samedi 1er juin 2013 - par ECOPLUS

Hérétique ? Moi, jamais !

La question de l’immobilier est une préoccupation centrale des français. Un des indicateurs clé de cet intérêt est constitué par les nombreuses unes parues dans la presse écrite qui chaque semaine nous rappelle, à tort ou à raison, les hausses du marché.

Préoccupation de surcroit légitime dans la mesure où elle constitue le socle matériel de la famille. Des économies de toute une vie non seulement pour abriter au sens premier du terme ses proches, mais aussi pour transmettre un capital dans l’optique de l’épanouissement futur de ses enfants.

L’objet de cette note, contrairement à son prologue n’a pas pour mission d’entrevoir « la pierre » sous l’angle sociologique. Au contraire, elle vise de manière dépassionnée les perspectives économiques de la sacrosainte « valeur refuge ».

Ce billet se délimitera au particularisme de la Région Ile de France et tentera d’anticiper les mouvements du marché immobilier pour les cinq prochaines années. La question de l’immobilier professionnel ne sera pas abordé et le marché dit « des particuliers » entendu comme des personnes physiques sera analysé.

I] Naissance d’une bulle immobilière

Une bulle immobilière s’entend comme « une bulle spéculative qui apparaît à l'échelle locale d'une région voire sur l'ensemble du territoire d'un marché immobilier. Elle est caractérisée par une hausse rapide de la valeur des biens immobiliers ». Elle détermine ainsi un écart important et persistant entre le prix d'un actif et la variation temporelle de ses déterminants fondamentaux

De cette définition, il est possible de retenir deux éléments d’identification clé d’une bulle.

Un prix manifestement haut d’un bien au regard de ses qualités intrinsèques (A) mais aussi de la capacité d’achat d’un bien, comme élément fondamental de la rencontre entre l’offre et la demande (B).

A] Les qualités intrinsèques d’un bien

Dans la presse écrite, qu’elle soit dite « spécialisée » ou généraliste, les qualités intrinsèques d’un bien sont très souvent présentées comme étant la proximité des transports en commun, l’exposition sud, la présence d’un parking…

Or, ces caractéristiques quant bien même elles trouvent à s’appliquer ne sont pas les éléments directs de la valorisation d’un actif immobilier. En effet, la clef de voute de la valorisation reste et demeure la rareté. Dans la plupart des arrondissements parisiens, les maisons sont des biens extrêmes rares. Quant bien même elles ne regroupent pas toutes les qualités intrinsèques, leur rareté explique une valorisation élevée. Très souvent et à juste titre, ces biens sont déconnectés du prix du marché.

Néanmoins, cette hypothèse reste fortement cantonnée. Comment donc expliquer des prix moyens aussi élevés. Pour exemple, au moins de novembre 2012, le prix moyen au m2 était de 8440 à Paris, 5.590 euros en moyenne en petite et grande couronne.

Un prix moyen au m2 aussi élevé en Ile de France laisse à penser que la demande démographique est tellement forte sur la Région que la rareté des biens est la règle sur l’ensemble du territoire concerné.

Or selon les derniers chiffres connus de l’INSEE, en Ile-de-France, le nombre de logements vacants s’établit à 329 000 en 2006. 70 % des logements vacants sont concentrés à Paris et en petite couronne. La ville de Paris représente, à elle seule, 37 % des logements vacants de la région, pour un quart du parc total de logements. La part des logements vacants dans le parc total de logements, qui est de 9,2 %, est de loin la plus élevée de la région. Dans la petite couronne, elle est de 5,6 %, et en grande couronne, de 4,8 %.

En outre, en considérant que la valorisation élevée d’un bien dépend de sa rareté, on s’aperçoit qu’une partie des biens est volontairement retiré du marché en attendant des jours meilleurs et un prix plus haut. Traduction faite, la terminologie exacte est appelée spéculation.

Contrairement à la désignation qu’il en ait faite dans la sphère publique, la spéculation n’est pas nécessairement un mal sauf si elle est artificiellement soutenue.

B] Le gonflement d’une bulle « artificielle » par des acteurs désinvoltes

La règle en matière de fiscalité immobilière est depuis 40 ans, à la création de niches fiscales.

Du dispositif Malraux, Girardin, Besson, Sellier (comble du paroxysme Sellier I et II) ou plus récemment Duflot, l’interventionnisme étatique s’est toujours traduit par un gain fiscal plus ou moins important selon les plafonds prévus.

Qui dit niche fiscal, dit augmentation du pouvoir d’achat pour des personnes physiques qui souhaitent investir dans l’immobilier. Première conséquence directe de cette ingérence étatique, un nombre important d’acquéreurs se trouvent brutalement projeter un moment T sur le marché. La demande se trouve ainsi renforcée poussant mécaniquement les prix à la hausse.

Or depuis 2009, l’idée jusque là impensable d’un défaut de l’Etat prend racine par l’exemple grec. La zone euro est contrainte à juste titre à une cure budgétaire. Dès lors, l’Etat n’a pas les moyens de sa désinvolture en matière de fiscalité immobilière ce qui aujourd’hui se traduit par un dispositif Duflot loin d’être attractif. Ce dispositif de part les plafonds de loyers imposés en fonction des zones d’habitation ne procure qu’une très faible rentabilité. Rentabilité qui est elle-même amputée par le prochain plafonnement général des niches fiscales.

La deuxième conséquence de cette diminution des niches fiscales frappe de plein fouet le marché de l’immobilier neuf.

En effet, la plupart de « ces incitations fiscales » s’appliquaient au marché de la construction.

Or, outre la chute du volume de mises en chantier, les prix du neuf dans les principales villes franciliennes sont à la baisse. Pour exemple, en septembre 2012, les prix des logements neufs à Boulogne-Billancourt ont chuté de – 10,39 % en 6 mois. Le prix d’un 3 pièces y atteint 526 000 euros. A Asnières-sur-Seine, la baisse est de – 5,68 %.

La forte diminution de l’immobilier neuf n’est qu’un signe annonciateur d’une forte baisse de l’ancien surtout lorsque le pouvoir d’achat des primo-accédants est très largement amputé.

En effet, pour les primo-accédants la forte augmentation des prix depuis 2000 n’est absolument pas corrélé aux revenus. Dès lors, mécaniquement le pouvoir d’achat était censé diminuer. Or avant 2011, la capacité d’acquisition a certes diminué mais sans commune mesure du différentiel entre revenus et prix au m2. En somme, la capacité d’achat a diminué mais sans comparaison avec la hausse des prix.

Dès lors une question vient à l’esprit ; Comment depuis 2000, des personnes physiques ont pu acheter sachant que leurs revenus ne progressaient pas suffisamment à la lumière de la flambée de la pierre ?

Une réponse simple : l’endettement. Les banques ont ouvert les vannes du crédit (dans la limite du ratio d’endettement de 33 %) sur des périodes bien plus longues. Il n’est pas rare de voir en 2009, des crédits octroyés sur une durée supérieure à 30 ans.

Or depuis 2010, l’ensemble des établissements de crédits ont été soumis à une directive impactant directement la production de crédit. En effet, la directive communautaire Bâle 2a imposé une modélisation des engagements financiers sous la houlette de l’Autorité de Contrôle Prudentiel. Pour faire simple, les sociétés financières sont dans l’obligation de conserver un ratio de 8 % de liquidités (en pratique 10% ; Ne serait-ce que pour se laisser une marge de manœuvre) en fonction des crédits octroyés.

Dès lors, l’âge d’or de la production de crédit est révolu ce qui explique que malgré des taux de crédits manifestement bas, la production de crédits soit basse.

Ainsi, les primo accédants, très souvent doté d’un faible apport personnel, dont le scoring est haut (risque de défaut élevé) se voient refuser l’octroi de crédit.

Leur capacité d’acquisition se trouve très largement amputée ce qui les exclut du marché francilien.

II] Eclatement de la bulle immobilière

La question n’est plus de savoir si les prix vont baisser mais quand. La disparition des primo accédants est le signe annonciateur d’une baisse (A). Reste à savoir si la diminution sera progressive ou si elle prendra la forme d’un krack (B)

A) Une baisse garantie par la disparition des primo accédants

Les primo accédants restent et demeurent le signe de la bonne santé du marché de la pierre.

Ce marché est stratifié autour de maillons dont l’interdépendance est cruciale. Ainsi, un couple sans enfants qui achète un 2 pièces va permettre au couple attendant un enfant d’acquérir un trois pièces et ainsi de suite.

Or, lorsque le volume du premier maillon diminue à savoir les primo accédants, le deuxième maillon ne peut financer son projet d’acquisition (surtout lorsque l’on connait les conditions actuelles de crédits). Dès lors le marché est grippé.

Le prix proposé par le deuxième maillon est manifestement supérieur à la capacité d’acquisition ce qui logiquement dans le cadre « d’un marché pur et parfait » conduit nécessairement à une baisse des prix.

Néanmoins, depuis janvier 2012, la presse ne cesse de se faire l’écho d’une stagnation des prix voire d’une légère baisse dans l’ancien. Les statistiques de la chambre des notaires d’Ile de France (seule référence en la matière) confirment cette tendance. Dès lors, comment expliquer le prix haut d’un marché, sous le prisme de la rationalité économique, lorsque celui-ci est censé diminuer ?

La seule réponse est l’irrationalité. En effet, la croyance erronée en la valeur d’un bien permet pour un temps de résister à la logique du marché. C’est ce qu’on appelle l’effet cliquet (ou pour certains de rebond).

Néanmoins cette position n’est pas tenable à moyen terme. En effet, on ne peut occuper à moyen terme un logement devenu trop exigu dans l’attente contre toute logique économique d’une hausse importante du marché.

Le paradoxe de cette position censé être irrationnelle est qu’elle constitue une donnée économique à part entière. En effet comme le souligne l’économiste Friggit, le signe annonciateur d’une baisse importante est le rebond des prix lié à une croyance erronée et surévaluée de son bien. La crise immobilière de 1991 en est l’exemple frappant.

Reste à savoir si la baisse sera progressive (5 à 7% par an sur cinq ans) ou si elle prendra la forme d’un krack.

B) L’hypothèse vraisemblable du krack

Le krack en matière immobilière suppose à un moment T l’affut important de biens à vendre supérieur à la demande.

Or, il est rappelé très souvent que la Région Ile de France est une région dynamique et attractive. Elle ne cesse de croitre grâce notamment à son attractivité économique. Cet attrait est très souvent présenté comme un moteur de la demande d’acquisition immobilière empêchant de facto toute baisse importante. Il arrive assez fréquemment que les médias se fassent l’écho de cette impossibilité.

Ce postulat est erroné et dénué de toute rigueur méthodologique.

En effet, le marché ne s’appréhende pas sous l’angle des personnes physiques mais sous le prisme de personnes en capacité financière d’achat. Sans revenir sur les thèses développées précédemment, le frein au crédit, le prix important délimite un contingent de potentiels acquéreurs.

Dès lors, la demande réelle n’est pas aussi importante que présentée ou supposée par les médias et relayée auprès des potentiels vendeurs ;Ce qui explique en partie la chute des transactions constatée en 2011 et en 2012.

La chute brutale des prix (entendue comme une baisse de 30% à 40% sur deux à trois ans maximum) n’est pas une hypothèse à exclure. Elle dépend de deux facteurs cumulatifs :

Le premier est d’ores et déjà rempli, à savoir une fiscalité ponctionnant la détention des maisons secondaires (Sont ici visés les plus de 300 000 logements vacants en Ile de France).

En effet, la taxation des plus valus en février 2012 a eu pour conséquence une augmentation de l’offre avant cette date. L’amendement en date du 05 novembre 2012 visant à l’alourdir les mêmes plus-values au 1 janvier 2014 poussera les vendeurs à réaliser les ventes de leurs biens secondaires avant cette date. Ce dispositif aura pour conséquence directe l’augmentation de l’offre sur un marché dont le volume des transactions (vente réalisée) est en chute libre.

L’alourdissement de la fiscalité des revenus fiscaux est déjà opérante par le biais de deux outils.

La disparition du sceller marqué par une certaine flexibilité du plafond des loyers imposés. Dispositif remplacé par « le Duflot » dont les plafonds imposés diminue fortement la rentabilité.

Le second facteur est lié paradoxalement à notre capacité de réduire notre déficit public.

En effet, une des principales causes à l’origine du niveau très bas du taux actuel de crédits immobiliers est étroitement liée à l'OAT dix ans. L’obligation d'État à dix ans sert de référence aux banques prêteuses pour établir leurs taux d’emprunt.

Or, dans l’optique où les objectifs budgétaires ne seraient pas suivis, le taux des obligations d’état français s’envolerait ce qui à coup sûr renchérirait le crédit et diminuera la demande d’acquisition immobilière.

Il va sans dire que le gouvernement actuel tiendra ses objectifs....

 

Article rédigé par Abdallah OUBELLA

Chargé d’enseignement à l’Université René Descartes

Juriste en Droit Public des Affaires

 

Anne-Juliette Bessone, Benoît Heitz et Jean Boissinot, « Marché immobilier : voit-on une bulle immobilière », dans [« Note de Conjoncture INSEE » [archive]], 2005

J.M. « Immobilier : baisse des prix du neuf en Ile-de-France » dans Challenge, 04-12-2012

Rapport du Parlement Européen sur Bâle II et la révision des directives sur les exigences de fonds propres( CRD 4) (Réf : 2010/2074 (INI)), 22 septembre 2010

Un effet inflationniste des aides personnelles au logement peut-il avoir contribué à la hausse des prix immobiliers ? 6 février 2013 ? Rapport du Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable

 



3 réactions


  • Cugg Cugg 1er juin 2013 09:49

    S’il n’en tenait qu’à moi je n’autoriserai que que la propriété du logement principal + 1 secondaire par tête.
    Tout ce qui dépasse en vente sur le marché pour que les prix s’effondrent et que tous puissent se loger.


  • Vipère Vipère 1er juin 2013 14:43

    Cher auteur

    N’est-il pas légitime que l’immobilier soit une des préoccupations majeure des français ?
    Il serait plus exact de parler du logement, c’est à dire, une priorité quasi vitale, universelle pour l’humanité !

    L’homme des caverne trouvait naturellement un abri dans la nature sans avoir eu à se poser la question de la propriété privée, de la spéculation immobilière, ce qui a permis l’expansion des civilisations actuelles.
    Sans refuge, les hommes primitifs auraient-ils survécu aux intempéries, aux dangers des attaques de prédateurs ?

    Les prédateurs d’aujourd’hui sont d’une toute autre nature, d’une sauvagerie affichée où se mêle la cupidité et le désir d’accumulation de biens prioritaires que sont les logements, protégés en cela par un système pervers qui favorise la confiscation par une minorité contre une majorité, empêchant l’accès de tous à ce bien précieux qu’est le logement.

    La cupidité des possédants a montré ses limites, le marché de l’immobilier s’effondre, des stocks de biens immobiliers, bureaux, logements, locaux commerciaux, ne trouvent pas preneurs. Les facteurs auxquels vous faites référence ne pèsent que très peu dans le retournement, prévisible, de la baisse immobilière.

    Contrairement à votre analyse, l’alourdissement de la taxation et le déficit publique n’ont rien à voir avec la baisse immobilière, mais tout à voir avec le déficit d’acheteurs dans l’incapacité d’acquérir des biens sur-évalués, de faire face aux loyers scandaleusement élevés, en totale inadéquation avec les salaires des ménages en recul.


  • viva 2 juin 2013 00:19

    La baisse des loyers et des biens immobiliers sont inéluctables. Les raisons en sont simple, tout augmente, comme il est impossible de se passer des produits de premières nécessitées, les impayés se multiplient. 

    Les proprio n’ont pas encore compris que l’eldorado immobilier est fini, cela deviendra un investissement sur, mais uniquement sur le long terme et en tout les cas, les revenu a en tirer seront moins important et ne rapporteront de l’argent qu’une fois le bien fini de payer. 

    C’est un simple ajustement, alors crack ou pas crack, ce ne sera ni l’un ni l’autre, ce sera revenir aux fondamentaux économiques c’est a dire ce construire un petit pécule sur le long terme sans espoir de s’enrichir par la spéculation qui a prévalu ces dernières années. Ce sera toujours un bon placement pour compléter un salaire ou une retraite mais pas plus.

    Cela restera malgré tout un des derniers placement sur donc pas de quoi en faire tout en fromage, sauf pour ceux qui ont acheté dernièrement au prix fort. Comme pour toutes les spéculations, lorsque la tendance s’inverse, les derniers à investir deviennent les perdants sauf a redevenir raisonnable en oubliant leur rêve de faire fortune facilement car cela n’existe pas.

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