuer dans le long terme.

    Premierement, les prix élevés du pétrole depuis le début de l’année ont eu pour conséquence que la demande mondial de pétrole a commencé à stagner, voir même à diminuer. Mais des que les prix vont atteindre un certains niveau, la demande risque de repartir à la hausse car on s’est sérré la ceinture un moment mais les bonnes résolutions s’arrêtent dès que le produit redevient attractif.

    Deuxièmement, c’est une question de bon sens, le pétrole etant une energie non renouvelable, même s’il en reste peut etre encore beaucoup, cette ressource sera de plus en plus dur à aller chercher donc de plus en plus chere à produire. C’est tres logique, reste à savoir quel est l’état réel des réserves.

    De toute manière il va falloir admettre que notre économie est malheureusement basée sur cette énergie et que tôt ou tard il y aura une fin. Sera t’on prêt pour y faire face ???


  • Forest Ent Forest Ent 12 août 2008 14:10

    Oui, sur le moyen terme, la demande en commodities est croissante. Mais les variations que l’on constate depuis plusieurs années sont peu liées au marché, plus à des questions monétaires. La bulle provenait

    http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=41802

    de la bulle monétaire US en moitié par la chute du dollar et en moitié par un déplacement de stratégie des investisseurs. Il est difficile d’isoler les variations des prix de commodities des variations monétaires : est-ce le pétrole qui baisse ou le dollar qui remonte ? En fait, c’est quoi une "valeur", sinon le pouvoir d’acheter des matières premières ?

    Dans un futur proche, les prix des matières et devises vont continuer à osciller au fur et à mesure du ralentissement économique mondial jusqu’à trouver un nouvel équilibre entre une demande plus faible (donc des prix qui baissent sur le court terme), et la déflation des actifs et la chute du dollar (donc des prix qui montent sur le court terme).

    A long terme (30 à 40 ans), la demande baissera avec la démographie.


  • Lisa SION 2 Lisa SION 12 août 2008 14:17

    "...Ceci étant dit, il n’y a aucune raison qui fera que la tendance haussière des dix dernières années de ces denrées ne se poursuive encore les dix années à venir. .." avez vous pensé,

    1 ) _ Le shéma de " l’offre et la demande " n’est nullement respecté nulle part. Il y a bien longtemps que la technologie des voitures électriques nous libérant des contraintes liées aux fluctuations du pétrole, témoigne de l’intérêt du public et que cette demande généralisable n’est pas suivie d’effets concrets.

    2 ) _ L’effet " bulle spéculative "atteint tous les domaines y compris artistique. Cela relève quasiment du blanchiment d’argent, car rien ne peut justifier de tels prix exorbitants répondant à une " offre confidentiele ".

    3 ) _ Le jeu de la spéculation profite à bien plus d’acteurs que les simples boursiers, La plupart des prix indexés sur le pétrole ne retrouvent pas leurs niveaux précédants en temps réel. Si la montée est imédiate, la redescente est lente et souvent rattrapée par une nouvelle vague. Mais, ce jeu constituant à tirer sur la ficelle afin d’observer si elle cassera permet de révéler le degré de résistance des plus stables au détriment des plus fragiles...


  • herve33 12 août 2008 15:53

    Nous sommes y voilà , nous sommes arrivés à un moment où la crise monétaire de l’été 2007 issues de la crise des Sub primes commence à atteindre l’économie réelle .

    La récession est donc présente depuis le début de l’année aux Etats Unis et mondialisation oblige , cette récession atteint désormais l’Europe et ralentit la croissance des pays émergeants .

    La bulle des matières premières est entrain aussi de s’essoufler , mais est-ce durable ???

    Sur quelques semaines , sans aucun doute .

    Sur quelques mois , c’est nettement moins évident , la demande des pays émergeants devrait continuer à augmenter et surtout le moindre risque de tension internationale ou aléa climatique risque de faire repartir le pétrole à la hausse .

    Sur le long terme ( entre 5 à 30 ans ) , il ne fait aucun doute que le pétrole " bon marché " deviendra de plus en plus rare , c’est alors que nous subirons tous une décroissance qui nous obligera à revoir nos modes de vie .






  • guad 12 août 2008 15:56

    "Sur le long terme ( entre 5 à 30 ans ) , il ne fait aucun doute que le pétrole " bon marché " deviendra de plus en plus rare , c’est alors que nous subirons tous une décroissance qui nous obligera à revoir nos modes de vie."

    Et ce sera une tres bonne chose, mais la c’est un autre sujet.


  • Olga Olga 12 août 2008 19:26

    Michel

    " Ceci étant dit, il n’y a aucune raison qui fera que la tendance haussière des dix dernières années de ces denrées ne se poursuive encore les dix années à venir. "
    Il n’y aurait pas une contradiction entre le sens de cette phrase et ce que vous dites juste avant ?


  • Antoine Diederick 12 août 2008 23:34

    fin de cycle pas impossible...allez voir les indices matière prem. ils annoncent peut être une fin de cycle et une récession du secteur industriel mais pas forcement des services et du retails comme le suggère l’inflation.


  • Jean Lasson 13 août 2008 17:41

    @ l’auteur,

    Vous écrivez : "La consommation de pétrole à proprement parler devrait atteindre 116 millions de barils par jour [...]".

    Croire cela, c’est comme croire que la terre est plate. La production mondiale de pétrole ("tous liquides" et pas seulement conventionnel) est actuellement de 87 millions de barils par jour, après un plateau légérement descendant à 85 millions depuis 2005. Tous les analystes indépendants sérieux (cf. Jancovici, ceux de l’ASPO, de "The Oil Drum" et même ceux de l’IFP) s’accordent pour affirmer que la production ne dépassera jamais 100 millions au mieux et peut-être moins de 90 millions. Presque tous les pays producteurs de pétrole conventionnel ont passé leur Peak Oil, y compris l’Arabie Saoudite. Une incertitude demeure pour la Russie, mais la courbe de sa production suggère qu’elle est en train d’atteindre son pic.

    Il est donc très probable que nous soyons déjà au Peak Oil ou au moins dans le plateau de production maximal. Même l’exploitation des réserves de l’Arctique ne pourra retarder la diminution de la production mondiale que de 3 ans.

    Dans ces conditions, la croissance et même le développement des pays émergents seront contraints par l’offre de pétrole. La consommation de pétrole est étroitement couplée à l’activité économique. La baisse actuelle de la demande donne donc la mesure de la récession en cours. Toute reprise de la croissance mondiale devrait faire s’envoler le prix du baril et, par voie de conséquence, celui des produits agricoles.

    Sauf à disposer rapidement de sources d’énergie alternatives utilisables pour les véhicules (camions, tracteurs, etc.), la croissance mondiale n’est plus possible. Une croissance régionale reste possible, mais elle sera compensée par une décroissance dans une autre région.



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