vendredi 13 février 2009 - par Prospero

Keynes face à la crise, une interview imaginaire

Demandons au grand économiste ce qu’il pense de la crise actuelle et de ses remèdes.

La crise a redonné une actualité à vos théories. Beaucoup d’ économistes se réclament de vous mais leur prévisions divergent. Les plus optimistes évoquent une crise d’un an tandis que les plus sombres annoncent une décennie entière de récession. Selon vous, quelle devrait être la durée de cette crise ?

Disons trois à cinq ans. Il faut être confiant mais réaliste, les crises sont souvent violentes et soudaines alors que la transition à un mouvement de hausse n’est généralement pas aussi marquée. C’est le retour à la confiance, pour user du langage courant, qu’il est si difficile de provoquer dans une économie fondée sur le capitalisme individuel. 

Envisagez vous une remise en cause du régime capitaliste ?

Il est certain que le monde ne supportera pas plus longtemps l’état du chômage qui est une conséquence inévitable de l’individualisme du régime. Mais une analyse correcte du problème permet de remédier au mal sans sacrifier la liberté ni le rendement. 

Les adversaires du libre-échange gagnent en audience et se réclament de vous. Ils voient dans un certain protectionnisme un remède au chômage. Quelle est votre réaction ?

Ils confondent la cause et l’effet, indeed. Si les nations pouvaient apprendre à maintenir le plein-emploi au moyen de leur seule politique intérieure, nul pays n’aurait plus un motif puissant de refuser les produits des autres sur son territoire. Le commerce international cesserait d’être ce qu’il est, c’est-à-dire un moyen desespéré pour préserver l’emploi intérieur des pays en stimulant les ventes et en restreignant les achats au dehors. Moyen qui, lorsqu’il réussit ne fait que transférer le problème du chômage au pays le moins bien placé dans la lutte.

Quel conseil de politique économique donneriez-vous au Gouvernement Français ? Relancer la consommation ? l’investissement ?

La sagesse serait de progresser dans les deux directions à la fois. Il existe des marges de manoeuvre pour cela. J’ajoute qu’ il est improbable que le plein emploi puisse être maintenu avec l’actuel niveau de consommation, quoique l’on fasse dans le domaine de l’investissement.

Vous ne semblez accorder que très modérément votre confiance à l’initiative du secteur privé...

L’investissement est gouverné par l’état d’esprit capricieux et déréglé des milieux d’affaire. On ne peut abandonner à l’initiative privée le soin de régler ces dépenses. Je souhaite que l’investissement soit gouverné dans un esprit social et non laissé aux fantaisies de jugement personnel d’ignorants ou de spéculateurs.

Aux Etats-Unis, la victoire d’Obama pourrait marquer un tournant social vers plus d’ égalité. Ceci semble rejoindre vos thèses. 

En effet. Les inégalités de revenus, de fortunes et d’héritages ne peuvent être justifiées dans des proportions aussi marquées qu’à l’heure actuelle. Il faudrait prendre des mesures énergiques, comme un changement de la répartition qui stimulerait la consommation des plus pauvres. En pleine récession, quand il devient matériellement impossible de stimuler l’investissement, l’accroissement de la consommation est le seul moyen d’améliorer l’emploi.

Certains félicitent la banque centrale européenne pour sa gestion prudente de la monnaie tandis que les Etats-Unis se livraient à des excès en termes de crédit. Vous joignez-vous à ce cortège de louanges ?

Le vrai remède au cycle économique ne consiste pas à supprimer les booms et à maintenir en permanence une semi-dépression, mais à supprimer les dépressions et à maintenir une situation voisine du boom.

Pour terminer, évoquons la régulation des marchés financiers. La crise est née suite à la découverte de nombreux produits toxiques dans le bilan des banques. Voyez vous cela comme un accident de parcours ou un problème plus structurel ?

Les marchés financiers organisés sont soumis à l’influence d’acheteurs qui ignorent pour la plupart ce qu’ils achètent et de spéculateurs qui n’ont pas intérêt à estimer rationnellement le rendement futur des investissements. Il est conforme à leur nature que les cours baissent d’un mouvement soudain et même catastrophique quand la désillusion s’abat sur un marché trop optimiste...

Merci Lord Keynes

Merci à vous jeune homme. Désirez-vous une part de ce délicieux pudding ?


NB : Pudding non compris, l’interview a été réalisé à partir du dernier livre de la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie.



11 réactions


  • Marsupilami Marsupilami 13 février 2009 14:50

     @ L’auteur

    C’est assez marrant et très pertinent sur le fond des choses, même si la crise actuelle n’a pas grand chose à voir avec celle de 1929 (démographie et mondialisation financière notamment). Dommage que Keynes n’ait pas été prophète : il nous aurait peut-être dit comment finirait (mal) cette crise que nous vivons.

    Vivons heureux aujourd’hui, demain il sera trop tard...


    • Le petit département éclairé 14 février 2009 16:54

      Il aurait des choses à dire en matière de régulation de la mondialisation finançière. Dans sa théorie générale il suggère que la crise est moins grave dans les pays dynamiques au plan démographique, voilà une raison d’espérer pour notre pays !


    • Le petit département éclairé 14 février 2009 17:00

      Pour ma part, je voulais que l’on n’associe pas trop vite Keynes aux partisans d’un certain protectionnisme, et à ceux qui clament que la cause de nos maux réside d’abord dans la mondialisation (ce qui est assez paralysant pour l’action et sème le désarroi dans le pays)


  • gdm gdm 13 février 2009 21:18

     @le petit departement eclaire
    Malgré leur amitié, Frederich Hayek avait severement critiqué la theorie de Keynes. Hayek qualifiait Keynes de "magicien de Cambridge". Rothbard traitait Keynes de "charlatan". En effet, Hayek avait pointé des contradictions majeures dans la theorie de Keynes.

    La consommation consiste à détruire les richesses qu’on consomme. La destruction d’une production ne peut produire en elle-meme d’autres richesses marchandes. La relance par la consomation est une double erreur. D’une part, la destruction de richesse qui n’est pas destinée a en produire d’autres richesses ne peut contribuer à la production. C’est une évidence pourtant mal comprise.

    En 1930, la these de la relance par la consomation pouvait avoir un sens dans un pays qui échange peu avec d’autres pays. Aujourdhui, dans une politique de relance, 80% des achats des francais proviendraient de l’extérieur de la France. L’argent dépensé par l’Etat francais servirait donc à la satisfaction temporaire de quelques uns, ainsi qu’à enrichir quelques sociétés étrangères.


    • Nethan 13 février 2009 22:23

      La destruction de richesse qui n’est pas destinée a produire d’autres richesses peut contribuer à la production au contraire, dans le sens où son acquisition s’est forcément faite par un moyen, l’argent.

      L’entreprise qui reçoit ce qui a été nécessaire pour acquérir le bien allant être détruit, est motivé à moduler sa production. Ceci selon le niveau de la demande.

      Jouer sur la demande est donc possible, mais comme vous l’indiquez dans votre dernier paragraphe, ce n’est pas possible dans un monde aussi interdépendant. Il faudrait refaire du protectionnisme... A moins que les futurs soucis avec le pétrole ne motivent à faire de la production localement (moins cher en transport).


    • Tzecoatl Tzecoatl 13 février 2009 23:45

      "Malgré leur amitié, Frederich Hayek avait severement critiqué la theorie de Keynes. Hayek qualifiait Keynes de "magicien de Cambridge". Rothbard traitait Keynes de "charlatan". En effet, Hayek avait pointé des contradictions majeures dans la theorie de Keynes. "

      Magicien par la planche à billets alors que tout les banquiers du monde dans un régime friedmanien deviennent magiciens ?

      "La consommation consiste à détruire les richesses qu’on consomme."
      Vous êtes un éco-sociétaliste qui s’ignore, car son système monétaire stipule que la monnaie est créé lors du travail et détruite lors de la consommation.


      "La destruction d’une production ne peut produire en elle-meme d’autres richesses marchandes."
      Si, via le recyclage.

      "La relance par la consomation est une double erreur. D’une part, la destruction de richesse qui n’est pas destinée a en produire d’autres richesses ne peut contribuer à la production. C’est une évidence pourtant mal comprise. "
      Re, via le recyclage.


      "En 1930, la these de la relance par la consomation pouvait avoir un sens dans un pays qui échange peu avec d’autres pays. Aujourdhui, dans une politique de relance, 80% des achats des francais proviendraient de l’extérieur de la France. L’argent dépensé par l’Etat francais servirait donc à la satisfaction temporaire de quelques uns, ainsi qu’à enrichir quelques sociétés étrangères.
      "
      Le keynésianisme est cohérent avec lui-même, le néo-libéralisme avec lui-même, chaque église étant incompatible.

      Sauf si pour résumer Adam Smith, tout travailleur effectuant la même tâche sera rémunéré en tout lieu de la même façon, ce qui rend le travail de proximité moins onéreux.


    • Le petit département éclairé 14 février 2009 17:14

      On pourrait, pour plaisanter, mettre sur le compte du dandysme du personnage son éloge de la consommation et de la destruction de richesse.
       Hayek est un adversaire à la hauteur de Keynes je vous l’accorde. Mais le second me semble avoir tiré les bonnes conclusions d’une hypothèse fondamentale qui est commune aux deux économistes : l’incertitude qui règne dans le monde des affaires qui , dans son schéma, l’autorise à proposer une politique de relance de la demande (investissement et consommation) lorsque les agents se réfugient dans la liquidité. 

      Bien sur, une relance isolée ne fonctionne pas longtemps, même si celle des socialistes en 1982 a permis (et ce fut une première) de ramener temporairement le chômage au dessous de la moyenne européenne... En revanche, une relance à l’échelle européenne ne permettrait -elle pas d’en améliorer les résultats ?


    • Le petit département éclairé 14 février 2009 17:19

      Il me semble d’ailleurs que Keynes ne prétends pas qu’il faudrait consommer tout le revenu. Ce qui importe chez lui c’est la nature de l’épargne (thésautisation ou investissement ? )


    • gdm gdm 14 février 2009 21:44

       @le petit departement éclairé
      L’hypothese de la trappe a liquidité, de la préférence pour la liquidité, de se "refugier dans la liquidité, cette hypothese est une erreur. Elle n’a jamais été observé depuis que chacun peut placer ses liquidité avec des frais de placement suffisament faible. La formule de Baumol rapelle justement que la masse monétaire minimale permettant les échanges est d’autant plus faible que le cout des transactions financieres est plus faible.

      Aujourdhui, cette hypothese de la trappe de la liquidité est une erreur, contraire aux observations statistiques.


    • Le petit département éclairé 16 février 2009 12:38

      L’hypothèse de la "trappe à liquidité" repose explicitement sur une rémunération nulle ou faible de la monnaie. Le privilège de la monnaie étant sa liquidité, Il suffit que l’anticipation d’une dévalorisation des créances négociables soit partagée par une majorité d’acteurs pour que la monnaie devienne une valeur refuge. On peut se demander si une telle situation n’est pas sérieusement envisagée par les autorités monétaires américaines. En effet, la FED vient de déclarer qu’elle était prête à utiliser des mesures exceptionnelles et en particulier à acheter des titres d’Etat pour pallier une pénurie de demande en provenance des angents privés. C’est la bonne vieille méthode de "planche à billet" , qui est le seul moyen de financer une relance budgétaire en cas de préférence absolue des agents pour la liquidité.


  • Le petit département éclairé 14 février 2009 16:50

    Merci. Oui la crise actuelle s’inscrit dans un contexte économique plus favorable que celui des années 20. C’était amusant de revenir au texte de Keynes quand tant de personnes se réclament de lui. En particulier j’ai composé ce post après avoir entendu le démographe Emmanuel Todd (pertinent dans son domaine) tonitrué en faveur du protectionnisme et de proclamer fidèle à Keynes


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