mardi 18 mars 2008 - par Charles Bwele

Introduction à la freeconomie

Après la Longue Traîne, Chris Anderson remet ça. Dans « Free ! Why $0.00 Is the Future of Business » , il proclame l’inéluctabilité de la gratuité quasi généralisée.

No cash, no souci

« Entre l’économie numérique et le modèle économique de Gillette [consistant à vendre des rasoirs à vil prix pour ensuite facturer les lames à prix fort], nous entrons dans une ère où la gratuité sera perçue comme la norme et non plus comme une anomalie », a déclaré le chef-rédac’ de Wired. « La génération élevée sous la gratuité débarque en force, elle trouvera de toutes nouvelles façons d’intégrer, d’exploiter et de transformer les mutations en cours. Car, la gratuité est ce que vous voulez et ce que vous aurez ».

Les coûts de revient des lames ayant méchamment plongé, Gillette devra-t-il se rabattre sur les crèmes à raser ou les après-rasages ?

« La constante diminution des coûts de production de l’économie numérique incitera bientôt la plupart des entreprises à donner la majorité de leurs produits ». Services web, voyages, enregistreurs vidéo numériques (DVR), hotlines, TV/radio/vidéo par IP, bancassurance, etc. : la quasi voire la totalité des activités en ligne basculeront dans la gratuité à mesure que les coûts de stockage et de la bande passante tendront vers zéro. Très peu échapperont à ce « spectre qui hante le capitalisme » et s’ancre à la vitesse TGV dans nos habitudes : journaux, musique, communications téléphoniques de X à Y heure, jeux vidéo, films, logiciels, etc. : le tout [souvent mais pas toujours] financé par un business model publicitaire à viseur laser.

Lorsque Google propulsa discrètement AdWords en 2001, personne ne se doutait que cette régie e-publicitaire contextuelle générerait plus de cash-flow en cinq ans que MTV en quinze ans. Le rachat de DoubleClick par la firme de Mountain View, récemment validé par les autorités américaines et européennes de la concurrence, ne fera qu’empiffrer une trésorerie de guerre déjà colossale. Raison pour laquelle le Dragon de la Toile peut se permettre d’offrir gratuitement autant de services et d’applications. Le succès fulgurant de Google 411 fait déjà trembler AT&T, Verizon et Qwest. Pour peu que ces renseignements téléphoniques 2.0 débarquent en France et soient appuyés par toute l’armada googléenne, qui donnera cher des numéros 118 et de leurs marges symboliques ?

« Tout ce que les réseaux numériques touchent ressent vite les effets de la gratuité [...] D’une certaine façon, le net étend le modèle économique des médias à d’autres secteurs  ». Ryanair qui propose des billets Barcelone-Londres à 20 € - moins cher qu’un trajet en taxi à Paris ou à New York ! - est devenu au transport aérien ce que Napster fut à l’industrie du disque. Muant peu à peu en agence de voyages digne de ce nom, la compagnie aérienne compte bien offrir ses sièges gratuitement, facturant à micro-prix une multitude de services périphériques en partie publi-financés.

En échange d’un ciblage publicitaire permanent, l’opérateur britannique Blyk offre environ une heure et 300 textos par mois pour trois ou quatre salves pub quotidiennes, l’utilisateur ayant préalablement fourni et réactualisant souvent son profil détaillé (lieu de résidence, profession, revenus, centres d’intérêts, etc.). Créée à l’automne en septembre 2007, cette solution a déjà conquis plus de 100 000 abonnés en majorité dans la tranche des 16-25 ans et plus de 150 annonceurs dont McDonald, Sony, Adidas, Apple, Dell et Ford y ont déjà souscrit. Vodafone UK et Orange envisagent sérieusement d’emboîter le pas à Blyk dont les hotlines sont saturées d’appels de clients en demandant encore plus, quitte à être un peu plus publi-matraqués... Bloody phone  !

A première vue, tous ces concepts séduisent autant qu’ils horripilent l’Europe continentale, plutôt en retard sur la donne technico-économique chez l’Oncle Sam et la perfide Albion. Le ponte de Wired est-il en train de nous annoncer que nous aurons le beurre, l’argent du beurre et la crémière ?

Profitez et payez... si vous le voulez bien

Si vous êtes éditeur, scénariste, manager musical ou directeur artistique, on vous a certainement bassiné avec cette fameuse « Longue Traîne » entre un Apéricube et un kir lors de quelque imbuvable vernissage. Dans cet article devenu une référence pour la culture et les loisirs numériques, Chris Anderson avait remarquablement démontré que la distribution en ligne minimalise les coûts de stockage-distribution et ouvre des possibilités infinies pour un marché culturel (musique, vidéo, livres) de micro-niches par millions, bien plus profitable en durée et en quantité que la seule exploitation annuelle de quelques hits et blockbusters. Dommage que les industries culturelles ne l’aient pas complètement lu, la lumière au bout de leur tunnel est peut-être celle d’un train venant d’en face...

Reposant sur la vente du produit brut, les industries phonograhiques tremblent déjà à la seule lecture des versets freeconomiques. A peine ont-elles mis tous leurs oeufs dans le panier digital afin de remplacer le CD que le Mollah Zérodollar répudie d’emblée leur couvée, jugée impropre à la distribution commerciale. Devront-elles aussi offrir leur nid ?

On a bien vu que Radiohead, Razor Trent, Nine Inch Nails et Barbara Hendricks proposait aux internautes de télécharger gratuitement ou d’acheter leurs derniers albums au prix individuellement souhaité. Affranchis d’une grande maison de disque, ils ont rapidement empoché des sommes juteuses (5 millions de dollars en quelques jours pour Nine Inch Nail !) avec seulement 11 à 15 % d’acheteurs et ouvertement défié toute l’industrie phonographique. Pour ma part, la réussite de telles opérations me semblent difficilement reproductibles dans un marché émergent de micro-niches par millions, les nouveaux talents sur Myspace n’étant point auréolés d’une notoriété planétaire acquise durant les heures de gloire du CD.

Anderson cite l’exemple de Prince qui distribua gratuitement 2,8 millions d’exemplaires de son album Planet Earth en juin 2008 via l’édition dominicale du London’s Daily Mail. L’entreprise fut certes une pure perte comptable, mais elle permit à la purple star de remplir complètement ses 21 concerts estivaux au London’s Arena et de battre le record régional des revenus live. Ce qui n’est pas rien quand on connaît le foisonnement musical autour de Big Ben. Transformer ainsi les décibels en produit d’appel a ouvert un rack de Pandore. Cependant, les majors de la musique doutent sérieusement que la gratuité de première intention ou le publi-financement leur permettent de survivre. Personnellement, je me demande si ces structures initialement faites de brique et mortier sont optimisées pour cette e-conomie de la gratuité.

Je ne reviendrais pas ici sur les prolifiques pratiques cristallisant ce phénomène : peer-to-peer, radios IP à la demande, capture de streaming audio...

La télévision, la vidéo et le cinéma semblent disposer de plus grandes marges de manoeuvres : projection numérique simultanée, studio virtuel, vidéo-à-la-demande, replay TV, services interactifs, portabilité des contenus, youtubisation, etc. Elles semblent plus enclines à verser dans une économie de la longue traîne que leurs homologues audio. L’ensemble des chaînes TV britanniques planchent actuellement sur le projet Kangaroo, une solution mi-VOD mi-replay (rediffusion d’une émission déjà passée) mixant pay-per-view et publi-financement. Joint-venture de CBS, de NBC et de News Corp, Hulu.com se lance dans une aventure similaire, estimant à juste titre que les télénautes mettront tôt ou tard musique en ligne et télévision en ligne dans le même sac. Le succès fracassant du BBC iPlayer - le Dailymotion de sa Majesté - en est une preuve déflagrante.

Les médias audiovisuels étant aussi de formidables vecteurs culturels, politiques et même géopolitiques, les gouvernements semblent y tenir plus à coeur que l’industrie musicale. Hollywood est bien plus que de la pellicule, HBO est bien plus que du cathodique, les productions Jerry Bruckenheimer sont bien plus que de la série TV...

Générales dynamiques

Bénéficiant également des effets de la globalisation, les TIC accélèrent le passage de l’ère newtonienne à l’ère quantique dont nous ne voyons que les effets électroniques : puissances de calcul, capacités de stockage, bande passante. Les vecteurs techniques de cette gratuité généralisée seront de surcroît boostés par l’internet très haut débit, le cloud-computing et l’informatique-service, aujourd’hui nerfs de la guerre entre Google, Microsoft-Yahoo !, Amazon et Sun, pour ne citer qu’eux. Aussi spectaculaires soient-elles, les répercussions socioéconomiques de cette macro-révolution n’en pas moins embryonnaires. Nous sommes en quelque sorte dans la position d’un piéton du début du XXe siècle éberlué par les Ford T, incapable d’envisager les impacts urbains, géoéconomiques, sociaux et civilisationnels d’une telle invention seulement deux décennies plus tard.

Lorsque le coût unitaire de la technologie (par Mo, par Mo/s ou par milliers d’opérations à la seconde) décroît de moitié tous les dix-huit mois pour des performances deux fois supérieures conformément à la loi Moore, à partir de quel moment peut-on estimer qu’il se rapproche significativement de zéro ? « Plus tôt que vous ne le pensez », éructe Anderson. Dès lors, si l’on s’en tient aux travaux de Carver Mead - professeur au Caltech qui corrobora les théories de Moore dans les 60’s - les microprocesseurs se répandront à une échelle astronomique au point d’en devenir gratuits ou d’être considérés comme tel.

Sur ces points, Chris Anderson rejoint Nicholas Carr, auteur du best-seller The Big Switch : Rewiring the World from Edison to Google, sur lequel je reviendrais dans un prochain article, sa brillante prospective étant trop peu évoquée dans le monde francophone. Ce dernier explique que le cloud computing et l’informatique-service virtualiseront et surpasseront drastiquement les infrastructures informatiques physiques, donnant la primeur au code et aux interfaces, engendrant aussitôt des myriades de super-puissances computationnelles organisationnelles et individuelles profitant des coûts marginaux des TIC et de l’information tendant constamment vers 10-XX.

En cette journée de l’hiver 2008, tout cela semble bien fantasque. Toutefois, en regardant le mur de Berlin tomber en direct, je ne me voyais guère m’exaspérer devant une pléthore de vols low cost en ligne, mettre à jour mon blog de n’importe où sur Terre en farfouillant mes deux disques durs USB gavés de 237 films, de 315 albums MP3 et de tous mes documents professionnels sur plusieurs années. Malgré leurs hyperboles, Anderson et Carr sont donc probablement bien plus modestes qu’une imminente réalité encore inimaginable.

Quand la firme de Mountain View transforme la publicité en bureautique « nuageuse » gratuite (Google Desktop/Apps/Docs), elle condamne quasiment Microsoft à la chaise électrique. Comment forger ou dénicher de nouveaux périmètres non-commerciaux et non-industriels de valeur quand on est la firme de Redmond ? Débarrassées des contraintes techniques et économiques de la quincaillerie (mémoires, puissances, serveurs, etc.), des myriades de petites et grandes entreprises virtuelles ne sont-elles pas appelées à proliférer à des échelles bien plus dantesques qu’auparavant ? La gratuité n’est-elle pas destinée à s’enraciner d’autant dans les habitudes de l’homo economicus digitalus ?

Si l’essai freeconomique d’Anderson pèche encore énormément dans sa démonstration - contrairement à la Longue Traîne - il n’en est pas moins pertinent et percutant dans sa perception des forces turbomotrices de la gratuité et de la quasi-gratuité. « Même la cocaïne n’a jamais été aussi bon marché grâce aux jeux mystérieux de la globalisation » (sic).

Les détracteurs du Mollah Zérodollar n’ont point chômé ces derniers jours, notamment Alex Iskold de Readwriteweb qui écrit carrément que « free is dirty ». Chris Anderson développera ses thèses dans un livre gratuit publi-financé à paraître en 2009. Un gars qui applique ses propres préceptes à ses oeuvres ne peut être foncièrement mauvais.

Sources  :

  1. Chris Anderson : Free ! Why $0.00 Is the Future of Business

  2. Wired  : Make Money Around Free Content

  3. Alex Iskold : Beware of Freeconomics

  4. Alex Iskold : The Danger of Free

  5. Hubert Guillaud : La Gratuité est-elle l’avenir de l’économie ?

  6. Jean Zin : L’Economie de la gratuité numérique



23 réactions


  • Charles Bwele Charles Bwele 18 mars 2008 10:46

    Le lien vers la Longue Traîne de Chris Anderson (en français)


    • Charles Bwele Charles Bwele 18 mars 2008 13:23

      Moi aussi, cette freeconomie me paraît aussi sexy que troublante. Toutefois, un concept comme Google m’était impensable il y a 10 ans. Et pourtant, ça marche à fond. Peut-être que la firme de Mountain View est précurseure de qque chose que nous n’appréhendons que trop partiellement, et qui sera appelée à se développer et se mulitplier plus nettement dans les deux ou trois décénnies à venir. Nous n’avons peut-être pas encore les paradigmes cognitifs nous permettant d’intégrer pleinement une telle donne.

      D’où l’anedocte du piéton du début du XXème siècle contemplant les Ford T, loin de se douter des mutations socioéco et cognitives que ce moyen de transport engendrera.
       
      Par ailleurs, contrairement à ce qu’on croit trop souvent, il y a de nombreuses méthodes permettant de rentabiliser la gratuité, exhaustivement listées dans la cinquième annexe ( Hubert Guillaud : La gratuité est-elle l’avenir de l’économie ?). Dans les pays anglo-saxons, ces méthodes sont largement et mieux exploitées que partout ailleurs. Par exemple, Google Apps Premium Edition est quotidiennement souscrite par plus de 2000 entreprises très majoritairement anglo-saxonnes.

      Google Apps Premier Edition = un intégrateur bureautique online + offline dediée PME, payant pour 50 annuels, les docs générés sont d’ailleurs compatibles OpenOffice/MS-Office

      Je sais que les Français seraient rétifs à ce type de solutions car plutôt à cheval sur l’approche fiabilité dans leur gestion informatique - j’insiste sur le terme "plutôt" - , tandis que les nord-américains, britanniques, australiens et sudafricains sont plutôt branchés confort (et ultra-compression des coûts).


  • Fouinos 18 mars 2008 10:51

    Article assez frappant. Ca vaut le coup de se pencher sur tout ça.

    Mais toutes ces pratiques vont elles dans le bon sens ?

    Oui pour le consommateur, si il est prêt à supporter plus de pub, ou de payer un sandwich-jambon 30 euros sur son vol.

    D’un autre côté, en considérant les coûts des produits comme nuls, je me demande comment vont survivre les boites qui fabriquent os disques durs par exemple ? La différence entre "quasi-gratuit" et "gratuit" suffira-t’elle à la survie des ces industries ?

    Ca me fait un peut penser aux cours la bourse : une economie qui n’a plus aucun lien avec la réalité (entedez le produit brut, palpable, celui que l’on peut toucher)

     

     


  • Alberjack Alberjack 18 mars 2008 11:12

    Excellent article.

    Dans cette "économie de la gratuité" il reste des compagnies qui gagnent et vont encore gagner beaucoup d’argent, ce sont les plombiers du Net : les fabricants de matériels (CISCO par ex.) et les FAI.

    Comme au temps de la ruée vers l’or où ce sont plus les vendeurs de pioches, de pelles et de tamis qui gagnèrent de l’argent sans risque. smiley


  • gnarf 18 mars 2008 11:48

    Il faut quand-meme realiser que la gratuite sur internet c’est :

    - d’un cote des gens des pays riches, qui developpent gratuitement des programmes et travaillent des centaines, milliers d’heures pour leur passion. Ca leur fait plaisir et ils ont d’autres revenus. Un peu comme si les notaires travaillaient gratuitement....apres-tout eux aussi ne travaillent que dans les ecritures dematerialisees. Rien n’empeche d’etendre a bien d’autres metiers du service ce concept : profiter de ses loisirs pour faire un deuxieme travail gratuitement. Mais curieusement seuls les informaticiens sont enthousiastes a cette idee.

    - de l’autre-cote les google, groupes de musiques..etc qui font de l’argent de la gratuite. C’est un tres vieux concept. C’est vieux comme la radio et la television. Ca n’a de gratuit que le nom. Cela rapporte enormement d’argent sonnant et trebuchant, mais pas directement en echange du produit comme le commerce traditionnel. Ca passe par un autre circuit. La pub ou les produits derives ou le consulting...etc. Mais ca n’est absolument pas gratuit. Personne n’a jamais dit que la tele etait un fer de lance de la gratuite a ce que je sache ?

     

    Alors derriere les grands mots, il y a la (triste) realite : L’internet est progressivement deserte par les PME qui developpaient des logiciels. Restent les tres grosses boites qui peuvent distribuer leurs produits gratuitement et recuperer de l’argent ailleurs par leur notoriete. Le gratuit enthousiasmant, c’est au final la victoire ecrasante des tres grosses boites sur les petites, et la mort des petits acteurs de l’internet. 

    Quand a nous pauvres mortels, l’effet est le suivant : les choses enthousiasmantes que promettait internet, les inventions, la creativite...on ne peut pas en vivre, puisque tout le monde le fait gratuitement. Il ne reste donc qu’a faire comme les autres : travailler la journee pour l’economie traditionnelle, le made in china, la pollution, et faire ce que l’on aime gratuitement la nuit....musique, logiciels, creativite.

    Dommage.


  • foufouille foufouille 18 mars 2008 12:28

    excellent article

    le cas des imprimantes : la cartouche vaut plus cher que l’imprimante. naturellement le radin se renseigne et decouvre la possibilite de recharger a la seringue ses cartouches. parade du fabricant : la cartouche programmee pour ne plus fonctionner qu’une fois. invalidation de la garantie en cas de recharge. reponse du vendeur d’encre, le reprogrammateur ! etc.....


  • fb 18 mars 2008 12:30

    Je trouve aussi que comparé à « The Long Tail » cet article est un peu décevant. D’autant plus qu’il fait une part large à la pollution publicitaire ou le profiling (analyse fine des habitudes de consommation) comme source de financement qui, un jour ou l’autre, se répercute immanquablement sur les consommateurs.

    Ensuite, si le coût d’hébergement et de diffusion numérique tend vers zéro il y a un phénomène inquiétant de concentration et de formation d’oligopoles, qui fait qu’au lieu d’aller vers un web 2.0 on se dirige tout droit vers un minitel 2.0 où seuls quelques acteurs ont le pouvoir et centralisent la monétisation issue du travail des autres. Par exemple, si vous voulez mettre une vidéo en ligne vous allez passer par YouTube ou DailyMotion sinon votre hébergeur, s’il ne clôt pas votre compte, vous présentera une facture de bande passante particulièrement salée. De même, aucune solution vraiment satisfaisante de micro-paiement n’existe et il faut nécessairement passer par les fourches caudines d’un établissement financier établi.

    Or, d’un côté les dinosaures essayent de transformer Internet en gros minitel pour conforter leur business model et de l’autre côté des mécanismes innovants sont créés pour exploiter la décentralisation, comme le P2P, pour réduire encore plus ce coût numérique. Tout est fait pour freiner les innovations et la création de richesse par le travail collaboratif ; les états et les grosses industries ont horreur de la décentralisation qui effrite leurs oligopoles assis depuis des dizaines d’années.

    Qui gagnera ? Si les lois de la physique s’appliquent, certainement le modèle décentralisé, mais dans combien de temps ?

    J’ajoute aux liens proposés « The Economy Of Ideas »[1] de John Perry Barlow (sous titré : « Selling Wine Without Bottles on the Global Net ») qui est une introduction d’actualité à l’économie des immatériels et qui date pourtant de 15 ans !

    [1] http://homes.eff.org/ barlow/EconomyOfIdeas.html


  • Proto Proto 18 mars 2008 14:28

    Votre article est très intéressant merci.

    Je tempèrerais toutefois l’enthousiasme pour le Free en disant qu’elle reste une technique de marketing : « Free ! Why $0.00 Is the Future of Business ».

    On notera déjà que la presse gratuite peopolise la presse traditionnelle, et qu’elle n’apporte pas forcément une plus-value à la qualité des sujets traités, ce qui n’est pas une règle générale en considérant votre site.

    On notera l’exemple de la cocaïne à bas prix qui ouvrira l’addiction à un plus grand nombre de personnes, pour vendre plus ensuite.

    On notera que les merveilleux outils Google, comme son moteur de recherche, accepte les contraintes de la liberté d’expression en Chine par exemple, une logique de marché prévalant toujours sur les meilleures intentions.

    En ce qui concerne la gratuité de la propriété intellectuelle, les peer-to-peer ont peut-être amorcé ce changement par les us et coutumes, mais juridiquement rien n’a changé :

    Les médicaments génériques contre le sida ne seront jamais vendus massivement aux petits africains sidéens, car là il y a trop à gagner.

    Attention donc à rester les yeux ouverts dans "l’ère du Free".


  • vincent p 18 mars 2008 16:44

    Cela me donne aussi l’impression qu’avec l’introduction à la freeconomie,
    il ne soit plus guère possible à l’homme de vivre dignement de son art ?
    Ou alors je me trompe ?


    • fb 18 mars 2008 17:17

      Tout le problème porte sur la définition de l’art. Est-ce qu’un banquier est un artiste quand il « gère » votre compte courant ? Le numérique rend obsolète bon nombre de pratiques plus ou moins justifiées par l’absence d’un réseau unique et des pratiques d’interopérabilité. Aujourd’hui des pans entiers d’une économie basée sur le principe marketing de rareté s’effondrent dans la mesure où dans le monde numérique la rareté n’a pas de sens et l’abondance est la norme avec un coût marginal.

      Internet et le numérique remettent en cause la notion fallacieuse de « propriété intellectuelle », le débat est pour le moins vaste mais en gros les business models basés non pas sur l’art mais la rareté maintenue artificiellement vont souffrir...


  • tsionebreicruoc 18 mars 2008 17:06

    Bonjour

     

    Tout d’abord, bravo, bel article, du contenu et de la forme !

     

    Mais sinon, je crois que je vais faire partie de ceux qui tiennent à modérer cet enthousiasme. En effet, technologiquement les révolutions sont importantes et possiblement riches de grandes perspectives. Néanmoins, si on fait rentrer l’économie dans le jeu, et si on le fait de manière réaliste, je crois qu’il n’y a pas à s’enthousiasmer pour le court, le moyen et le long terme, peut-être le très long terme pourra être plus prometteur.

     

    En effet, premièrement, cette économie fait, comme ça a été rappelé par d’autres, la part belle aux grosses machines économiques, c’est à dire celles qui peuvent se permettre d’avoir d’énormes budgets pub et celles, comme Google, qui canalisent tout cela en vampirisant la concurence dans leur domaine. Un tel système permet donc à des grandes machines privées (donc non soumises aux contrôles des citoyens...) de prendre une part toujours plus grandes dans la vie des gens quand ce n’est pas pour les prendre en otages (bonjour messieurs les "potaches" de chez Google).

     

    Plus généralement et plus basiquement, quand on parle économie, ben, on parle économie. L’économie est basée sur l’échange, que ce soit le troc ou le numéraire, ou d’autres à inventer. Le modèle de gratuité qui s’étend actuellement repose sur la pub de "l’économie normale", à savoir des gens qui consomment des biens et services contre de la monnaie. De la monnaie de moins en moins sonnante et trèbuchante, mais à la fin quand on est titulaires de comptes bien crédités et quand on sort la carte on peut s’offrir des trucs, si la carte est pas créditée grâce à un travail que vous avez fourni (ou plus rarement une rente), là on ne peut plus. Le système économique actuel qui permet à des boîtes privées d’atteindre parfois des tailles colossales et de permettre une certaine gratuité par de la pub fonctionne comme ça. Vous faîtes tomber la base de cette économie, vous faîtes tomber tous ce que le modèle peut permettre. Et la base de cette économie, comme je l’ai dit auparavant repose sur du travail contre de l’argent qui par la suite devra être dépensé le plus possible.

    Donc la free-économie ne peut se suffire à elle-même dans le système actuel, elle est condamnée à être soit une écume particulièrement efficace pour les produits immatériels (contenus numériques), soit quelque chose qui se développe beaucoup mais en mettant les citoyens à la merci de grandes entreprises, ce qui se passe actuellement mais si le modèle devait se développer de plus en plus, les citoyens seraient certainement condamnés jusqu’à ce qu’ils décident de faire tomber ce système (et ce genre de choses, ça peut-être très, très long...).

     

    Tout cela en sachant que laisser le destin des citoyens entre les mains de grandes entreprises privées, c’est les laisser un peu plus aller vers la fin de la réflexion et de la compléxité, chose nécessaires pour envisager un destin à l’Hummanité, pour se contenter d’aller vers la réaction et le basique. En gros : "Y a pas à se prendre la tête, y a juste à consommer ! Vous inquiétez pas ! Les grosses boîtes se chargent de tout pour nous !" Vous me direz peut-être que cela ne fait qu’accentuer les tendances actuelles. Oui, mais personellement, je crois que c’est pas une raison pour l’encourager ! Personnellement, j’en attends un peu plus d’une société humaine et de la citoyenneté...

     

    Pour conclure, je crois qu’il faut privilégier la suspuscion à l’entousiasme par rapport à ce modèle d’économie gratuite qui se développe et essayer plutôt de chercher d’autres perspectives parmis celles que peuvent permettre toutes ces révolutions technologiques !

     

    Les rapports humains fonctionnent toujours sur l’échange ! N’oubliez pas cela ! Et pensez-y lorsqu’on vous propose quelque chose de gratuit ! Proposez-moi un modèle novateur avec des échanges humains crédibles et intéressants, et là peut-être je serai plus enthousiaste !


    • fb 18 mars 2008 17:31

      Vous avez raison de souligner que l’on parle d’économie d’échange alors qu’avec les immatériels il conviendrait de se placer dans une optique d’économie de partage. La nuance est d’importance, tout reste à créer dans ce domaine. Ajourd’hui ce sont des modèles indirects qui en fin de compte s’appliquent mais restent dans une logique d’échange et non de partage (accès « gratuit » contre visionnage de publicité).

      Néanmoins, quelques exemples en particulier dans le logiciel libre démontrent qu’il est possible (très indirectement) de créer une économie du partage.

      La route est longue mais visiblement elle existe...


  • brieli67 18 mars 2008 17:54

    ça chahute depuis un bout de temps sur tous les campus universitairesde la vieille Europe

    http://www.freebeer.org/blog/

     

    SAUF que l’EUROPE ce n’est pas les USA !!

     

    s’il te faut les raisons et de la doc et des liens..........

    fais signe !!

     

     

     


  • Charles Bwele Charles Bwele 18 mars 2008 17:57

    J’ai tenu à introduire cette freeconomie de Chris Anderson sous un angle positif afin que le lecteur s’y projete complètement et appréhende la pertinence du concept. Tel un profiler qui se mettrait dans la peau du serial killer qu’il pourchasse...

     

    Néanmoins, en mon for intérieur, je suis aussi dubitatif que beaucoup d’entre vous, ayant moi-même du mal à dissocier l’économie (dans sa globalité) du facteur monétaire et/ou marchand...Mon Dieu, serais-je un indécrottable capitaliste ?  Cependant, je ne m’interdit guère quelques surprises à l’avenir.

     

    Si vous lisez couramment l’anglais, lisez les deux articles de Alex Iskold (annexes 3 & 4). Jusqu’ici, sa critique de la freeconomie me semble l’un des plus sensées que j’ai pu lire...

     


    • Charles Bwele Charles Bwele 18 mars 2008 19:10

      J’ai commis une petite erreur dans l’article, que je n’aperçois que maintenant : Trent Reznor est le leader des Nine Inch Nails (un groupe que j’écoute depuis les 90’s). Une micro-redondance d’étourderie...


  • brieli67 18 mars 2008 18:53

    ouvre donc le lien freebeer

    et tu tomberas nécessairement sur le Professeur Lessig de Stanford très très actif sur le net

    http://lessig.org/blog/

    à plus..............


  • brieli67 18 mars 2008 20:00

    vers des textes et des publications de Stiglitz ........

    remarquable ? Lessig...... NON transparent  ! trop même pour convaincre.

    Le problème de taille : la limite et la différence en Droit Constitutionnel des deux mondes.

    Une remise en cause complète de nos Constitutions devrait être envisagée. C’est un choix culturel et sociétal uirgent !

    Les Usa ont des "outils" plus archaïques que les nôtres. Lisbonne et ses politicards Bruxelles et ses ronds de cuir nous coupent l’herbe sous les pieds et ont allumé un contre-feu.

    Le Monde est en mutations profondes des valeurs comme le travail la richesse la solidarité..... sont à repenser.

    Et on nous refuse le débat ............

     

     

     

     


  • Marc Bruxman 19 mars 2008 02:43

    Très bel article !

    Mais la gratuité c’est avant tout du à la dévaluation du capital par l’économie numérique. J’avais écrit un article à ce sujet ICI :

    http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=10198

    C’est cela qui rend la gratuité possible !

    Pour répondre à un commentaire oui il sera possible demain de vivre de son art. Mais il faudra être au top, il sera quasi impossible de capitaliser. Ce qui veut dire une compétition encore plus acharnée qu’aujourd’hui. Il va tout falloir adapter à cette nouvelle donne et notamment l’éducation. Car plus aucun statut ne pourra être acquis. Ceux qui bossent dans les nouvelles technologies savent déja que si vous ne vous mettez pas constamment à la page vous êtes out. Demain cela sera bien plus impressionnant encore.

    La transition risque d’être un peu pénible à vivre et puis petit à petit de facon révolutionnaire ou évolutionnaire une nouvelle société se mettra en place. Celle ci fournira les structures, modes de pensées et organisations nécéssaires au fonctionnement optimal de la machine humaine compte tenu des évolutions technique. En somme comme cela s’est toujours fait. A l’esclavagisme a succédé le féodalisme, puis au féodalisme, le capitalisme. On ne connait pas encore ce qui va suivre. Et il est d’ailleurs probable qu’aucun auteur ne l’ait même encore mentionné. Mais cela donnera de l’action :)

     

     


  • Sébastien Sébastien 19 mars 2008 09:36

    On pourrait dire qu’internet est de gauche ! Ce sont les riches qui paient avec leurs achats suite a la pub qu’ils ont vue pour que les pauvres puissent surfer gratuitement. C’est pas beau ca ?


  • NikeLaos NikeLaos 19 mars 2008 12:42

    Bravo à l’auteur de mettre en lumière l’axe et l’enjeu majeur de l’économie de demain. En lisant tous ces pertinents commentaires, s’est imposée une idée : ce modèle "free", dont vous avez évoqué toutes les facettes, les limites actuelles, ainsi que la "supercentralisation" (réaction adaptées des grands groupes qui tendent à s’adapter, canaliser / monopoliser l’accès à ces resources gratuites pour les raisons que l’on sait), apparait, de fait, comme le seul possible. Et là surgissent deux problemes.

    1) On se trouve en face d’un phénomène que beaucoup avaient présenti - nos habitudes de consommation se sont déjà adaptées - mais personne ne sait poser clairement les bases stables de ce qui ressemble, à terme, à une mise à mort de cette forme actuelle de capitalisme. Cela a déjà été dit.

    2) Le deuxième point présente, à mon sens, une menace bien plus grande, bien qu’étant la conséquence logique du premier : à qui (va) profite(r) le crime ? Je me pose la question en termes sociologiques. Ne serions-nous pas en train d’assister à la mise en place, lente mais manifestement inéluctable, d’un - j’utilise ce terme avec prudence - "communisme" global qui nous ferait entrer dans une (nouvelle) ère sociale, basée évidemment sur la mondialisation, de nos resources, de nos cultures, de notre économie, de nos gouvernements ? Je ne peux m’empêcher d’y voir la marque d’une uniformisation, d’une modélisation de la masse "consommante", à qui on fournit "gratuitement" les outils de sa future dépendance au cyber système. Le tout ayant, peut-être, pour objectif, le lissage culturel par voie technique/économique. On peut arguer que tout cela ne suit pas de plan particulier, que c’est le fruit de divers facteurs etc. mais il est parfois utile d’essayer de dégager des tendances, des directions qui semblent s’imposer. Je me posais juste la question en vous lisant...


  • clostra 19 mars 2008 17:28

    Il me semble que la (fin de la) gratuité sur Internet (relative quand même : abonnement ADSL ou autre) et/ou par le numérique (braderie gagnante, manque à gagner pour les transports, voyages, fins de série...) pourrait être modélisée.

    De quoi s’agit-il ?
    de grands nombres et de marketing ciblé (la pub pour ce que vous voulez acheter aujourd’hui directement dans votre messagerie du jour, sans aucune demande de votre part)

    Scénario 1 :
    le grand nombre
    Internet a un volume en constant accroissement (jusqu’à son nombre d’habitants terrestres, quelques milliards). On peut encore compter sur quelques années pour atteindre le volume maximal. Le volume maximal atteint, on va rentrer dans le jeu du marché traditionnel. Les Etats vont se servir. Des entreprises vont se créer et réduire (sans doute à la proximité pour des raisons culturelles - partage des goûts et couleurs - et pratiques - SAV...) le volume et à mesure que le volume diminuera, le gratuit deviendra payant (pour la survie des entreprises click and mortar).

    Scenario 2  :

    Le marketing se trouve entre quelques mains totipotentes (c’est ça le vrai danger de la gratuité dans sa phase actuelle qui permet aux firmes les plus puissantes de collecter, acheter les données du profiling et de financer des études coûteuses pour les exploiter à leur - unique - profit). Dans ce cas, effectivement, le gratuit est et restera l’appât avec de belles années devant lui ! puisque le volume restera constant pour ces quelques entreprises. Les profits les plus juteux iront aux collecteurs de "profils" (pure players) - voir la guerre google/doubleclick (un spyware) versus microsoft/Windows/yahoo.

    Dans ce cas : bravo à tous les auteurs d’articles qui permettent une véritable prise de conscience car, dit-on "la gratuité c’est du vol"

    Si on croit en l’Homo Sapiens Sapiens, l’homo economicus digitalus ne vaincra pas en ce qu’il n’a pas sa place dans le progrès humain, il n’a qu’un profil, une adresse et il est exploité - esclave.


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